Dans la peau de l’autre

Le 12 février, le scénariste français Hubert nous quittait dans un geste qui a laissé son entourage et ses lecteurs pantois de tristesse et d’incompréhension. Auteur de récits dessinés reconnus comme Beauté (avec les Kerascoët au dessin), la série Ma vie posthume (avec Zanzim) ou encore le très estimé Monsieur désire ? (avec Virginie Augustin), le Breton avait pris comme marque de fabrique de révéler les travers de l’espèce humaine sous des allures de conte où les protagonistes avaient l’habitude de mettre en confrontation le paraître et l’être, avec une affection toute particulière pour les marginaux.

A quoi sert-il d’être lucide quand on ne peut rien changer ?

Ligne claire et aplats

Il n’en est pas autrement avec ce Peau d’Homme (un titre en allusion directe au conte de Perrault, Peau d’âne) dessiné par Zanzim et qui paraît en ce début juin. L’histoire d’une jeune aristocrate pendant la Renaissance italienne, prénommée Bianca, qui voit son mariage organisé par ses parents comme un vulgaire accord commercial et politique. En passe d’être liée à vie au beau Giovanni, gentilhomme ayant apparemment compris qu’il ne s’agissait là que d’une union dictée par la tradition patriarcale, la jeune femme s’attriste de n’avoir eu le moindre mot à dire dans l’affaire. Sa marraine lui révèle alors un secret de famille caché dans un coffre : une peau d’homme que les filles de la lignée sont invitées à revêtir pour vivre ne serait-ce qu’une journée de la vie d’un être de sexe masculin. Et la jeune femme de se prendre au jeu, devenant ainsi le tendre Lorenzo, et de découvrir chez son promis une attirance pour les garçons, penchant inavouable. Comment dès lors concilier une union terne, un mariage bien rangé et la passion d’une relation adultérine d’apparence entre son époux et l’homme que l’on n’est pas vraiment ?

Le dessinateur, Zanzim, a partagé les débuts en BD d’Hubert ( Les Yeux verts, 2002) et, sans que cela ne soit prévu, le dernier album. Les deux se connaissaient bien. ” Hubert aimait beaucoup utiliser les contes pour raconter ses histoires, nous confie-t-il. Pour se réfugier derrière une époque, ici la Renaissance qu’il appréciait pour l’émergence d’idées nouvelles. C’était quelqu’un de très érudit et féru d’art. Je lui avais dit que j’étais partant pour dessiner un récit plus personnel, il parlait souvent du vécu difficile de son homosexualité pendant son adolescence. J’imaginais un roman graphique, quelque chose d’intime. ” C’est finalement Peau d’Homme qui est arrivé sur la table du dessinateur. Zanzim est tombé sous le charme d’une histoire qui avançait ” sans étendard ” avec un message de tolérance, se dissimulant sous les traits d’un conte référencé dans son style graphique mais très moderne dans son propos. ” Hubert me donnait beaucoup de références, à moi de les digérer et de ramener de la simplicité “, explique Zanzim qui a privilégié ici une ligne claire et des aplats de couleur. De la peinture de la Renaissance, il en a emprunté un jeu sur la perspective, notamment dans des grandes cases, jouant toute cette comédie pleine de marivaudages à la manière d’un petit théâtre autour de la fontaine de la cité.

Ode à l’émancipation

Dans Peau d’Homme, en plus de constater les injustices dont les femmes et les homosexuels sont victimes, Bianca est par ailleurs aussi témoin d’une montée de l’intégrisme religieux incarné par son moine de frère, insupportable bigot moraliste tenant la ville sous sa terreur. Relayant la colère de son auteur contre la France intolérante de la Manif pour tous, l’ouvrage séduit ainsi non seulement par la richesse de son intrigue mais aussi par son propos très actuel. Soit une histoire complexe d’un couple qui apprend à s’aimer et se renforce dans les épreuves qu’il traverse, mais également une ode à l’émancipation des femmes et à l’égalité des sexes et des genres.

Hubert et Zanzim, ” Peau d’Homme “, éditions Glénat, 160 pages, 27 euros.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content