Corps et coeur en chute

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Parler de soi, c’est aussi parler de celles et ceux qui ont compté dans sa vie. Voilà la tâche que s’est donnée Philippe Besson après bien des années et des romans à tourner autour du pot. Depuis Arrête avec tes mensonges, l’auteur français s’est engouffré dans l’autofiction, mettant en scène les instants décisifs de sa vie, et notamment ses premiers émois amoureux. A l’adolescence, à Barbezieux, l’histoire avec Thomas Andrieu avait dû s’effacer suite à la pression d’une France rurale où affirmer son homosexualité était impensable. Un certain Paul Darrigrand se déroule quelques années plus tard, à la fin des années 1980, et nomme dès son titre le sujet d’affection.

Peut-être parce qu’écrire témoigne qu’on n’oublie pas.

Après des études commerciales à Rouen, Philippe Besson, narrateur donc, revient à Bordeaux pour un nouveau cursus qui ne le séduit guère. Paul Darrigrand par contre l’attire davantage et l’élan est réciproque. D’abord amis, les deux hommes parviennent à briser tabous et timidité et, au terme d’un ” tango ” conduit par Paul, s’engagent dans une liaison secrète passionnée. Contant merveilleusement bien l’approche et les doutes sur les envies de l’autre, Besson nous parle de ces instants à scruter la ” possibilité ” (” on savait que ça arriverait “), et puis vient le moment, charnel et puissant, rapport de forces où il semble inévitable qu’il y ait un vainqueur. Paul forcément. Pourtant, il a tout à risquer, lui qui est marié à Isabelle, infirmière aimable qui devient l’amie et la confidente de Philippe. ” Je n’arrive pas à la détester “, avoue le romancier qui aurait trouvé ça plus simple.

Tombe-t-on amoureux comme on tombe malade ? A la même époque, Philippe Besson est atteint d’une affection grave l’obligeant à séjourner longuement à l’hôpital. Pour le jeune homme fragile et sensible qu’il est, c’est le choc du corps, mais aussi du coeur, quand Paul s’en va pour Paris. ” Tout est histoire de chute, l’une délicieuse, l’autre moins “, résume Philippe Besson qui parle d’une double soumission, d’abord amoureuse – ” car tout dépend de lui ” -, ensuite à la maladie. ” Je ne décide de rien dans cette affaire, qui raconte un abandon. Quand vous avez 20 ans, vous vous découvrez mortel avec malgré tout cette envie d’être encore dans la légèreté, l’idée d’être vivant encore un peu. Or, je pense que Paul m’aimait moins que je l’aimais. ” Terrible constat qui le pousse à écrire implacable : ” Une vraie saleté, l’infériorité en amour “.

Le constat d’un passé révolu se voit teinté d’une pointe de mélancolie, comme pour ” sauver quelque chose d’un temps où l’on ne sera plus jamais “, nous confie le romancier, paraphrasant Annie Ernaux. S’il se refuse à dresser un quelconque bilan, il s’amuse à plusieurs reprises à se replonger dans ses précédentes fictions, y trouvant çà et là les clés de son propre vécu. Les souvenirs ravivent les sensations. Multipliant les digressions, qu’ils coincent entre parenthèses complices avec le lecteur, sa mémoire est ici boîte de Pandore où l’ironie souvent domine. ” Montrer l’envers du décor est une démarche qui m’intéresse. Quand on vous propose un roman, il comporte toujours une part de soi et d’intime. Ces histoires nous permettent d’avancer masqués. Ici le masque tombe, j’avais comme un devoir de vérité envers le jeune homme que j’étais. ”

Ici encore, point de militance. L’auteur refuse l’étiquette d’une quelconque ambition politique, à enrichir une mémoire LGBT de ses propres difficultés à construire une relation. Ce sont plutôt les lignes d’un écrivain du sensible, menues, simples et courtes. Depuis cette relation aussi puissante que fugace, Philippe Besson dit avoir appris ” à aimer la durée, à faire la différence entre l’état amoureux et l’amour “. Qui n’est pas passé par là ? A nous, lecteurs, il tend un miroir, ouvrant dans l’intime, la porte de l’universalité.

Philippe Besson, ” Un certain Paul Darrigrand “, éditions Julliard, 216 pages, 19 euros.

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