Paul Vacca

L’intelligence artificielle est-elle vraiment une menace?

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Contrairement à ce que l’on pense, la question de savoir si nous devons craindre les robots ne concerne pas le futur mais notre façon présente de penser. De même que notre appréhension du fait qu’ils en viendront peut-être un jour à nous dominer n’est pas d’essence technologique. En réalité, notre crainte des robots n’est pas tant une question d’évolution technologique que de vision philosophique ici et maintenant.

Une confirmation nous en est donnée par le fait que cette frayeur n’est pas universellement partagée à l’échelle du globe. Comme le remarque Joi Ito, un entrepreneur japonais, dans le magazine Wired, ses compatriotes ne sont pas sujets à la même peur panique que nous à ce sujet. Joi Ito reconnaît que comme beaucoup de petits Japonais, il a grandi en regardant des dessins animés comme Neon Genesis Evangelion qui dépeignent un futur où machines et humains se fondent dans une harmonie ” cyborg “. Comme beaucoup d’enfants japonais, il a été habité par le rêve de devenir un super-héros bionique. De fait, les robots bienfaisants ont toujours fait partie de la psyché japonaise, à l’instar de leur super-héros Astro Boy, officiellement inscrit comme citoyen de la ville de Niiza, au nord de Tokyo. D’ailleurs, non seulement, les Japonais ne craignent pas nos nouveaux robots dominateurs, mais ils les attendent avec impatience.

Bien sûr, note Joi Ito, nous les Occidentaux avons également notre part de robots amis, par exemple R2-D2 ou C-3PO, les deux sympathiques droïdes de Star Wars. Mais comparé au Japon, le monde occidental est plus méfiant. Pour un R2-D2, combien de Terminator et autres robots exterminateurs dans notre science-fiction ? Mais aussi combien d’imprécateurs qui nous décrivent l’arrivée de la robotisation et du triomphe de l’intelligence artificielle comme une menace ?

Au-delà de nos cultures pop respectives – qui ont d’ailleurs tendance à se globaliser – ce distinguo tient plus à nos visions différentes de la place dévolue à l’homme dans la société via nos philosophies ou nos croyances religieuses. Pour Joi Ito, le concept occidental ” d’humanité ” est beaucoup plus réducteur que celui inscrit dans la culture japonaise. Chez nous, ce concept est en effet autocentré sur l’être humain, ce qui nous confère de facto le droit d’exploiter notre environnement – à savoir les animaux, les outils et donc les robots – simplement parce que nous sommes humains. En Occident, l’humain est ainsi pensé en rupture avec le reste du monde. Et notre anthropomorphisme, cette tendance à attribuer des qualités humaines à des choses ou à des animaux et même aux divinités trahit une vision centralisatrice de l’homme et de sa supériorité incontestable.

D’après Joi Ito, si les Japonais réussissent mieux à intégrer les robots dans la société, c’est grâce au shintoïsme, la religion quasi officielle du Japon. Contrairement aux monothéistes judéo-chrétiens et aux Grecs avant eux, les adeptes du shintoïsme ne croient pas que les humains possèdent une place à part. Pour eux, l’humanité est un ” esprit ” que l’on retrouve en tout – ils comparent d’ailleurs cela à la Force dans Star Wars. De ce fait, la nature n’appartient pas aux humains, mais c’est l’humain qui appartient à la nature. Et l’esprit vit dans tout, y compris les pierres, les outils, les maisons et même les espaces vides. Chez les Japonais, où tout est fusionné, il n’existe donc pas de résistance à l’idée des robots, mais une acceptation motivée par l’idée d’une évolution de l’intelligence machine comme une ” intelligence étendue intégrée ” plutôt qu’une ” intelligence artificielle ” qui menacerait notre ” humanité “.

Ce sont donc moins les robots qui posent problème que l’idée que nous nous en faisons. Stephen Cave, un chercheur américain, va d’ailleurs dans ce sens quand il souligne que le fantasme du robot prédateur trouve son origine dans notre propre vision occidentale de l’intelligence comme outil de domination. Par la raison d’abord, avec les philosophes européens depuis Platon, puis par l’intelligence mise en mesures et en coefficients ne faisant qu’entériner et renforcer les structures de pouvoir et de domination déjà en place.

En d’autres termes, nous n’avons pas à craindre que les robots nous déshumanisent : nous nous en chargeons parfaitement nous-mêmes. En lieu et place, nous devrions donc plutôt nous inquiéter de notre propre vision du monde déshumanisée qui nourrit ce fantasme.

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