Comment Basic-Fit veut quadriller le territoire

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Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

Avec ses prix cassés, le leader européen des salles de fitness a totalement écrémé le milieu de gamme du secteur. Mais alors que le groupe entend ouvrir à tour de bras dans les cinq prochaines années, certains affirment qu’il cherche surtout à compenser la perte de volume de ses clubs matures. La concurrence, elle, en profite pour diversifier son offre. Et tenter de réinvestir le segment.

C’est une véritable machine de guerre. Son modèle ? On ne peut plus basique. Basic-Fit, même ! Un concept standardisé et réplicable à l’infini, un très grand nombre de salles afin de réaliser des économies d’échelle sur le matériel acheté, un nombre réduit d’employés par centre, l’automatisation d’un maximum de tâches, etc. ” Plus aucune opération administrative ne s’effectue dans les salles, explique par exemple Rédouane Zekkri, COO du groupe néerlandais. Deux bornes permettent aux adhérents de choisir leur abonnement et tout le back-office est désormais centralisé aux Pays-Bas où une centaine d’agents répondent aux questions. C’est tout cela qui nous permet de proposer une première formule d’abonnement à 19,99 euros pour quatre semaines. ”

Nous visons ce que l’on pourrait appeler des villes régionales, qui peuvent parfois ne compter que 8.000 résidents, mais qui attirent les habitants des alentours.” Rédouane Zekkri (Basic-Fit)

Aux mains du fonds d’investissement 3i (par ailleurs présent dans d’autres chaînes discount comme Action ou Hans Anders), le numéro un européen des salles de fitness a décidé d’encore accroître sa présence chez nous. Et au pas de course. Exploitant à ce jour 179 salles de sport en Belgique, il entend en ouvrir 121 de plus dans les cinq ans. Rien que ça ! Et le groupe de brandir une étude du cabinet d’audit Deloitte selon laquelle seulement 7,3% des Belges (8,8 si l’on ne prend pas en compte les moins de 15 ans) sont abonnés à un centre de fitness. ” Aux Pays-Bas, on est à 18% “, relève le COO. Selon ce dernier, si ces chiffres belges sont si bas, c’est tout simplement parce qu'” il n’y a pas assez de clubs de fitness “.

Déjà présent dans la plupart des villes belges de plus de 30.000 habitants, le groupe veut aujourd’hui s’attaquer aux plus petites cités, même s’il estime qu’il y a encore du potentiel dans les grands centres urbains. ” Déjà 15 à 20% de nos clubs sont situés dans de plus petites villes, explique Rédouane Zekkri. Mais quand on sait qu’environ 50% de la population belge vit dans des cités de moins de 30.000 habitants, on comprend que le potentiel est énorme. Nous visons ce que l’on pourrait appeler des villes régionales, qui peuvent parfois ne compter que 8.000 résidents, mais qui attirent les habitants des alentours, prêts à parcourir 10 à 15 kilomètres en raison de la présence d’un cinéma, par exemple. “Dans ces petits centres, Basic-Fit recherche des espaces à louer d’environ 1.000 à 1.500 m2. ” Des emplacements commerciaux, des show-rooms automobiles, des magasins de meubles, des supermarchés, énumère notre interlocuteur. Il doit s’agir d’emplacements visibles, facilement accessibles et disposant de préférence d’un parking. ”

Qu’est-ce qui explique cet impressionnant mouvement d’expansion pour ce groupe aux 550.000 adhérents belges, qui a enregistré un chiffre d’affaires de 123,5 millions d’euros chez nous l’an dernier (117,4 millions en 2017) ? Selon certains, Basic-Fit cherche à compenser la perte de volume de ses clubs matures. ” Entre 2010 et 2016, le fitness discount a connu une croissance en volume, explique un professionnel du secteur. Vous ouvriez un club et les prix bas faisaient que vous aviez directement 2.000 à 3.000 membres. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui car les gens ont compris pourquoi ils paient un prix faible. Les salles se contentent de mettre du matériel à disposition et digitalisent un maximum d’opérations. Les clubs low cost matures ne croissent donc plus en volume. On constate même une légère diminution du nombre d’adhérents car de plus en plus de gens recherchent du service et sont prêts à payer un petit peu plus cher. ”

Rédouane Zekkri (Basic-Fit)
Rédouane Zekkri (Basic-Fit)© pg

Baisse de volume

D’après notre interlocuteur, ce n’est donc pas un hasard si Basic-Fit ne communique jamais sur la croissance de ses clubs matures. ” Annoncer une baisse de volume alors que vous êtes coté en Bourse, c’est compliqué, explique-t-il. Comment, dès lors, faire grimper ce volume ? En ouvrant de nouveaux clubs… Le groupe a par ailleurs modifié ses formules d’abonnement. Celles-ci sont passées de 15 et 20 euros par mois à 20 et 30 euros pour quatre semaines, ce qui fait 13 prélèvements par an au lieu de 12. Basic-Fit tente aussi d’accroître la rentabilité par client en offrant des services complémentaires payants. ” Une note des analystes de KBC Securities va dans le même sens. Ils ont relevé plusieurs facteurs de risque propres au business du géant du sport pas cher. Celui-ci, écrivent-ils, est ” fortement dépendant de l’ouverture de nouveaux clubs et de la capacité de ces derniers à attirer des membres. Que faire si les taux de désabonnement deviennent un problème ? ”

Beaucoup de gens ont envie de se retrouver dans un endroit rassurant, accueillant mais pas hors de prix. Nos salles sont bienveillantes, nous ne sommes pas dans l’ostentation.” Hubert Poncelet (Keep Cool)

Du côté du groupe, on réfute catégoriquement toute stratégie destinée à compenser une soi-disant baisse de volume. ” Nous connaissons une belle croissance dans l’ensemble de nos clubs “, insiste Rédouane Zekkri, qui reconnaît toutefois que le défi réside dans la rétention des clients. ” C’est la raison pour laquelle nous voulons nous rapprocher de nos adhérents, assure-t-il. Physiquement, en ouvrant de nouvelles salles, mais aussi en continuant à investir dans la technologie avec notre application mobile, nos cours collectifs virtuels, notre virtual coach ou encore notre entraînement audio. ” Concernant l’augmentation de ses tarifs, Basic-Fit explique par ailleurs que les deux nouveaux forfaits proposés lui permettent surtout de ” développer de nouveaux services et innovations”. A cette occasion, par exemple, l’application mobile est devenue gratuite dans l’abonnement.

Lieu de destination

Comment réagit la concurrence ? Face à la toute-puissance du géant orange, elle tente de se diversifier. Le groupe belge JIMS, lui aussi actif dans le créneau discount, a ainsi décidé d’adapter quelque peu son modèle. Celui qui exploite 24 salles en Belgique pour un chiffre d’affaires de 17 millions d’euros veut désormais devenir un ” lieu de destination “. ” Nous ne voulons pas rater du volume et nous resterons donc concurrentiels pour les clients qui ne veulent ‘que’ du tapis, explique son CEO, Francis Ottevaere. Mais nous allons offrir davantage de services. Dans plusieurs de nos clubs, nous proposons des cours de yoga, de boxe, des activités pour les enfants, etc., qui attirent des clients venant de plus loin. Notre stratégie est donc d’augmenter le volume en nous focalisant sur des groupes spécifiques. Nous souhaitons devenir davantage une salle de destination plutôt qu’une simple salle de proximité. ” Pour son groupe, le patron de JIMS estime le potentiel à 50 espaces. ” Nous visons les grandes villes “, affirme-t-il.

Mais le responsable pointe aussi l’importance du personnel dans son business model. ” Alors que d’autres se contentent de mettre de matériel à disposition et de digitaliser un maximum d’opérations, notre réflexion part de l’équipe. Nous faisons appel à des employés qualifiés et nous leur fournissons une application pour les aider à coacher. C’est tout à fait différent. ”

Hubert Poncelet (Keep Cool)
Hubert Poncelet (Keep Cool)© pg

Réinvestir le milieu de gamme

Si des acteurs low cost comme JIMS décident de faire évoluer leur modèle, d’autres entendent tout simplement réinvestir un milieu de gamme qui avait totalement disparu avec l’arrivée de Basic-Fit. Depuis, le marché belge des salles de fitness s’était en effet scindé entre, d’une part, des acteurs très axés value for money (meilleure offre possible pour un prix plancher), et, d’autre part, des joueurs plus haut de gamme tels Aspria, David Lloyd ou L’Usine ( lire l’encadré ” Le fitness de luxe, catégorie à part “). Le groupe français Keep Cool, numéro 2 dans l’Hexagone (près de 300 salles) derrière… Basic-Fit, faisait ainsi son entrée sur le marché belge cet été, ouvrant une première salle avenue de la Toison d’or, à Saint-Gilles. Aux mains de l’entreprise familiale française DG Developpement, la marque est pilotée chez nous par un franchisé, Groupe 3S, à la tête duquel on retrouve le Belge Grégory de Radiguès. L’objectif de ce nouveau joueur est clair : se poser en alternative dans un marché complètement polarisé. ” Parmi les 8,8% de Belges inscrits dans une salle de fitness, 70% le sont dans une salle discount car il n’y a pas d’autre choix “, affirme Hubert Poncelet, general manager de Keep Cool Belgium.

La nouvelle chaîne smart cost – c’est ainsi qu’elle se définit – propose, pour des prix allant de 24,9 (tarif étudiant) à 34,9 euros par mois avec engagement annuel – (47,9 euros par mois sans engagement) un service tout compris. ” Chaque adhérent peut suivre un programme individualisé et rencontrer un coach régulièrement, précise le responsable. Il peut s’inscrire à des cours collectifs en petits groupes. ” Keep Cool met également à disposition des douches individuelles et un sauna. Si ce nouveau joueur ne donne aucun objectif chiffré en termes d’ouvertures, il entend, dit-il, devenir ” un acteur incontournable de la remise en forme qualitative en Belgique “. ” Beaucoup de gens, pour faire leur sport, ont envie de se retrouver dans un endroit rassurant, accueillant mais pas hors de prix, estime Hubert Poncelet. Nos salles sont bienveillantes, nous ne sommes pas dans l’ostentation et il n’y a aucune pression ou jugement. C’est le sport sans la frime. ”

Le fitness de luxe, une catégorie “à part”

Miguel van Ackere (Aspria)
Miguel van Ackere (Aspria) ” Nous sommes davantage positionnés sur le conseil ‘santé’ plutôt que sur la condition physique. “© pg

Miguel van Ackere sait que Basic-Fit compte presque doubler son réseau chez nous dans les cinq ans. Mais l’information n’aura sans doute toutefois aucun impact sur son business, qui appartient à un segment bien différent du secteur du fitness. ” Nous proposons tout sous le même toit, explique le directeur général de l’Aspria Louise, l’un des trois clubs haut de gamme que possède le groupe britannique à Bruxelles. Des terrains de tennis, des crèches, des salles de réunion, et même un hôtel ( dans le club de la Rasante, Ndlr). Des activités sont en outre proposées pour toute la famille, car les enfants sont aussi les bienvenus. Enfin, nous sommes davantage positionnés sur le conseil ‘santé’ plutôt que sur la condition physique. ”

Comme tout le monde, le responsable a constaté les conséquences de l’arrivée de Basic-Fit sur le milieu de gamme. ” Le groupe a cassé le marché, analyse-t-il. Pas mal d’acteurs ont fait faillite. Certains, pour résister, ont bifurqué vers le wellness en proposant un spa, un hammam, un sauna. Leur business se centre aujourd’hui davantage sur les soins du corps et les massages détente. ”

Miguel van Ackere pense-t-il qu’il soit possible pour certains acteurs de reconstruire un fitness milieu de gamme ? ” Ce n’est pas avec une salle qu’ils feront la différence, affirme-t-il. Maintenant, il y a peut-être des clients qui veulent avoir un environnement un peu plus classe que Basic-Fit, sans pour autant payer un prix Aspria. ”

Basic-Fit, c’est…

– Une présence dans cinq pays (Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, France, Espagne)

– Un chiffre d’affaires de 408 millions d’euros (123,5 millions en Belgique)

– 1,8 million d’adhérents (500.000 en Belgique)

– 682 salles (179 en Belgique)

– Une dette nette de 333 millions d’euros

– Un résultat net de 21,1 millions d’euros

– Un Ebitda de 125,8 millions d’euros

– Une capitalisation boursière de 1,4 milliard d’euros

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