Comment Amazon prépare le casse du siècle

© GETTY IMAGES

Micro-ondes, réveil, écouteurs, prise murale, lunettes connectées, caméra vidéo… Amazon lance une nouvelle gamme complète d’appareils domestiques. Leur point commun ? Tous sont équipés de l’assistant vocal Alexa, la nouvelle porte d’entrée vers l’écosystème Amazon. C’est une offensive sans précédent pour le géant de l’e-commerce, qui rêve de devenir le majordome virtuel de votre foyer.

Lors de sa dernière keynote, la firme américaine a surpris tout le monde en dévoilant une panoplie de nouveaux appareils griffés Amazon. En distillant ces produits domestiques aux quatre coins de votre maison (et au-delà), le géant du Net est capable d’accompagner toutes les étapes de votre journée.

Amazon peut vous tirer de votre lit grâce à son réveille-matin, réchauffer votre chocolat chaud grâce à son four à micro-ondes, vous donner la météo du jour via une mini-enceinte cachée dans une prise murale, vous indiquer le chemin avec son kit mains libres installé sur votre tableau de bord, faciliter la livraison de vos colis avec son système de serrure connectée, veiller sur votre chien en l’équipant d’un collier l’empêchant de sortir de votre jardin, etc. Des dizaines et des dizaines d’appareils, du plus basique au plus perfectionné, du plus utile au plus futile, sont venus gonfler l’offre d’Amazon. Un véritable inventaire à la Prévert.

Des milliards de conversations par semaine

Derrière le côté gadget de certaines annonces, la nouvelle stratégie de la marque commence à se dessiner. Les appareils présentés par la firme américaine témoignent de la volonté d’Amazon de servir de compagnon de route à tous nos usages quotidiens. Pour y arriver, la société créée et dirigée par Jeff Bezos dispose d’un atout majeur : son assistant intelligent Alexa.

Jeff Bezos rêve de faire de son entreprise une plateforme ubiquitaire, présente dans tous les segments du marché digital.

Ce logiciel, qui répond aux commandes vocales de ses utilisateurs, est un équipement de série pour tous les appareils connectés d’Amazon. Mais l’empreinte d’Alexa s’étend bien au-delà : la firme a en effet conclu des accords avec des partenaires, qui intègrent l’assistant vocal dans leurs propres produits. Plus de 60.000 appareils créés par plus de 7.400 fabricants sont aujourd’hui équipés d’Alexa. La barre des 100.000 applications vocales utilisant le célèbre assistant vient même d’être franchie. Amazon estime que sur base hebdomadaire, le nombre d’interactions vocales avec Alexa se compte en… milliards !

La nouvelle cible d’Amazon, ce sont les foyers du monde entier. ” Comme General Electric – la firme créée par Thomas Edison – a fini par fabriquer tous les objets qui, de près ou de loin, utilisaient la magie de l’électricité, Amazon imagine son système partout, sur tous les objets de notre vie quotidienne. Cette offensive peu banale masque une ambition qui l’est encore moins : devenir, à terme, l’équivalent de Carrefour plus IBM plus Google plus Apple plus Netflix… Il prépare pour cela le casse du siècle “, écrit Philippe Escande, éditorialiste économique au journal Le Monde.

Ubiquité numérique

Amazon a bouleversé le secteur du commerce et de la grande distribution, avec un modèle unique au succès phénoménal. Mais son statut de leader de la vente en ligne ne suffit plus à l’appétit insatiable de son patron Jeff Bezos. Il rêve de faire de son entreprise une plateforme ubiquitaire, présente dans tous les segments du marché digital. Grâce à sa filiale AWS, Amazon est parvenue à s’imposer sur le marché de l’informatique dématérialisée, au nez et à la barbe de mastodontes comme IBM et Google. Elle se développe aussi dans le secteur du divertissement, et notamment du streaming vidéo, comme un certain Netflix.

La firme américaine n’est cependant pas parvenue à profiter pleinement de toutes les mutations de l’économie numérique. Sa tentative de concurrencer Apple ou Samsung avec son propre téléphone, le Fire Phone, s’est soldée par un échec. L’entreprise ne s’est pas imposée au coeur des usages mobiles des particuliers. ” Amazon n’a pas réussi à développer un système d’exploitation universel comme l’ont fait Google avec Android et Apple avec iOS. Amazon a loupé le virage du smartphone “, analyse Alexandre de Saedeleer, managing director chez Tapptic, agence spécialisée dans le développement d’applications.

La société de Jeff Bezos compte bien se rattraper grâce au développement de l’intelligence artificielle et de la reconnaissance vocale, deux technologies dans lesquelles Amazon investit depuis de nombreuses années. En les combinant, l’entreprise a créé Alexa, son assistant vocal intelligent. Mais la firme s’est jusqu’à présent heurtée à un problème de distribution de cette technologie. Contrairement à Apple, qui a placé son assistant Siri dans ses iPhone, Amazon ne peut pas installer Alexa dans des centaines de millions de smartphones en un claquement de doigts. Contrairement à Google, qui a équipé tous les téléphones Android avec son Assistant, Amazon ne dispose pas non plus d’un système d’exploitation mondial permettant une diffusion rapide d’Alexa.

Pour imposer son assistant vocal dans notre vie quotidienne, Amazon a d’abord misé sur ses enceintes connectées. La gamme de produits Echo, lancée en 2014, s’est progressivement agrandie. Et elle commence à trouver son public. En 2018, un Américain sur cinq possédait une enceinte connectée. Septante pour cent de ce matériel étaient de marque Amazon.

L'assistant intelligent Alexa est un équipement de série pour tous les appareils connectés d'Amazon.
L’assistant intelligent Alexa est un équipement de série pour tous les appareils connectés d’Amazon.© GETTY IMAGES

Une galaxie d’objets interconnectés

Mais pour l’entreprise, il faut aller plus loin et plus fort. Plutôt que de miser sur un seul appareil (le smartphone), la firme fait donc le pari de l’installer dans une myriade d’objets connectés. ” C’est la stratégie du shotgun. Amazon tire dans toutes les directions, en se disant qu’elle finira bien par toucher une cible “, illustre Alex Debecker, fondateur et directeur marketing d’Ubisend, société spécialisée dans les chatbots (logiciels conversationnels) et l’intelligence artificielle.

Tous ces petits appareils interconnectés rendront de menus services au quotidien. Et le majordome virtuel Alexa, grand organisateur de ces interconnexions, tentera de se rendre indispensable à des millions de consommateurs. Pour Amazon, c’est une opportunité unique de devenir le point central de l’organisation numérique de la maison. Avec toutes les inquiétudes qui accompagnent ce mouvement, notamment en matière de protection de la vie privée.

Les grandes oreilles d’Alexa

Alexa, contrairement aux occupants de la maison, ne dort jamais. L’assistant écoute en permanence les sons du foyer et les conversations des occupants, même les plus intimes. Toutes ces données sont protégées et anonymisées, assure Amazon. Mais elles sont aussi agrégées et traitées par les logiciels d’intelligence artificielle de la firme, notamment pour améliorer les recommandations de produits à l’intention de ses utilisateurs. Par ailleurs, Amazon n’efface pas les enregistrements, sauf si vous le demandez. Aux Etats-Unis, des conversations ” privées ” ont déjà été produites lors de certains procès. Quant au FBI, il refuse de confirmer ou infirmer qu’il utilise Alexa à des fins de surveillance.

La multiplication des objets connectés dans notre maison augmentera mécaniquement la capacité de collecte des données personnelles. Mais ce n’est pas le seul objectif d’Amazon. Si la firme commercialise un produit aussi basique qu’un réveil, c’est aussi pour des raisons d’efficacité.

La reconnaissance vocale, qui a fait d’énormes progrès, mais qui n’est pas encore totalement au point, fonctionne mieux pour des ordres simples. ” L’idée d’Amazon est de compartimenter au maximum les interactions vocales avec les objets connectés, explique Alex Debecker. Plus les commandes sont spécifiques, plus elles sont efficaces. Allumer une télévision ou éteindre une lampe avec la voix, ça fonctionne très bien, le consommateur peut vite s’y habituer. ” S’il s’habitue à commander vocalement un petit appareil banal comme un interrupteur, il peut vite se laisser convaincre d’utiliser Alexa dans d’autres circonstances.

Sur les traces de Xiaomi

En étendant sa gamme d’objets connectés, la firme multiplie les points d’entrée possibles pour sa technologie vocale. En ce sens, le géant américain suit les traces d’une autre entreprise ambitieuse, mais beaucoup plus modeste : Xiaomi. Présenté comme ” l’Apple chinois ” sur le marché du smartphone, Xiaomi est aussi le champion des objets connectés (ventilateurs, brosses à dents, lampes de chevet, etc.), qu’il déploie à l’infini dans l’espoir d’installer durablement ses services numériques dans les foyers chinois et occidentaux. Autre point commun avec le fabricant chinois : le prix. ” Le niveau de pricing d’Amazon reste assez accessible, remarque Alexandre de Saedeleer. Ses appareils sont parfaits pour de petits cadeaux de Noël. ”

Paradoxalement, la multiplication de ces petits appareils est aussi une manière de rendre la présence d’Alexa encore plus discrète, ajoute Alexandre de Saedeleer : ” En branchant un tout petit appareil dans une prise, vous pouvez discuter avec Alexa sans même vous tourner vers une enceinte centrale. On en oublie complètement où est l’assistant “. Présent partout et nulle part à la fois, le majordome virtuel Alexa se profile comme un nouveau compagnon domestique aux grandes oreilles, prêt à tout pour vous rendre service.

Partner Content