Clarke au pays des damnés

Quelle n’est pas la surprise pour Sorraya Safienddine et son mari, tous deux immigrés, de découvrir que leur bébé, prénommé Aisha et né dans cet hôpital de Copenhague par une froide matinée de novembre 2017, est une magnifique fille blonde aux yeux bleus ! Et aussi incroyable que cela puisse paraître, les tests ADN confirment qu’elle est bien la fille de ses parents.

Le lecteur de cette bande dessinée haletante et maline découvre très vite que 830 enfants blonds aux yeux bleus sont nés dans les communautés immigrées. En cause : un virus inconnu. Ce postulat de départ est l’idée géniale de ce nouveau one shot de Clarke, le ” papa ” de Mélusine. Comme si le dessinateur-auteur avait imaginé une relecture ” à l’envers ” du film de Wolf Rilla, Le village des damnés. ” J’y fais d’ailleurs une petite allusion “, sourit l’intéressé. ” Plus sérieusement, ajoute-t-il, certains discours réactionnaires parlent de l’immigration comme une espèce de contamination de l’Europe. Je me suis demandé ce que cela donnerait si c’était nous qui étions contagieux. Prendre une problématique sous un autre angle s’avère parfois intéressant parce que ça désamorce le discours ambiant. ”

Les aéroports deviendraient des cibles ! Pour empêcher les immigrés contaminés de rentrer chez eux !

Cette bande dessinée très contemporaine dans les thématiques abordées – le repli sur soi, la quête identitaire, la génétique – et dans la forme aussi ( Les Danois se lit comme un thriller SF) est née dans la foulée des attentats de Charlie Hebdo. ” Nous étions dans une telle psychose, se souvient Clarke. C’était un contexte curieux que de voir les gens se sentir submergés par une vague ‘musulmane’. ”

Clarke revendique fièrement son ouverture d’esprit. ” Je suis pour une mondialisation ethnique, raciale, tout ce qu’on veut, clame le Liégeois. Par contre, je suis désespérément contre la mondialisation économique et financière. C’est anormal que des lobbys soient au-dessus des Etats. Plutôt que se battre contre des réfugiés arrivés chez nous parce qu’ils n’ont plus de foyer, on pourrait peut-être se battre contre la dette publique ou contre les banques mondiales qui décident qu’un pays est en dette ou pas. De quel droit ? Je ne comprends pas. Ça n’a pas de sens de se battre contre ces réfugiés qui n’ont simplement pas le choix. ”

En lisant l’ouvrage, on se dit aussi que le choix du Danemark pour situer son récit n’est pas anodin. ” Je suis allé à Copenhague à plusieurs reprises, raconte Clarke. C’est une ville agréable. Il y a, comme je le dessine, un quartier un peu baba cool et altermondialiste. C’est vrai que c’est aussi au Danemark qu’il y a eu toute cette polémique autour des caricatures de Mahomet. Récemment, j’ai été interviewé par deux journalistes danois qui ne comprenaient pas pourquoi j’avais appelé la bande dessinée Les Danois. J’ai dû les rassurer parce qu’ils pensaient que mon bouquin parlait de l’extrême droite alors que ce n’est pas du tout le thème du livre… qui ne sortira de toute façon pas au Danemark. “.

Clarke se cache derrière Martin, le personnage principal, pour prôner un monde de demain qui sera de toute façon de plus en plus métissé. A l’inverse, l’auteur de Dilemma se défend d’avoir écrit un livre politique. ” On ne fait jamais que donner sa vision du monde, assure-t-il. Les Danois n’est pas un bouquin à message ni un commentaire politique mais juste la façon dont je vois ce monde avec une manière de résoudre le problème sans aucune intellectualisation de ma part. ” Voilà qui a le mérite d’être clair.

Clarke, ” Les Danois “, éditions du Lombard, 104 p., 17,95 euros.

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