HEC Liège et la Banque de Luxembourg ont décidé de fonder une chaire en entreprises familiales

© Pg/Philippe Matsas

Sa vocation: mener des recherches académiques autour de ce modèle qui concerne quelque 75% du paysage entrepreneurial belge.

L’entreprise familiale a le vent en poupe. C’est le modèle d’organisation que l’on rencontre le plus parmi les sociétés commerciales. On estime ainsi que deux tiers des entreprises au sein de l’Union européenne sont familiales et 75% en Belgique. Celles-ci sont louées pour leurs valeurs, leur culture, leur contribution à la création de richesse et d’emplois, leur pérennité ou encore leur rôle social dans les territoires où elles sont implantées. N’en jetez plus, la coupe est pleine ou presque. Rien d’étonnant à ce qu’elles soient également de plus en plus l’objet d’un intérêt croissant de la part des écoles de commerce. C’est le cas aussi à HEC Liège qui a franchi au début de cette année une étape supplémentaire avec le lancement d’une chaire qui leur est spécifiquement dédiée, en collaboration avec la Banque de Luxembourg.

HEC Liège et la Banque de Luxembourg ont décidé de fonder une chaire en entreprises familiales
© pg/ Philippe Matsas

Partenariat naturel

La chaire Banque de Luxembourg en entreprises familiales est dirigée par Nathalie Crutzen, professeure à HEC Liège, et compte une chercheuse, Raphaëlle Mattart. ” La particularité de l’entreprise familiale est qu’elle mêle entreprise, famille et individu dans des interactions originales et complexes à gérer, analyse Nathalie Crutzen. Cette thématique suscite de plus en plus d’intérêt. Ainsi, en 2017, nous avons lancé un cours à option consacré à l’entreprise familiale qui réunit une soixantaine d’étudiants alors que pour un cours à option, la moyenne tourne en général autour d’une trentaine. Avec la Banque de Luxembourg et cette chaire, nous entendons aller plus loin et approfondir le sujet. Le partenariat est noué pour une période de trois ans avec la volonté de poursuivre à plus long terme. ” Ce que confirme Philippe Depoorter, membre du comité exécutif de la Banque de Luxembourg.

Au-delà de l’analyse et des questions, cette recherche académique visera également à apporter des solutions.

Présente en Belgique depuis 2010, cette institution exerce le métier de banquier privé depuis près de 100 ans. Elle dispose de deux centres dans notre pays, à Bruxelles et à Gand, et sa clientèle se recrute à hauteur de 60 à 70% parmi les entrepreneurs familiaux. Il était donc logique et naturel qu’elle s’interroge sur ce drôle d’animal qu’est l’entreprise familiale et initie avec HEC Liège cette chaire spécifique. D’autant que ces questions, elle se les pose depuis de nombreuses années, soutenant déjà la recherche académique appliquée, notamment en Allemagne avec le WiFu (Wittener Institut für Familienunternehmen). La Banque de Luxembourg avait par ailleurs aussi été précédemment aux côtés de l’Ichec durant une bonne dizaine d’années en tant que partenaire fondateur, puis principal, de sa chaire Familles en entreprise. Et c’est aussi en partenariat avec l’école bruxelloise que la Banque de Luxembourg a lancé entre autres l’Académie d’été, qui s’adresse aux filles et fils d’entrepreneurs familiaux qui se demandent s’ils vont intégrer ou pas la société de leurs parents et ne savent pas comment aborder la question. L’édition 2019 de cette académie se déroulera fin août au château de la Poste, dans le domaine de Ronchinne, en partenariat avec l’Institut pour l’entreprise familiale et HEC Liège.

NATHALIE CRUTZEN (CHAIRE EN ENTREPRISES FAMILIALES):
NATHALIE CRUTZEN (CHAIRE EN ENTREPRISES FAMILIALES): ” La particularité de l’entreprise familiale est qu’elle mêle entreprise, famille et individu dans des interactions originales et complexes à gérer. “© pg

Le sens du modèle familial

La thématique de recherche générale de la nouvelle chaire sera donc, pendant les trois prochaines années, de questionner le modèle de l’entreprise familiale. Et de répondre plus précisément à la question suivante : ” Jusqu’où ce modèle familial fait-il sens ? “. Une question qui en appelle une foultitude d’autres. Philippe Depoorter en détaille quelques-unes : ” Quels sont les effets – éventuellement pervers sur le plan humain ou économique – du dogme de la croissance et du temps sur l’efficacité du modèle familial ? Quelle est la capacité et/ou la résistance de l’entreprise et de la famille à s’ouvrir ou à évoluer, notamment pour éviter les effets d’une forme de consanguinité ? A quel moment serait-ce nécessaire ? Quand la famille devient-elle un poids pour l’entreprise ? Et à l’inverse, quand l’entreprise menace-t-elle de détruire la famille ? ”

” On peut aller plus loin dans le questionnement, poursuit-il. Dans certains cas, continuer à travailler en famille n’a plus de sens, par exemple. De la même manière, le principe du ‘droit du sang’ appliqué à la propriété ne me semble plus acceptable aujourd’hui. Une entreprise familiale où la succession est promise à la fille ou au fils, quelles que soient ses capacités et qualifications, prend le risque de voir s’éloigner des personnes compétentes qui auraient pu la faire progresser. Parce que de nombreux collaborateurs de qualité comprennent rapidement qu’il leur sera impossible de progresser dans un tel ‘système monarchique’. ”

Recherche appliquée

Bien sûr, au-delà de l’analyse et des questions, cette recherche académique visera également à apporter des solutions. ” Nous souhaitons proposer toute une série de ‘remèdes’ et de mesures préventives afin de résoudre les problèmes ou les difficultés qui auront été mises en évidence “, explique Philippe Depoorter. Parmi ces ” remèdes “, on songe par exemple à l’ouverture de la société familiale afin de faire ” entrer de l’air frais “. Et Philippe Depoorter d’évoquer des pistes telles que le management buy-out, le leveraged buy-out, l’introduction d’investisseurs passifs ou actifs comme des fonds de private equity, les participations croisées, les fondations actionnaires, l’entrée partielle en Bourse, etc.

” Il est vraiment important de questionner ce modèle familial qui est encensé – souvent à juste titre – et d’en interroger les limites, enchaîne-t-il. Dans ma pratique auprès de familles luxembourgeoises ou belges, je vois beaucoup de belles histoires mais également des terrains de progrès potentiels. C’est notamment le cas quand on s’intéresse au dialogue intergénérationnel, au rôle des conjoints, à la place de l’argent et du patrimoine immatériel dans les dynamiques familiales. Tout cela me conduit à affirmer que l’entreprise et le modèle familiaux ne doivent pas être considérés comme une fin en soi. J’aime cette superbe citation d’un fondateur d’entreprise qui rappelait à ses deux fils : ‘je n’ai pas créé cette entreprise pour que mes enfants la reprennent mais parce que c’était mon chemin de vie’. ”

La recherche concernera des entreprises familiales belges et luxembourgeoises et sans doute quelques sociétés du nord de la France. Partenaire de la chaire, la Banque de Luxembourg appelle également les entreprises familiales à s’engager et financer celle-ci, à l’image de ce qui se fait avec le WiFu qu’une cinquantaine de grosses entreprises allemandes soutiennent. Une participation qui ne peut être qu’enrichissante pour toutes les parties prenantes.

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