Ce bonheur qui est le nôtre

Alice, la quarantaine, a choisi d’élever seule son fils, Achille. Son salaire de vendeuse de chaussures lui permet de vivre ” tout juste “, comme elle le dit. Et quand le magasin qui l’embauche fait faillite, la réalité des fins de mois difficiles et le spectre de la pauvreté surgissent. Une fois toutes les solutions épuisées, lui vient une idée saugrenue : enlever un bébé et demander une rançon. Elle passe à l’action. Ultime malchance : la petite fille n’est réclamée par personne, sa disparition n’ayant même pas été remarquée devant la crèche où le rapt s’est produit. Une méprise lui fait rencontrer Tom, écrivain moyen, venant de se faire larguer et cherchant le moyen de payer ses factures. Il s’est évité, jusque-là, les boulots alimentaires. Touché par la détresse d’Alice, Tom devient le complice d’une drôle d’histoire . ” Ce qu’on va faire, c’est un braquage. Un braquage sans violence, sans arme, sans otage et sans victime “, lui propose Alice. Elle lui confie la mission d’écrire un livre, dont elle serait l’auteure présumée. Le début d’un ” braquage culturel “. ” Le livre qu’on va écrire ne doit surtout pas venir remettre en question les opinions des gens, sinon les gens n’en voudront pas “, insiste la jeune femme.

Dans les romans, le bonheur ça dure longtemps. Très longtemps…

Galerie de personnages

” J’avais envie d’un livre qui commence mal et se termine bien “, nous explique l’auteur de Feel Good, Thomas Gunzig, habitué des récits sombres à la violence sourde, qui entend ici dézinguer les injonctions permanentes au bonheur dont nous bassine la société. Alice abandonne régulièrement Achille devant une tablette quand elle rentre du travail. Elle sait que les magazines préconisent le moins d’écrans possibles. ” Qu’ils aillent se faire foutre avec leurs articles ! “, se déculpabilise-t-elle.

Dans cet ouvrage, le romancier bruxellois rappelle aussi qu’il est un excellent croqueur de personnages, tendant le fil de leur existence de l’enfance jusqu’à l’âge adulte, leur offrant à chacun un ton caractéristique, si riche de références et d’images qu’il les identifie en permanence. ” J’espère que mes personnages ne sont pas archétypaux, se défend Thomas Gunzig. J’ai veillé à les travailler dans la chair. Ils ne se battent pas tant pour le bonheur que pour leur survie. Ils vont tout essayer, même les choses les plus improbables. ”

Ode à la liberté

Nul hasard si Tom est écrivain. ” Moi aussi j’ai choisi de vivre de l’écriture mais j’ai peur tout le temps, parce que c’est un métier trop incertain. ” poursuit Thomas Gunzig. Pourquoi écrire dès lors ? ” Cela offre une qualité de vie. Je suis libre, même si je paye cette liberté. ” Et ce n’est certainement pas pour donner la leçon qu’il enchaîne depuis 20 ans les histoires en formes d’observation sociétale et de satire. Si l’auteur de La vie sauvage et de Mort d’un parfait bilingue se revendique bien d’un chose, c’est de tendre à être un bon raconteur d’histoires, une mission qui détonne quelque peu dans la production littéraire actuelle. ” Aujourd’hui, on a envie de lire un livre avec un sujet (social, politique…). On se fiche de qui écrit. Mais pour moi, le vrai sujet reste l’écriture. Le style et la structure sont l’essence d’un livre. ” ” Les grandes idées ne sont que foutaises “, disait Nabokov.

Qu’importe donc les invraisemblances, Thomas Gunzig souhaite provoquer par son écriture la si chère ” suspension consentie de l’incrédulité ” vantée par le poète britannique Coleridge. ” Le roman, c’est le lecteur qui le fait. ” Et de distiller dans son récit quelques éléments de cette réflexion, parlant de la littérature ” telle qu’elle se fait “, en étant animé par des bons et mauvais sentiments, à l’instar de ce qui motive Tom à voler au secours d’Alice. Il a de toute façon déjà renoncé à la gloire… Feel Good résonne ainsi comme une ode à la liberté d’être qui l’on veut, de vivre le bonheur que l’on souhaite.

Thomas Gunzig, ” Feel Good “, éditions Au Diable Vauvert, 400 pages, 20 euros.

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