Bulle “boursière” et bulle “Zemmour”, même combat?

Amid Faljaoui

A priori, dans un éditorial économique, pas de raison d’évoquer le phénomène Eric Zemmour. Détrompez-vous, des parallélismes peuvent être identifiés entre les mécanismes de l’économie et le trublion de la politique française. D’abord, il y a ceux et celles qui parlent d’une “bulle médiatique” à propos de Zemmour mais croient qu’en lui coupant le micro, on arrêtera sa progression dans les sondages. Erreur de raisonnement: une bulle immobilière ou en Bourse ne se crée pas par l’opération du Saint-Esprit. Ici, elle vient des taux d’intérêt extrêmement bas depuis des années. Et comme les épargnants cherchent du rendement, immobilier ou Bourse grimpe automatiquement, faute d’alternative.

Habitué au choix, l’électeur ne veut plus être limité à l’offre binaire que les élites de droite ou de gauche voudraient lui imposer.

Même remarque donc pour Zemmour: ce n’est pas une bulle qui vient de nulle part, comme le rappelle Le Figaro. Cet ancien journaliste écrit des livres depuis plus de 20 ans. Ses idées ne sont pas neuves et plaisent à une frange de la population depuis belle lurette. Et c’est ce même Zemmour qui est chroniqueur vedette depuis plus de 15 ans sur diverses chaînes françaises. Dire donc que Zemmour est une “bulle” médiatique, c’est mentir. Ladite “bulle” a été fabriquée pendant des années par des médias en mal de clics et d’audience (dans leur jargon, on dit hypocritement “engagement”) et qui aujourd’hui font mine de s’effrayer de sa montée dans les sondages. D’ailleurs, ne sont-ce pas les mêmes qui s’insurgent contre ses idées mais qui font de l’audience en l’invitant ou en parlant de lui?

En d’autres mots, oui, exactement comme les taux d’intérêt bas fabriquent des bulles “boursières” et “immobilières”, le modèle économique actuel des médias et des réseaux sociaux peut aussi fabriquer des bulles “politiques ou médiatiques” notamment parce que l’audience se nourrit de personnes très clivantes ou de sujets abrasifs.

Mais continuons notre parallèle économique: aujourd’hui, les entreprises sont confrontées à des pénuries de produits, elles font donc appel à des fournisseurs alternatifs pour ne pas avoir à subir trop longtemps ces ruptures de stock. Là encore, même comparaison avec la politique: tous les sondages disaient que l’élection présidentielle allait se jouer dans un tango Macron-Le Pen. Mais le hic, c’est que Macron n’a plus la fraîcheur de la nouveauté. De la même manière, les éventuels perturbateurs de type Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon ne sont plus des perdreaux de l’année, tous deux s’étant déjà présentés deux fois à l’élection présidentielle. Les revoir pour une troisième tentative, c’est lassant pour les électeurs en mal de débats plus salés et pimentés.

Qu’ont fait alors une partie d’entre eux? Ils sont allés chercher un autre fournisseur d’idées répondant mieux à leur angoisse sourde du déclin de la France et de leur hantise fantasmée “du grand remplacement”. Bref, Eric Zemmour est venu rompre la “monotonie d’une offre prévisible” comme l’écrit joliment Le Figaro. La politique, c’est donc bien aussi une question d’offre et de demande. Habitué au choix (il va aussi sur Amazon…), l’électeur ne veut plus être limité à l’offre binaire (Macron-Le Pen) que les élites de droite ou de gauche voudraient lui imposer. “On a créé un monstre qui est en train de nous échapper”, aurait confié un journaliste à nos confrères de Médiapart.

Voulue ou pas, l’allusion au monstre du Dr Frankenstein est la bonne car elle pose aussi la question du modèle économique vicié des médias d’aujourd’hui. Celle-ci s’était déjà posée aux Etats-Unis avec Donald Trump. Or, ici aussi, les médias français feignent de découvrir ce problème qu’ils ont eux-mêmes provoqué pour partie. Au fond, ce qui m’étonne, c’est leur étonnement.

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