Au coeur du futur réacteur nucléaire belge Myrrha

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Bastien Pechon Journaliste

En développement au Centre d’étude de l’énergie nucléaire, à Mol, cette infrastructure de recherches développera de nouveaux radio-isotopes pour lutter contre le cancer. Pleinement opérationnelle en 2033, elle pourrait même réduire la durée de vie des déchets nucléaires.

“Nous arrivons dans une zone contrôlée. Le port du dosimètre est obligatoire “, prévient Maud Vanderthommen, responsable communication du Centre d’étude de l’énergie nucléaire (CEN) installé à Mol, dans la province d’Anvers, près de Turnhout. Attachée à notre badge, cette petite puce ronde mesure la radioactivité. Dans les couloirs, des panneaux jaune vif parés d’un sigle très particulier rappellent à intervalles réguliers que des matières radioactives sont manipulées dans les différents laboratoires. Notamment derrière cette porte grise.

“Vous êtes dans l’antre d’un réacteur nucléaire”, s’exclame le directeur du projet Myrrha, Hamid Aït Abderrahim. Myrrha ? L’acronyme de Multi-purpose hYbrid Research Reactor for High-tech Applications, une nouvelle infrastructure de recherches du centre de Mol. Quant à l’étrange machine métallique, bardée de câbles que le directeur nous présente, elle s’appelle Venus, comme Vulcan Experimental Nuclear System, un réacteur nucléaire de recherche dont le coeur se trouve pratiquement sous nos pieds.

Aujourd’hui, nous avons démontré ce principe de ‘transmutation’ à l’échelle d’un laboratoire. Ce n’est pas de la science-fiction. ” Hamid Aït Abderrahim

En fonction depuis 1964, Venus était d’abord un réacteur similaire à ceux de Doel et de Tihange, à une échelle beaucoup plus réduite. Il n’a cependant pas été conçu pour produire de l’électricité, mais pour tester les réactions nucléaires à une faible puissance. De 2008 à 2009, le réacteur a été profondément transformé dans le cadre du projet Guinevere. Objectif : créer un modèle réduit de Myrrha, qui ne devrait être opérationnel qu’en 2033. La partie la plus visible de cette transformation se situe au-dessus du réacteur lui-même.

Le réacteur Venus,
Le réacteur Venus, “customisé” pour accueillir le projet Guinevere.© pg

” Cet étage n’existait pas en 2007 “, poursuit Hamid Aït Abderrahim après avoir grimpé les marches qui mènent au niveau supérieur. Au centre de la pièce, une immense cage enferme le coeur d’un accélérateur de particules : une imposante boîte et deux étranges cylindres rouges. Cet ensemble produit les protons, qui sont à la base de la réaction en chaîne du processus nucléaire. Le principal intérêt du projet Guinevere, c’est sa capacité à rendre le réacteur Venus ” sous-critique “, c’est-à-dire que celui-ci doit être constamment alimenté par une source externe. De sorte que, lorsque l’accélérateur de particules s’éteint, la réaction nucléaire s’arrête, minimisant les risques d’emballement, d’une élévation incontrôlée de la température, et donc d’une fusion du coeur du réacteur. Couplé à un immense accélérateur de particules, Myrrha fonctionnera de manière similaire.

” Reactor: off. Accelerator: off. ” Dans la salle de contrôle du réacteur Venus, dans le bâtiment qui abrite Guinevere, le siège du pilote est vide. A son bureau, une série d’écrans représentent les barres de combustible et de contrôle qui arrêtent la réaction nucléaire. Les aiguilles des cadrans sont immobiles. Comme l’indique le moniteur accroché au mur, le réacteur et l’accélérateur sont effectivement bel et bien éteints.

L'accélérateur de particules de Myrrha aura une longueur de près de 300 mètres.
L’accélérateur de particules de Myrrha aura une longueur de près de 300 mètres.© pg

Réduire la durée de vie des déchets nucléaires

Mais ce projet Myrrha a d’autres avantages. A quelques pas du bâtiment Guinevere, une équipe de chercheurs s’affairent à tous les étages d’un grand hall. Notamment autour d’une immense cuve de 2,5 m3. Sa surface est si chaude qu’elle empêche d’y poser la main plus de quelques secondes. Son couvercle est bardé de capteurs de températures. Il s’agit d’une réplique, à taille réduite, de la cuve du futur Myrrha. Mais qu’y-a-t-il dans cette grande marmite ? La réponse se trouve à l’intérieur d’une cage de verre, disposée un peu plus loin. Après avoir enfilé une paire de gants noirs, nous plongeons une spatule métallique dans un bac rempli d’un liquide argenté. C’est un mélange de plomb et de bismuth, un alliage qui devient liquide à 125 °C. Dans Myrrha, ce liquide remplacera l’eau, traditionnellement utilisée pour refroidir un réacteur nucléaire. Un choix qui s’avère particulièrement intéressant pour raccourcir la durée de vie de certains déchets nucléaires.

Pour bien comprendre l’enjeu, il faut plonger au coeur des cuves remplies d’eau des réacteurs de Doel ou de Tihange, par exemple, au plus près du combustible d’uranium. Dans une fission nucléaire ” classique “, les neutrons qui sont éjectés des atomes sont projetés rapidement vers d’autres atomes, cassant à leur tour leur noyau, alimentant la réaction en chaîne. Or, pour que ces neutrons aient la meilleure chance de procéder à de nouveaux ” strikes “, ils doivent être ralentis en ricochant sur les noyaux des atomes d’hydrogène présents dans l’eau. Un jeu de flipper qui, malheureusement, ne fonctionne que pour un certain type d’uranium : le 235. Ralentis, les neutrons ne parviennent pas à casser les atomes d’uranium 238, le second type de combustible présent dans ces réacteurs. Pire : ils les absorbent, devenant ainsi des atomes plus lourds, qui n’existent pas dans la nature, répondant alors aux doux noms de plutonium, neptunium, américium ou curium. Or, les trois derniers éléments de cette liste ont une durée de vie de plusieurs centaines de milliers d’années. Impossible à casser dans les réacteurs traditionnels, ils sont considérés comme des déchets que certains pays comme la France et la Belgique envisagent d’enfouir dans leur sous-sol.

Le plomb-bismuth, lui, ne ralentit pas ces neutrons, qui ont dès lors une chance de frapper suffisamment fort ces noyaux d’uranium 238, de plutonium, de neptunium, d’américium et de curium pour les casser. En sortant du réacteur, ces trois derniers éléments ne seraient plus radioactifs pendant plusieurs centaines de milliers d’années, mais pour ” seulement ” quelques siècles. ” Aujourd’hui, nous avons démontré ce principe de ‘transmutation’ à l’échelle d’un laboratoire. Ce n’est pas de la science-fiction, lance Hamid Aït Abderrahim. Mais il faut pouvoir le prouver à une échelle qui permette de projeter une industrialisation. C’est ce que fera Myrrha. ”

Le mélange plomb-bismuth, clé d'une future nouvelle génération de réacteurs.
Le mélange plomb-bismuth, clé d’une future nouvelle génération de réacteurs.© pg

Produire de nouveaux radio-isotopes

Venus n’est qu’un des réacteurs nucléaires de recherche du site de Mol. Dans le même bâtiment, on retrouve le BR1, un réacteur semblable à celui qu’Hergé a dessiné dans l’album de Tintin Objectif Lune. Lancé en 1956, il est encore utilisé aujourd’hui pour des formations, des tests d’irradiation, etc. En service de 1962 à 1987, le BR3 est en cours de démantèlement dans un bâtiment voisin, permettant au centre de recherches de développer son expertise en la matière. Un troisième réacteur de recherche, le BR2, permet notamment de tester des matériaux utilisés dans les réacteurs existants voire dans les futurs réacteurs de fusion nucléaire. Il produit également des radio-isotopes utilisés dans les diagnostics médicaux. C’est l’un des leaders en la matière. Il couvre, en moyenne, plus de 25% par an de la demande mondiale. Voire davantage à certaines périodes. Dans le monde, les réacteurs nucléaires capables de produire de tels radio-isotopes se comptent sur les doigts d’une main. Certains ont été fermés, d’autres mis hors service pour maintenance. Le BR2 a donc compensé cette baisse de production. Il produit également des radio-isotopes qui permettent de soigner certains cancers, comme celui de la prostate.

Au coeur du futur réacteur nucléaire belge Myrrha
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” Aujourd’hui, une nouvelle gamme de radio-isotopes arrive “, poursuit Hamid Aït Abderrahim, directeur du projet Myrrha. Ils permettront de développer des traitements plus personnalisés et plus ciblés. Ces nouveaux radio-isotopes peuvent être produits par un accélérateur de particules ou par un réacteur nucléaire. Une partie des membres de cette famille peuvent déjà être produits par le BR2, quand d’autres seront développés dans l’accélérateur et le réacteur de Myrrha. Un développement qui pourrait commencer dès 2027. Cette nouvelle infrastructure va en effet être construite en trois phases. La première partie de l’accélérateur de particules et ses stations de recherche devraient être achevées en 2026. Le gouvernement fédéral a débloqué un budget de 558 millions d’euros en septembre dernier pour financer ces travaux. Ensuite, cet accélérateur sera étendu parallèlement à la construction du réacteur. Deux étapes conjointes qui devraient être terminées en 2033. La construction de Myrrha devrait coûter 1,6 milliard d’euros. Le gouvernement fédéral s’est engagé à financer 40% de cette nouvelle infrastructure. Il est donc nécessaire de trouver d’autres pays- partenaires pour boucler son financement. C’est une des missions de Pieter De Crem, actuel secrétaire d’Etat en charge du Commerce extérieur. L’Allemagne, le Japon, et le Royaume-Uni se sont montrés intéressés.

Dans le vestiaire qui jouxte le réacteur Venus, avant de retirer leur blouse blanche et les housses en plastique qui recouvrent leurs chaussures, visiteurs et membres du personnel doivent obligatoirement monter sur cette étrange balance, et enfoncer profondément leurs mains dans les compartiments de l’appareil. Cette machine ne mesure pas le poids, mais la radioactivité. Sur le moniteur, le terme ” measuring “ apparaît, puis une barre de chargement. L’écran passe finalement au vert : ” clear “. Rien à signaler. Ouf : voilà la pointe d’appréhension évaporée…

300 ans

La durée de vie estimée des déchets nuclaires les plus radioactifs du projet Myrrha. Avec un réacteur classique, elle serait de 300.000 ans

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