Amours sécantes

Odile d'Oultremont, " Baïkonour ", éditions de l'Observatoire, 224 pages, 18 euros.

Une histoire d’amour se définirait par des coordonnées mathématiques qu’Odile d’Oultremont ne s’y serait pas prise autrement. Dans son deuxième roman, elle place en abscisse Anka. La jeune femme, coiffeuse de son état et fille de pêcheur, rêve de reprendre le flambeau familial. Son regard tourné vers l’horizon tourmenté de l’Atlantique, elle se montre bien décidée à reconquérir l’héritage paternel. Depuis toute petite, elle admire Vladimir, son père capitaine d’un morutier nommé Baïkonour. A son enfant unique, le marin expliquait les ficelles du métier, sous le regard inquiet d’Edith, la maman, qui ne connaît que trop les dangers de la profession. Un jour, Vladimir ne rentre pas d’une sortie en mer. Anka n’en démord pourtant pas.

On ne crache pas, personne ne crache sur l’espoir

En ordonnée, Marcus, grutier de son état, se plaît à observer le petit monde, ” discerne l’allégresse ou le désespoir “, depuis la cabine où il reste planqué toute la journée. Il a vite repéré une jeune femme. Naît en lui une nouvelle sensation. ” Rien chez cette femme ne parle à sa mémoire, tout est vierge d’émotions. ” Il aimerait l’aborder. Projet postposé par un accident, une chute qui jette l’homme dans le coma. Assistera-t-on au croisement des regards et des trajectoires d’Anka et de Marcus, à l’instar de deux droites infinies mais finalement sécantes ?

Ce principe de l’intersection amusait fortement Odile d’Oultremont qui en a fait le moteur d’une histoire d’amour et de combats personnels. Le genre de récit qui nous parle à toutes et tous parce qu’il met en scène des gens ordinaires. ” L’antihéros m’inspire, nous dit la romancière. J’aime suivre des trajectoires communes. ” D’apparente simplicité, le casting se révèle finement travaillé, dans un décor qu’elle a voulu mouvementé. ” Pourquoi la Bretagne ? Il me fallait une mer dangereuse et les eaux du golfe de Gascogne sont réputées comme particulièrement hostiles. J’y ai inventé une petite ville, communauté de gens ordinaires, à la cohabitation un peu forcée. Je voulais parler d’une petite bourgeoisie, maritime en l’occurrence. ” Et c’est dans ce contexte que le défi d’Anka est d’autant plus compliqué. ” Elle est simple coiffeuse, elle vient donc s’opposer à un prérequis social, explique l’autrice. Sa volonté de faire un métier dangereux généralement réservé aux hommes la rend particulièrement audacieuse. ” ” Etre une bonne fille de marin, c’est prouver sa soumission au risque “, souligne le livre. ” J’ai une admiration pour les tout petits combats “, nous confie celle qui lui oppose Marcus, solitaire, perché en observateur perspicace d’un monde qui vit sous ses yeux.

A ce couple dont la rencontre est compliqué, Odile d’Oultremont ajoute Bernard, le père de Marcus. Alcoolique et démissionnaire, il accourt au chevet de son fils inconscient et se montre bien plus paternel que jamais. Edith, la mère d’Anka, s’astreint à cette difficile tâche des veuves de pêcheurs, preuves vivantes de la fatalité que peut présenter la mer. Ce duo vient contrebalancer par son humour et ses touchantes faiblesses les combats, l’un contre la mort, l’autre contre les préjugés sociaux, de la jeune génération.

De cette histoire d’amour sensible, pleine de caractère et de bienveillance, Odile d’Oultremont tire une jolie musique de l’intimité et du quotidien, jouant sur les temporalités, n’hésitant pas à revenir sur les moments partagés au large entre Anka et Vladimir. Le bon accueil réservé à son premier roman, Les Déraisons, avait inauguré le passage de la scénariste au roman. ” En écrivant Baïkonour, j’étais libérée de cette envie de bien faire. ” Le résultat s’avère en effet plus fluide, direct et sans tergiversation.

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