Amazone de la liberté

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Elle court vite, Violette Morris ! Et même trop vite sur son temps. Son palmarès en a fait rougir plus d’un et son nom s’étale sur bien des disciplines : course à pied, natation, lancer du disque, haltérophilie, boxe. On ne parle que de celle qui a remporté plus de 20 titres nationaux toutes disciplines confondues. En une des journaux des années 1920, les journalistes – tous masculins – ne sont pas tendres et rappellent régulièrement que ” les sportives sont toujours incomplètement développées et souvent déformées ” (extrait de Sport et Vie). ” La démocratisation du sport était encore embryonnaire, rappelle Gérard de Cortanze, auteur de Femme qui court, biographie romancée d’une audacieuse. Mais conformément à la théorie hygiéniste de l’époque, le sport était préconisé aux femmes pour qu’elles aient un corps harmonieux, pour qu’elles puissent plaire aux hommes et faire de beaux enfants. ” Violette, elle veut avant tout battre des records, c’est là sa première transgression. Et ce n’est pas la seule ! Elle affichera son lesbianisme au grand jour, se mariant à des hommes, mais entretenant des relations passionnées avec des femmes. A la perversité érotique de la presse populaire, elle opposera un patriotisme héroïque durant la Première Guerre mondiale en étant ambulancière, combattante à bord de son estafette.

Tout ça pour ce bonheur qui n’arrive jamais

L’entre-deux-guerres sera plus houleux pour l’amie de Jean Cocteau, Jean Marais et Joséphine Baker. Les canards à sensation s’émeuvent de ses pantalons portés en public, de son habitation sur une péniche amarrée à un quai de Seine, de ses ambitions d’artiste de music-hall. Des broutilles… Un fait divers viendra toutefois ajouter de l’ombre à un tableau déjà peu conventionnel. Violette Morris est impliquée dans une histoire de meurtre qui se révèle une histoire de légitime défense. Qu’importe le verdict, la presse la condamne a priori et ne l’absout que par un maigre entrefilet.

La violence des mots et des jugements dont elle est l’objet pousse Violette dans une rancoeur tenace à l’égard de ses compatriotes. La France mérite-t-elle un tel talent, en arrive-t-elle à penser. L’héroïne de guerre se voit ici bien cruellement récompensée. ” Elle est lynchée par cette même France qui a laissé l’Espagne aux franquistes, qui enverra des Juifs à la mort. ”

Sa bile, la jeune femme l’extériorise en fréquentant, peut-être de trop près, quelques sympathisants nazis, des relations qui entachent sa fin de vie. Soupçonnée de collaboration – elle dirige en effet un garage pour le compte de la Luftwaffe – et même d’être tortionnaire d’ennemis de l’occupant, l’ancienne athlète sera tuée au volant d’une Citroën filant à toute vitesse dans une embuscade des maquisards normands en 1944. Les rumeurs vont bon train. Violette Morris serait-elle un personnage si sombre qu’elle aurait sombré du côté obscur. La bibliographie la concernant hésite entre deux thèses. L’une faisant état d’années de collaboration et de faits de torture. L’historien et romancier Raymond Ruffin la surnomme même ” la hyène de la Gestapo “, titre d’un de ses ouvrages. L’autre, défendue par Marie-Jo Bonnet, spécialiste de l’histoire de l’homosexualité féminine, y voit une méprise à propos d’une femme soumise à un chantage affectif. Tel est aussi le point de vue de Gérard de Cortanze. ” On n’a rien trouvé pour dire qu’elle a effectivement collaboré avec la Gestapo. On peut tout lui reprocher, mais pas ça. ” A travers un roman empathique, l’auteur décrypte le destin d’une coureuse de la liberté, fidèle en amitié. Violette Morris cherche à gagner une émancipation des hommes, elle qui fut rejetée par ses parents pour n’avoir pas pu remplacer un fils disparu trop tôt. Audacieuse jusqu’au bout, subissant volontairement une mastectomie (” la meurtrière aux seins coupés “, titre L’Humanité), voulant effacer cet ” encombrant ” corps de femme qu’on lui a tant reproché. Une Amazone pour la liberté.

Gérard de Cortanze, ” Femme qui court “, éditions Albin Michel, 416 pages, 22,90 euros.

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