90 secondes pour convaincre

Salle de cinéma. Image d'illustration. © GETTY IMAGES / PG

Pour attirer le public vers les salles obscures et la VOD, l’industrie du cinéma n’a rien trouvé de plus efficace que la bande-annonce. La fabrication de ce précieux matériel promotionnel est entre les mains d’une poignée d’agences spécialisées qui se partagent le marché. Pour qui? Comment? Attention ” spoilers “.

Les films sont de plus en plus nombreux à sortir chaque semaine au cinéma et ils restent de moins en moins longtemps à l’affiche. Si le public n’est pas au rendez-vous dès la première semaine, ils sortent très rapidement du circuit. Notre rôle est de donner envie au spectateur de venir. Il ne faut pas se louper”, avance Loïc Barbier, 43 ans, à la tête de Limelight, une société spécialisée dans la fabrication des bandes-annonces et de teasers, basée près de Paris. Avec la fermeture des cinémas consécutive à la crise sanitaire, le rythme des commandes a ralenti et les dossiers s’entassent sur les étagères. “Nous n’avons plus de date de sortie pour les films sur lesquels nous avons récemment travaillé. Certains passeront sans doute directement sur les chaînes de télévision ou sur les plateformes vidéo.”

Avant, on se permettait de susciter l’envie, de ne pas trop montrer. Aujourd’hui, le client veut charger la barque à tout prix.

En 20 ans, ce prestataire a signé plus d’un demi-millier de ces spots promotionnels qui n’excèdent pas 1 minute 30. Il a couvert tous les genres mais ” surtout le cinéma d’auteur “. Des documentaires ( Bowling for Columbine), des comédies sociales ( Mammuth), des films d’animation ( Les triplettes de Belleville) et même des productions belges comme Rundskop, 38 témoins et une grande partie de la filmographie des frères Dardenne que le Français accompagne depuis près de deux décennies. “Au début, ils faisaient des choix radicaux, très minimalistes. Ils refusaient catégoriquement, par exemple, de recourir à la musique pour habiller les images.” Au fil de leur carrière, le duo de Seraing a opté pour une approche plus classique, laissant progressivement la main aux pros du format court. Une confiance que tous les réalisateurs n’accordent pas aux fabricants de B.-A., fréquemment accusés de haute trahison.

Pas toujours fiable

Car c’est bien connu, cet exercice qui est au septième art ce que la quatrième de couverture est à la littérature n’est pas toujours fiable. Sur les 800 plans que compte un long métrage, il suffit de quelques images habilement montées pour faire des promesses qui ne seront pas toujours tenues. Quand ce n’est pas une impression de déjà-vu entretenue par les majors américaines qui ne jurent que par le turn line, ce moment où la musique s’interrompt brutalement sur une ligne de dialogue, et usent des hits, ces effets de percussions qui rythment la montée d’adrénaline dont les blockbusters sont si friands. Des formules éprouvées que l’on retrouve de plus en plus fréquemment dans le cinéma européen. “Les bandes-annonces ont tendance à devenir de plus en plus explicatives. Avant, on se permettait de susciter l’envie, de ne pas trop montrer. Aujourd’hui, le client veut charger la barque à tout prix”, déplore un fournisseur.

Le jeune réalisateur prodige Xavier Dolan ( Mommy) a trouvé une parade pour éviter les déconvenues ou le prêt-à-consommer: il concocte lui-même ses trailers. D’autres créateurs, perpétuels insatisfaits, font refaire indéfiniment les maquettes qu’on leur soumet. Un entêtement que la profession leur pardonne… “La bande-annonce peut être un choc”, reconnaît Sonia Mariaulle, figure incontournable de la profession qui a signé plusieurs centaines de trailers sous le label “Sonia tout court” qu’elle a fondé en 2001. “Un réalisateur de long métrage a passé des semaines sinon des mois avec son équipe à élaborer au montage une structure narrative qui traduit des sentiments, une intention de mise en scène, poursuit-elle. Et puis, on arrive et on passe tout à la moulinette. C’est hyper-violent. C’est comme un peintre dont vous découperiez la toile et à qui vous diriez: c’est comme ça qu’on va la vendre”.

Distributeurs aux commandes

Pour s’épargner les crises de nerfs et gagner du temps, les producteurs et distributeurs tiennent parfois à distance le réalisateur. Ils en ont le pouvoir. Les premiers parce qu’ils ont réuni les fonds nécessaires à la fabrication du film et payent la conception du trailer, les seconds parce qu’ils se sont portés acquéreurs des droits pour un territoire et sont souvent cofinanceurs des projets. Quant aux exploitants de salles, ils se contentent de projeter les annonces entre deux publicités, parfois contre rémunération…

Réduire le nombre d’interlocuteurs, c’est aussi limiter les incessants allers-retours. ” Quand ça chipote, la bande-annonce peut mettre six à huit mois avant d’être terminée. On n’en voit pas la fin “, témoigne une agence. Hands Up, SLP, Aparté ou Bozars font partie des noms que l’on retrouve fréquemment au générique des avant- programmes, discrètement mentionnés en bas de l’écran. Ces sociétés – moins d’une dizaine en tout -, toutes implantées en France, se partagent le marché des B.-A. francophones pour un volume d’environ 300 films par an. Les structures sont souvent modestes, la moitié d’entre elles ne comptent pas plus d’une personne à temps plein. Si la Belgique est absente du paysage des prestataires c’est que les entreprises audiovisuelles misent quasi systématiquement sur le coproducteur français pour assumer le boulot et régler la facture. Une bande- annonce coûte en effet entre 5.000 et 10.000 euros auxquels il faut rajouter une enveloppe de 5.000 euros pour les dépenses techniques.

” Le Tout nouveau Testament “, de Jaco Van Dormael, avec Benoît Poelvoorde. Sa bande-démo fut un élément essentiel dans la commercialisation du film.© PHOTONEWS

Musique omniprésente

Avec le développement des réseaux sociaux, la diffusion des B.-A. ne se limite plus aux salles obscures ni à l’écran d’ordinateur. Les spots sont déclinés pour les téléphones portables et remaniés pour correspondre au format très court exigé par les utilisateurs de smartphones. Les supports évoluent mais la méthode ne change pas. ” On commence par visionner le film plusieurs fois pour s’en imprégner le mieux possible, détaille Loïc Barbier. On extrait ensuite des passages qui font sens. Cela peut être une réplique, un regard, un plan qui nous semblent importants. On décortique tout le son. Au final, on dispose d’une gigantesque boîte à outils pour re-raconter le film d’une autre manière. Mais il ne s’agit pas de faire un résumé ; on peut partir d’un moment charnière qui se situe au milieu du film. En fait, il n’y a pas de règle même si nous devons respecter la chrono- logie de l’histoire. Sinon, le spectateur n’y comprend plus rien. ”

Un trailer maker met au minimum deux semaines à faire sa cuisine. Des mélanges prennent, d’autres pas. Il faut affiner, émincer d’un vingt-quatrième de seconde par ici, ajouter un fondu par là, sans oublier cet exhausteur de goût qu’est la bande-son. “La musique est omniprésente dans notre travail. C’est un élément central car on s’adresse au ressenti du spectateur.” La B.O. réquisitionnée n’est pas toujours celle du film, peu importe, l’essentiel est de capter l’attention. Pour la re-sortie en 2017 de Belle de Jour (1967), la société Hands Up s’est servie d’une musique électro contemporaine pour faire les yeux doux à une nouvelle génération de spectateurs… “L’enjeu, c’est d’être fédérateur, rappelle Sonia Mariaulle. Ce qu’on nous demande avant tout, c’est que notre proposition puisse parler au plus grand nombre.”

Bandes-annonces et bandes-démos

Séduire, c’est aussi la raison d’être des promo reels. Ces bandes-démos ultra-confidentielles, réalisées par les mêmes artisans que les trailers, ne sont pas destinées au grand public. Elles jouent néanmoins un rôle clé dans la prospection internationale menée par les investisseurs et leurs mandataires, autrement dit dans les ventes à l’export. D’une durée de quelques minutes, les promoreels ont pour vocation d’appâter les acheteurs étrangers. La cible est soi- gneusement choisie. Certaines “séances” sont organisées secrètement dans les coulisses des marchés du film qui se tiennent en marge des grands festivals. Les hot spots sont connus: Berlin, Venise, Cannes et Toronto. Un peu à part, le très prisé American Film Market (AFM), qui n’est pas accolé à un festival, tient salon chaque année à Santa Monica, en Californie, au début du mois de novembre. Autant de dates clés dans l’agenda des producteurs et de leurs partenaires qui mettent tout en oeuvre pour que leur “faire-part” soit aussi attrayant que possible.

Pour Intouchables (2011), Gaumont a mobilisé toute une équipe pour mettre sur pied un promoreel de neuf minutes dont le briefing, le montage, la musique, le mixage ont été peaufinés dans les moin- dres détails par la firme à la marguerite. Une postsynchronisation a même été spécialement programmée avec le comédien principal Omar Sy pour coller au plus près des intentions promotionnelles. Un vraie opération de charme qui a facilité la vente en Allemagne, en Espagne ou encore en Israël. Plus parlant qu’une affiche ou qu’un jeu de photos de plateau, le promo reel permet de juger sur pièces. La même démarche a permis au film de Jaco Van Dormael, Le tout nouveau testament (2015) d’être pré-vendu à 15 pays au marché du film de Berlin alors que le film était toujours en cours de montage.

Enfin, pour les besoins du film Eiffel qui devrait sortir sur les écrans en février prochain, le distributeur Pathé a dû mettre les bouchées doubles le printemps passé pour achever son promo reel. Une gageure compte tenu de l’état d’avancement du film, avec un tournage arrêté en mars dernier pour cause de Covid et des effets spéciaux au point mort. Pour restituer le faste de cette saga qui raconte la construction de “la dame de fer”, avec Romain Duris dans le rôle de Gustave Eiffel, il a fallu réquisitionner au pas de charge les spécialistes des trucages 3D. Le matériel – une “compression” de six minutes – devait à tout prix être prêt pour le marché du film à Cannes. La pandémie en a décidé autrement, douchant les espoirs d’une montée des marches, entraînant le report de la plupart des sorties. Depuis, l’industrie du cinéma retient son souffle et mise sur l’année à venir pour rattraper son retard. Un vrai thriller auquel il ne manque qu’une bande-annonce…

300

Nombre de bandes-annonces réalisées chaque année par et pour le marché francophone.

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