Arrêt Luxleaks: la figure du lanceur d’alerte juridiquement reconnue

Antoine Deltour et Raphaël Halet. Les deux ex-salariés du cabinet d'audit PricewaterhouseCoopers (PwC) ont vu leur peine réduite pour le premier et annulée pour le deuxième. © BELGAIMAGE

Le 15 mars, la Cour d’appel du grand-duché de Luxembourg se prononçait sur le jugement rendu par le tribunal luxembourgeois le 29 juin dernier dans l’affaire dite LuxLeaks. La peine de prison prononcée avec sursis à l’encontre d’Antoine Deltour est abaissée à six mois, tandis que celle à l’encontre de Raphaël Halet est annulée. La peine d’amende est, en revanche, maintenue à l’égard des deux prévenus.

Les deux ex-salariés du cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers (PwC) étaient poursuivis pour avoir dérobé et communiqué au journaliste Edouard Perrin, acquitté tant en première instance qu’en appel, des documents confidentiels de la firme, en l’occurrence des rescrits fiscaux (ruling) et des déclarations fiscales de grandes multinationales, telles qu’Ikea et Amazon.

Si le verdict rendu a laissé un goût amer auprès des militants, la lecture des considérants de l’arrêt nous semble rassurante sur l’avenir du lancement d’alerte en Europe. La Cour luxembourgeoise a, en effet, accueilli juridiquement le statut du lanceur d’alerte et a admis qu’il pouvait justifier, sous certaines conditions, la violation de la loi.

Le statut protecteur du lanceur d’alerte, dégagé par la Cour européenne des droits de l’homme sur la base du droit à la liberté d’expression, est admis moyennent le respect de six conditions : l’information publiée doit (1) présenter un intérêt public et (2) être authentique, c’est-à-dire exacte et digne de crédit ; (3) la divulgation au public ne doit intervenir qu’en dernier ressort, à savoir si la dénonciation au supérieur hiérarchique ou à l’autorité compétente n’est pas efficace ; (4) l’intérêt du public d’obtenir l’information dénoncée doit peser plus lourd que le dommage supporté par l’employeur (balance d’intérêts) ; (5) le dénonciateur doit agir de bonne foi, ce qui implique qu’il n’agisse point par but de lucre ou par animosité à l’égard de son employeur ; (6) enfin, la gravité de la sanction encourue par le dénonciateur est prise en considération par le juge.

La Cour luxembourgeoise accueille ce statut particulier, en droit luxembourgeois, et admet qu’il puisse justifier, en l’occurrence, ” dans le cadre d’un débat sur une question d’intérêt général portant sur l’évitement fiscal, la défiscalisation et l’évasion fiscale “, la commission de certains actes illégaux.

Parmi les infractions reprochées à Antoine Deltour figurait la violation de son obligation de secret professionnel. Selon cette obligation, ce dernier était tenu de garder secrètes les données dont il prenait connaissance en travaillant chez PwC, même si ces données ne lui étaient pas personnellement confiées. A fortiori, il était tenu de garder secrets les documents accessibles à un nombre très restreint de personnes, tels que les demandes d’advanced tax agreements (ruling) transmises au journaliste Edouard Perrin. Reconnaissant au bénéfice d’Antoine Deltour le statut de lanceur d’alerte, le juge d’appel a cependant conclu à son acquittement. Les autres préventions ont néanmoins été maintenues, à savoir le vol domestique et la fraude informatique, dès lors que la Cour a jugé qu’Antoine Deltour n’avait pas agi, au moment de la commission de ces infractions, avec l’intention du lanceur d’alerte.

En revanche, le juge luxembourgeois a refusé de reconnaître le statut protecteur du lanceur d’alerte à Raphaël Halet, au motif que les documents qu’il avait transmis au journaliste ne faisaient qu’illustrer un débat public déjà initié par les révélations d’Antoine Deltour, quelques mois auparavant. Le fait que la plupart des conditions de protection des lanceurs d’alerte étaient rencontrées dans son chef a néanmoins permis l’atténuation de la peine prononcée, ce qu’il convient de mettre en exergue.

Nul doute que les voies ébauchées par la Cour luxembourgeoise dans l’affaire LuxLeaks seront rapidement empruntées par d’autres, avec force et détermination, en vue de garantir en Europe une protection efficace et complète du lanceur d’alerte au service de l’intérêt public.

Amélie Lachapelle,

Doctorante aspirante du Fonds de la recherche scientifique (FNRS). Elle est également co-directrice de l’unité Libertés, Information et Société du Centre de recherches information, droit et société (CRIDS) à l’Université de Namur et membre associée du Centre de recherches sur l’Etat et la Constitution (CRECO) à l’Université Catholique de Louvain.

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