Lasne, là où on tente de remonter les prix de l’immobilier

© DEBBY TERMONIA

Le paradis des belles villas et des belles bagnoles. Comme à Knokke, Lasne vit dans une petite bulle. Les prix de l’immobilier ont explosé du fait de la qualité de l’environnement et de certaines règles urbanistiques favorisant les plus aisés. Et ce n’est pas près de s’arrêter vu la volonté des autorités communales de redonner un peu plus de valeur à un immobilier en perte de vitesse.

Derrière les barrières et les mauvaises herbes, on aperçoit difficilement les quelques hangars. Le site Stoquart, situé à quelques mètres du rond-point du Messager de Bruxelles à Ohain, a aujourd’hui tourné la page de son activité économique. Il est à l’abandon, faisant le bonheur des riverains. Un promoteur, la SA Parx’s, basé à Grez-Doiceau, souhaite y aménager 43 appartements, sept maisons, des commerces, des bureaux et 70 emplacements de parking. Plus c’est gros, plus ça passe, dit l’adage. Il faut dire que tant qu’à profiter des prix élevés de l’immobilier lasnois, autant réaliser une belle opération financière et valoriser son terrain.

Voilà pour la théorie. Ou pour les rêves immobiliers de certains. Car, dans la pratique, la partie s’annonce un peu plus compliquée pour ce promoteur. Les règlements locaux n’autorisant que des projets de cinq logements, le collège communal s’y opposera. ” En fait, c’est simple : à Lasne, tous les projets un peu plus denses ont été octroyés suite à un permis obtenu en recours chez le ministre, déplore la bourgmestre Laurence Rotthier (MR). Sinon, ce type de projet ne passerait jamais. On en a eu l’amère expérience il y a peu avec le développement des Jardins de Lasne, un projet assez dense et haut de gamme de 18 appartements situé chaussée de Louvain (de 163 à 221 m2 pour un appartement deux chambres et 328 m2 pour un des trois penthouses, Ndlr). ”

Les promoteurs pas les bienvenus

L’exemple est en tout cas bien révélateur de la politique locale. Lasne ne tutoie pas par hasard le haut de l’affiche belge en matière d’immobilier. On y habite pour avoir un grand terrain, profiter d’une relative quiétude et être entouré de semblables. Le ticket d’entrée est élevé. Une villa de 20 ares avec jardin – le bien classique lasnois – tourne aujourd’hui autour de 560.000 euros, selon les chiffres 2016 des notaires (prix médian). Pas question donc de voir cet environnement privilégié se détériorer. ” Nous n’avons pas peur de le dire : les promoteurs ne sont pas accueillis à bras ouverts chez nous, poursuit Laurence Rotthier. Ce n’est pas ici qu’ils trouveront un terrain de jeu pour satisfaire leurs envies. La volonté est de maintenir un niveau de vie élevé dans un environnement de qualité. ”

L’histoire de l’entité est assez simple à résumer. Une commune rurale et agricole qui accueille dans les années 1960 des Bruxellois qui disposent d’une seconde résidence. Ces logements se transformeront au fil du temps en habitation principale. Avant une urbanisation plus intense, poussée principalement par l’arrivée de Bruxellois désireux d’espaces plus vastes et verdoyants. Un seul leitmotiv urbanistique pour baliser à l’époque ce développement : une villa nichée au milieu d’un grand, très grand terrain. ” A l’époque, il n’y avait pas, comme aujourd’hui, un règlement qui permettait de déterminer une ligne de conduite, se souvient le notaire Bruno Le Maire, à la tête de la seule étude de l’entité. Mais la politique qu’a menée le bourgmestre Thierry Rotthier pendant trois législatures était très claire : il ne souhaitait voir que des villas sur des terrains de minimum 25 à 30 ares. Certains allant même jusqu’à 1 hectare. La surface bâtie ne pouvait dépasser 10 % du terrain. Ce qui a contribué à l’aménagement de grandes parcelles. Et a entraîné une sélection naturelle des gens qui peuvent y habiter. ” La barre a été fixée à 15.000 habitants, un millier de plus qu’aujourd’hui. Elle ne sera pas dépassée même s’il reste un certain nombre de terrains à bâtir.

Un style architectural lasnois

La sensation d’espace et l’environnement privilégié sont donc deux des éléments moteurs de cette attractivité. Il faut dire que l’entité est une sorte d’enclave au coeur du Brabant wallon : aucune gare, aucune voirie importante qui ne la traverse, peu de services (les habitants n’ont jamais voulu d’un parc à conteneurs, laissant cela aux communes voisines), pas de supermarchés, pas de piscine (sauf des privées…), pas ou peu de problèmes de mobilité. La qualité de vie est à ce prix : laisser les désagréments aux autres pour maintenir son environnement intact.

Et à ce petit jeu là, la politique communale locale n’est pas en reste. La majorité absolue libérale est plutôt conservatrice. En témoigne la typologie de son bâti, qui peut être divisée en deux catégories : les habitations traditionnelles de type fermette ou maison ouvrière que l’on retrouve dans les coeurs de villages tels qu’Ohain, Couture-Saint-Germain, Maransart ou Chapelle-Saint-Lambert ; et les villas qui peuplent les nombreux lotissements. Ce conservatisme a en tout cas un grand mérite : la définition d’une architecture lasnoise bien caractéristique, qui ne laisse rien au hasard. ” Les promoteurs disent que nous sommes ch… mais on l’assume sans problème, lance Julie Peeters-Cardon (MR), échevine de l’Urbanisme. Il faut parfois deux ans pour se mettre d’accord avec un promoteur. Même pour les projets d’appartements, nous souhaitons qu’ils ressemblent à des maisons de village comprenant des croisillons, des garde-corps en bois sur les balcons ou encore des châssis en bois plutôt qu’à des immeubles classiques d’appartements. Il y a clairement une architecture lasnoise que nous voulons conserver. Quand on arrive dans la commune, on voit directement où on est. Comme au Zoute d’ailleurs. Ce qui est plutôt rare aujourd’hui. Nous sommes fiers de cette identité. ”

Une fermeté qui se traduit dans la raréfaction de grands développements immobiliers. Lasne n’a jamais été une terre sainte pour les gros promoteurs souhaitant développer des projets de quelques dizaines d’unités. Et elle ne le sera pas à l’avenir. ” Nous considérons que les lotissements de quatre à cinq maisons sont déjà des gros lots, fait remarquer Laurence Rotthier. Alors, il ne faut pas nous en demander davantage. Nous exigerons d’ailleurs dorénavant que des Plans particuliers d’aménagement (PPA) soient réalisés pour éviter que chaque propriétaire ne divise son terrain de manière désordonnée sans avoir une vue d’ensemble. Les zones potentiellement urbanisables seront recensées pour favoriser un aménagement harmonieux. Il est évident qu’il y a moyen de valoriser son bien de manière conséquente en divisant sa parcelle, qui fait parfois un hectare. C’est une tendance qui apparaît. Mais nous y sommes attentifs. ”

L’autre élément qui traduit la rigueur des règlements urbanistiques est la taille des parcelles. A l’exception des coeurs de village où la taille minimum d’un terrain doit être de 8 ares, toutes les parcelles doivent disposer d’une superficie minimum de 15, 25 ou 40 ares. Plus on s’éloigne d’un lieu central, plus le terrain est grand. Une règle qui élimine bien évidemment les ménages moins aisés. ” Ce n’est pas la norme, mais nous venons de vendre un terrain d’un hectare à 800.000 euros, confie Catherine Efira, directrice de l’agence lasnoise d’Engel & Völkers. Un prix quelque peu ahurissant. ” Et tout cela dans un contexte où les terrains à bâtir ne font pas encore défaut. ” Je ne m’inquiète vraiment pas sur ce plan, il y a encore de la marge “, confie d’ailleurs le notaire Bruno Le Maire.

Diversifier l’offre

Lasne est toutefois en train de faire évoluer son bâti. Une offre d’appartements existe désormais dans le centre de la commune, alors qu’elle était inexistante il y a encore deux ans. L’objectif était de répondre à une demande de seniors désireux de quitter leur villa énergivore et trop spacieuse pour un logement plus compact et mieux situé. ” Le problème, c’est qu’ils n’ont pas pu vendre leur villa au prix souhaité puisque le marché est en recul, note Catherine Efira. Et vu le prix de ces appartements haut de gamme, leur bas de laine a fondu. Cela en a freiné quelques-uns. ” Une quarantaine d’appartements sont en développement sur l’ancien site TEC. Les promoteurs devront s’armer de patience pour les vendre puisque la sur-offre guette déjà ce marché. ” Il reste en effet beaucoup d’appartements à vendre, soupire Bruno Le Maire. Le problème, c’est que tous les projets sont sortis au même moment. Certains promoteurs déchantent donc quelque peu. Et puis les prix sont particulièrement élevés. ” On pense par exemple aux Jardins de Guérande (11 appartements de 490.000 à 820.000 euros) développés par le Groupe Liégeois, au Coeur de Lasne (41 appartements) mené par Kumpen et Unicas ou encore aux Jardins de Lasne (18 appartements) développés par SBS Group.

XAVIER ATTOUT

“Une villa achetée 1,5 million vaut aujourd’hui 900.000 euros”

Le style architectural lasnois est ancré dans les traditions. Il pourrait quelque peu évoluer. Très légèrement. A la plus grande satisfaction de l’échevine de l’Urbanisme, Julie Peeters-Cardon de Lichtbuer, qui se mord à chaque fois la lèvre quand elle évoque les lignes conductrices de la commune sur le plan architectural. Architecte de formation, elle souhaiterait voir davantage d’audace et de créativité dans le paysage lasnois. Le problème : elle doit composer avec un collège communal très conservateur qui, étonnamment, jette un oeil sur pratiquement tous les dossiers urbanistiques. Avec comme résultat une difficulté à obtenir un consensus. ” Lasne ne sera jamais une terre propice à l’architecture contemporaine, lance la bourgmestre Laurence Rotthier. Mais nous réfléchissons à une certaine ouverture, à lâcher un peu de lest sur ce sujet. Il y a peu, je me suis demandée comment faire remonter les prix de l’immobilier à Lasne. Avec la crise, bon nombre de propriétés ont perdu de la valeur. Une villa achetée 1,5 million il y a quelques années vaut aujourd’hui 900.000 euros. Or, nous voulons rester une commune unique. On pense qu’en permettant davantage de projets à l’architecture contemporaine, cela permettrait de relever quelque peu les prix de l’immobilier d’une manière globale. Uccle le fait déjà. Nous allons donc avancer dans cette voie. ”

Même constat au sein de l’étude notariale locale où l’on note que les villas qui valaient encore il y a peu 1,9 million d’euros se vendent aujourd’hui 1,2 million. ” Le marché ne se porte pas si bien que cela pour les villas estimées entre 750.000 et 2 millions d’euros, fait remarquer le notaire Bruno Lemaire. Et ce depuis une demi-douzaine d’années. Et cela s’est encore davantage tendu ces derniers mois. La demande fléchit. Par contre, au-delà de 2,5 millions, pour les biens d’exception, les prix se maintiennent. ”

Un constat partagé sur le terrain. ” Il y a davantage de transactions depuis fin 2016, lance Catherine Efira, d’Engel & Volkers. Mais les gens ne se rendent pas compte que le marché a évolué et qu’ils ne peuvent plus demander les mêmes prix qu’avant. Il y a donc un important travail de conscientisation. ”

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