La tour qui enflamme Saint-Pétersbourg

Controverse : le géant gazier Gazprom veut construire un gratte-ciel dans la cité des tsars. Les défenseurs du patrimoine multiplient les actions contre ce projet.

Les dirigeants de Gazprom, le mastodonte russe de l’énergie, caressent un rêve grandiose: l’érection de la tour la plus haute d’Europe… Un tel fantasme de grandeur peut prêter à sourire, mais il choque de nombreux Russes, car le bâtiment, s’il voyait le jour, serait érigé à deux pas du centre historique de Saint-Pétersbourg. Au risque de contredire l’esprit architectural de l’ancienne capitale des tsars, classée au Patrimoine mondial de l’Unesco.

L’hypothétique gratte-ciel mobilise la société civile, qui, chose rare en Russie, parvient à se faire entendre jusqu’à Moscou. Un défenseur du patrimoine résume la controverse: “On dirait que les dirigeants de Gazprom veulent transformer la cité de Pouchkine et de Dostoïevski en ville d’Alexeï Miller (le patron de Gazprom) et d’Alla Pugacheva (la “Mireille Mathieu russe”).” Ambiance.

Tout commence en 2006. Le géant gazier annonce alors son intention de déménager son siège social moscovite vers les rives de la cité de la Baltique. Celle-ci est à la fois la ville natale du patron de Gazprom et le port d’attache politique du couple Dmitri Medvedev-Vladimir Poutine.

Miller veut ériger une tour de 300 mètres qui symboliserait le tricentenaire de la capitale bâtie par Pierre le Grand. Seul problème: le gratte-ciel sera situé à l’orée de la zone de préservation de l’Unesco et dépassera largement la hauteur maximale autorisée (48 mètres).

Aussitôt informés, des Pétersbourgeois de tous horizons – artistes, médecins ou employés de banque – fondent une association de sauvegarde du patrimoine: la Ville vivante/Save Saint Petersburg. Hostiles à la tour Gazprom, ils dénoncent, plus généralement, la spéculation immobilière à l’origine de la destruction d’immeubles anciens, par exemple à proximité de la célèbre perspective Nevski. La Ville vivante multiplie les manifestations, les collectes de signatures, les happenings, telles ces cérémonies d’adieu aux immeubles en instance de démolition. Des actions bientôt relayées par les médias.

Toujours en 2006, le concours international lancé par Gazprom tourne au scandale : trois éminents membres du jury, dont l’architecte Norman Foster, claquent la porte et dénoncent la hauteur de la tour. Au final, le projet gagnant est signé Philipp Nikandrov, un architecte de… Saint-Pétersbourg qui travaille pour le cabinet londonien RMJM. Son projet de bâtiment symbolise à la fois une flamme de briquet et “la verticale du pouvoir” – référence à l’organisation de la vie politique sous l’ère Poutine. Et elle culmine à… 403 mètres!

Depuis, la controverse a pris de l’ampleur. L’Unesco a menacé de rayer Saint-Pétersbourg de la liste du Patrimoine mondial. L’Union des architectes de Russie a critiqué le projet. Et le ministre de la Culture a pris ses distances.

Non loin du musée de l’Ermitage, dans son bureau de directeur des relations publiques de la tour Gazprom, Vladimir Gronski assène ses certitudes: “L’important, c’est que notre tour réveille cette ville, qui devient une belle au bois dormant. Ce sera une formidable attraction pour les visiteurs du monde entier.” Réponse, un tantinet ironique, d’Andreï, membre de la Ville vivante: “Pour admirer des tours, je recommanderais plutôt Dubaï, New York ou Shanghai… Par ailleurs, cela m’étonnerait un peu que les touristes européens aient envie de s’extasier devant le bureau de celui qui, étant responsable d’une bonne partie de l’approvisionnement énergétique de l’Europe, tient le Vieux Continent par les c…” Virils, ces Russes!

Axel Gyldén, avec Alla Chevelkina, L’Express.fr

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