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L’agent immobilier voit ce que le banquier ne voit pas, et inversement

Les jeunes ménages n’ont pratiquement jamais eu plus de difficultés à acquérir un logement qu’aujourd’hui. Ce phénomène n’est pas imputable à des prix immobiliers trop élevés, mais plutôt à de trop fortes attentes. Cela tient parfois aux acheteurs qui veulent d’emblée le logis parfait. Mais plus souvent aux banques qui, depuis peu, exigent tellement que même un diplôme, un emploi et un livret d’épargne ne sont plus une garantie d’obtenir un prêt.

Pour contrer cette tendance – ce qui s’avère indispensable –, il est temps que les banquiers et les agents immobiliers se renforcent mutuellement, car l’un voit ce que l’autre ne voit pas. Et inversement.

Peu de choses ont changé depuis vingt ans : à l’époque, acheter un logement était déjà l’investissement le plus lourd d’une vie. Un ménage type consacrait en moyenne 55.600 euros pour s’offrir un toit. Aujourd’hui, le budget tourne autour de 210.000 euros. Les salaires ont à peu près augmenté au même rythme. Une différence existentielle se dessine cependant par rapport au passé.

Les jeunes ménages n’ont pratiquement jamais eu plus de difficultés à acquérir un logement qu’aujourd’hui.

Conclure un crédit hypothécaire auprès d’une banque était alors un jeu d’enfant. Il était même envisageable d’emprunter à 110 pour cent ou de négocier des prêts de plus de 25 ans. En 2015, force est de constater que la situation a changé du tout au tout. Notamment parce que la banque exige en moyenne 20 pour cent d’apport personnel. En d’autres mots, un jeune ménage doit disposer de 50.000 euros pour pouvoir acheter un logement de 250.000 euros. En y ajoutant 10 pour cent de droits d’enregistrement, une personne de vingt ou trente ans doit même avoir 75.000 euros devant elle pour envisager de s’établir.

Réflexe conditionné

Cela peut sembler paradoxal à une époque que les experts qualifient d’idéale pour conclure un crédit hypothécaire. Mais quel est l’intérêt de taux d’intérêt historiquement bas si obtenir un prêt ne semble réservé qu’à une élite restreinte ? Il y a vingt ans, on empruntait certes à 8 ou 9 pour cent. Mais diplôme ou pas, contrat à durée indéterminée ou pas, épargne ou pas, on obtenait au moins un prêt pour acquérir une habitation moyenne.

Aujourd’hui, de plus en plus d’agents immobiliers ont le réflexe conditionné d’aiguiller les acheteurs potentiels vers leur banque avant de se lancer dans leurs recherches. Ils y sont obligés, au vu du nombre de compromis rendus caducs faute d’obtention d’un prêt. Un exemple vécu la semaine passée : un jeune médecin qui travaille en milieu hospitalier, qui perçoit des revenus nets supérieurs à la moyenne et qui dispose, en outre, d’une épargne s’est vu refuser un crédit par la banque. Raison invoquée : il était encore en période d’essai et n’avait donc pas, selon la banque, d’emploi stable, même après 7 ans d’études.

Un exemple similaire, il y a une semaine aussi : un jeune couple qui a lancé son entreprise il y a un peu plus d’un an et qui peut déjà présenter un chiffre d’affaires encourageant n’a pas obtenu de crédit pour une habitation modeste. Leur entreprise a moins de deux ans et même le pronostic positif du comptable n’y a rien fait. Fin de l’épisode.

Le rêve d’un “chez soi”

La faute n’incombe pas aux prix immobiliers dans notre pays. Même la Banque Nationale a récemment dû l’admettre. Mais l’employé de banque qui connaissait jadis personnellement ses voisins et pouvait ainsi évaluer leur profil est probablement en voie de disparition. Les procédures et les règles règnent aujourd’hui en maîtres. Cette approche assure l’objectivité des critères d’octroi d’un crédit, mais donne aussi une image abstraite des acheteurs potentiels.

Ne blâmons pas en bloc le secteur bancaire. Son approche prudente a sauvegardé notre marché immobilier de bien des périls. Mais si une infirmière en chef ou un ingénieur civil qui disposent d’une épargne, mais pas d’un contrat de travail stable, sont exclus du système, il est temps que les agents immobiliers sortent du bois. S’ils ont une force, c’est bien celle de compléter le savoir-faire théorique des banques par la pratique. Ils n’ont pas leur pareil pour évaluer l’acheteur potentiel et parachever l’image que l’on s’en fait. Voilà la seule manière d’éviter l’évaporation du rêve d’un “chez soi”.

Isabelle Vermeir, porte-parole de Century 21 Benelux

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