“Il y a des grues à Tournai, c’est un bon signal”

Paul-Olivier Delannois et Patrick Joly © debby termonia

Tournai est en pleine mutation et multiplie les défis. La cité des Cinq Clochers doit redynamiser son centre-ville pour lui donner une nouvelle attractivité. Si de nombreux projets se concentrent dans les friches industrielles, l’avenir immobilier semble se dessiner le long des quais.

La bonhomie du premier tranche avec la retenue du second. Qu’importe, les deux hommes retrouvent leur verve quand il s’agit d’évoquer le devenir immobilier tournaisien. Rencontre entre Paul-Olivier Delannois, député-bourgmestre socialiste de Tournai et Patrick Joly, directeur du développement chez le promoteur immobilier Dherte.

PAUL-OLIVIER DELANNOIS. Notre population est en diminution depuis un certain temps. Or, notre objectif est de l’augmenter pour atteindre rapidement les 70.000 habitants. Nous souhaitons comprendre et analyser cette diminution. Des universités vont donc être sollicitées pour étudier ce volet.

Mais, de votre côté, avez-vous des pistes ?

P-O.D. Le sentiment d’insécurité est un critère qui est cité mais je ne pense pas qu’il est prépondérant. Je songerais plutôt au fait d’une cohabitation compliquée dans le centre-ville entre les habitants et la vie associative et estudiantine, de même que par le fait que de nombreux étudiants vont étudier à Bruxelles et ailleurs sans y revenir. Les explications semblent toutefois multiples.

De votre regard de développeur, vous avez, on imagine, un avis sur la question…

PATRICK JOLY. Quand je dirigeais encore Matexi Hainaut, nous avions effectué une grande étude du marché immobilier tournaisien. Il en était ressorti que cette déperdition de population s’expliquait par un déficit dans l’offre de maisons. Cette situation a poussé de nombreuses familles à s’installer à Templeuve ou dans la périphérie tournaisienne. Une autre interrogation était de se demander pourquoi les étudiants ne restaient pas à Tournai après leur cursus. L’étude relevait qu’il n’y avait pas suffisamment d’appartements destinés aux jeunes et que l’attractivité du centre-ville était déficiente. Il y a un manque de commerces dans le centre-ville, qui est lié à l’extension du centre commercial des Bastions, qui a aspiré commerces et chalands. Ce qui est vraiment regrettable car Tournai reste une ville attractive, avec un magnifique patrimoine et une vie associative dynamique.

Partagez-vous également ce sentiment de déficit de diversification dans l’offre de logements ?

P.-O.D. Tout à fait. Même s’il faut le faire correctement. De nombreux propriétaires ont divisé leur logement sans autorisation. Or, s’il est nécessaire de créer une mixité sociale et typologique, il faut le faire dans les règles. Il y a une paupérisation actuelle du centre-ville qui fait que des habitants décident de rejoindre la périphérie. La chasse aux marchands de sommeil est un vrai défi. Elle a déjà démarré et doit être accentuée. Ces marchands ne pensaient pas que j’allais prendre des arrêtés d’expulsion. Ils en ont été surpris. Cette politique très dure est préjudiciable à court terme mais sera bénéfique à l’avenir.

Le centre-ville reste-t-il encore attractif pour un développeur ?

P.J. Il subit de plein fouet le manque de limitation dans la division des logements. Par ailleurs, de nombreuses habitations devraient être rénovées ou démolies avant d’être reconstruites. Une politique volontariste en la matière ne serait pas du luxe. Pour les développeurs, l’intérêt premier est la réhabilitation de friches industrielles. Elles sont nombreuses. Et c’est un vrai enjeu. Notre groupe est intéressé par certains sites. Notamment le long de l’Escaut. Remettre en valeur le chemin de halage serait un atout formidable pour la mobilité douce.

Justement, comment séduire à nouveau les promoteurs qui sont quelque peu réticents à investir dans le centre ?

P.-O.D. Je ne pense pas qu’il faille nécessairement les attirer à nouveau car il y a suffisamment de projets dans le pipeline. Il y a une volonté de réhabiliter certaines friches. Le principal projet du centre-ville est le dossier Dunlop, développé par REIM. Près de 80 logements sont en cours de construction. Et les ventes se passent très bien (la demande de permis pour une nouvelle phase de 120 logements va être introduite d’ici peu, Ndlr). Pour le reste, les investisseurs défilent dans mon bureau. Il y a de l’intérêt. Comme par exemple pour l’ancien site de la Dorcas, dans la prolongation des Ateliers Louis Carton. On souhaiterait y réaliser un projet d’envergure. Pour ma part, je suis très content de voir des grues à Tournai. Certains habitants râlent. Mais, pour moi, c’est un vrai signe de vitalité économique. Les travaux actuels en centre-ville sont un élément négatif à court terme. Mais ils seront, de même que l’élargissement de l’Escaut, vraiment positifs pour la ville à moyen terme. Quand on voit ce que deviendront les quais, je suis certain que ce sera un atout fantastique pour la ville. Par ricochet, les maisons anciennes qui sont actuellement peu attrayantes retrouveront une certaine attractivité grâce à ces projets.

P.J. Si je peux me permettre, je pense que vous n’osez pas encore mettre suffisamment de densité dans les friches ou les projets en réhabilitation. Vu les coûts de dépollution et la durée de réalisation d’un projet, il serait intéressant de densifier ces lieux idéalement situés. Il faut oser davantage. Dans le centre, la densité est de 40 à 50 logements à l’hectare.

P.-O.D. Permettre des densités plus importantes dans les noyaux d’habitat donne en effet la possibilité d’offrir des logements à des prix plus abordables. Pour le reste, il faut aussi voir la situation dans sa globalité. Il y a de nombreux projets en cours : Les Jardins de la Pasture (REIM, 200 logements au total), l’immeuble de l’ancien Courrier de l’Escaut (44 logements, Dherte), l’ancien Multiscope Palace (33 logements, Dherte). Technicité (35 logements, Willemen), le Quai des Poissonsceaux (29 logements, Dherte) ou encore le projet du quai des Salines (77 logements, Jean-Marc Cornil).

Le marché est-il prêt à absorber ces 200 logements ?

P.J. Oui, j’en suis convaincu. Et d’ailleurs les prix sont attractifs : le prix moyen est de 2.400 euros/m2 dans le centre-ville. La dynamique économique entre Tournai, Mouscron, Courtrai et Lille est très importante.

Comment se porte le marché immobilier ?

P.J. Nous sommes actuellement sur un marché d’appartements et il faudrait justement davantage de maisons. Je vise principalement la ZACC (zone d’aménagement communal concerté) Morel qu’il faudra bien libérer à un certain moment.

P.-O.D. On pourrait peut-être y développer des projets de logements à des prix abordables. Sinon, je continue d’être sollicité pour des projets de maisons. Il y en a plusieurs à Kain ou à Ramegnies-Chin. Cela concerne donc des projets dans des villages voisins au centre de Tournai. Il ne faut pas oublier que nous avons la commune la plus étendue de Belgique (lors de la fusion des communes, Tournai a absorbé 29 villages alentour, Ndlr). Ses spécificités sont donc variées.

L’époque où les investisseurs français déferlaient sur Tournai semble révolue. L’abrogation de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) est-elle l’une des explications ?

P.-O.D. Il reste encore quelques grosses fortunes. Nous avons gardé à Tournai une cellule dédiée au consulat français. Ce qui nous permet d’avoir des rapports privilégiés avec la France.

P.J. Mais il n’y a toutefois plus beaucoup d’acheteurs français dans nos promotions aujourd’hui.

Vous ne semblez pas avoir la volonté de fermer le robinet en matière de projets immobiliers. Y-a-t-il néanmoins une limite en termes de population ?

P.-O.D. Comme expliqué, nous souhaitons atteindre le plus vite possible la barre symbolique des 70.000 habitants. Nous en sommes à 69.262 habitants. Cela devrait donc se concrétiser d’ici peu. Mais la volonté n’est toutefois pas de franchir ce seuil n’importe comment. Nous disposons encore, au plan de secteur, de 380 ha en zone urbanisable et 500 ha en ZACC. Les terrains dans les noyaux d’habitat seront privilégiés.

Quels sont les quartiers que vous conseilleriez à un investisseur ?

P.J. Des quartiers à proximité de l’Escaut. S’il se concrétise, la transformation de l’ancien site de la cimenterie Delwart pourrait aussi être un formidable projet.

P.-O.D. J’ai toutefois demandé au promoteur, le groupe Dufour, d’être particulièrement attentif à la problématique des inondations. Il est clair que les logements situés le long de l’Escaut seront particulièrement attractifs. Toutes les maisons vont prendre de la valeur. Ce sera un formidable endroit.

Y a-t-il encore d’autres grands enjeux pour Tournai en matière d’immobilier ?

P.J. Outre la revitalisation du centre, un des enjeux principaux est de faire revenir du commerce dans l’hyper- centre de Tournai. L’extension des Bastions a été préjudiciable. Il serait donc opportun d’y développer du commerce de proximité.

P.-O.D. Les Bastions, c’est le monstre du Loch Ness. Mais le fait que le promoteur ait réinvesti sur le site peut être considéré comme un élément positif. Je ne pense toutefois pas que ce soient les Bastions, qui existent depuis plus de 40 ans, qui ont vidé le centre-ville. La problématique est bien plus large. Les cellules vides sont trop nombreuses. Nous avons octroyé des aides pour les nouveaux commerces, parfois jusqu’à un an de loyer. Ce n’est pas suffisant. Le plan doit être global. J’envisage par exemple de sanctionner les logements inoccupés en instaurant des astreintes de 250 euros par jour. Cela permettra d’éviter ce phénomène qui crée une certaine insécurité.

P.J. Pour faire revenir les familles dans le centre-ville, je pense qu’une piste intéressante serait d’y permettre une exonération du précompte immobilier pour le logement neuf. Pendant cinq ans par exemple.

On a beaucoup parlé ces derniers temps du Stop au béton. Comment vous positionnez-vous par rapport à cette politique qui enrayera à l’avenir toutes les nouvelles constructions ?

P.J. Tournai a la chance de posséder de nombreux fonciers à développer. Et ils sont situés à proximité du centre-ville ou de lieux de communication. Si vous réhabilitez ces friches, vous êtes partis pour quelques années.

P.-O.D. La priorité est de valoriser ces friches et de réhabiliter le bâti existant. Nous voulons aussi lutter contre l’étalement urbain.

La politique territoriale a-t-elle évolué avec l’arrivée de votre partenaire Ecolo ?

P.-O.D. Il est évident que la densification sera accentuée et que nous n’allons pas systématiquement favoriser la construction de quatre façades. Il s’agit d’une vision de l’aménagement du territoire que nous partageons.

Propos recueillis par Xavier Attout

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