Bruxelles : Trois centres commerciaux, est-ce deux de trop ?

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Les projets de centres commerciaux envahissent Bruxelles. Mais la capitale est trop petite pour que Neo, Just under the Sky et Uplace voient le jour conjointement. Ils se situent tous trois dans le nord de la ville, dans un mouchoir de poche de 7 km de rayon. Du coup, c’est un peu à celui qui dégainera le plus vite… Tous les coups (bas) sont permis.

Uplace, à Vilvorde, a déjà obtenu ses permis d’urbanisme et d’environnement, mais de nombreux recours au Conseil d’Etat lui barrent la route. Neo, à Laeken, garde donc toutes ses chances. Le gouvernement bruxellois a confirmé sa volonté de transformer le plateau du Heysel en grand centre d’affaires et de loisirs dans son Pras démographique (plan régional d’affectation du sol). Les avis de marché concernant, d’une part, la construction du centre de convention et d’un hôtel et, d’autre part, l’érection du centre commercial, des équipements de loisirs, de logements, de bureaux et parkings ont été publiés fin juin. Quant au projet Just Under the Sky au pont Van Praet, à Laeken également, il a déjà obtenu son certificat d’urbanisme et d’environnement et doit introduire ses demandes de permis d’urbanisme et d’environnement. Mais il est clair que le nord de Bruxelles ne dispose pas d’une population suffisante pour que les trois projets soient viables et rentables.

Uplace : le géant des Flandres

Uplace, le projet soutenu par Bart Verhaeghe, président du club brugeois et chef d’entreprise influent au nord du pays, est le plus abouti. Il devrait s’implanter sur le territoire de Vilvorde, juste de l’autre côté du Ring, mais c’est le nom de la ville de Machelen qui est souvent accolé à celui du centre commercial pour une question de commercialisation. Et pour l’étranger, la promotion se fait même sous le nom de Uplace Brussels… La guerre des communautés est donc bien réelle, chacun souhaitant tirer profit de la renommée internationale de la capitale. Quelque 190.000 m² seront bâtis, pour un coût de 600 millions d’euros, sur les 11 ha de terrain disponibles. Uplace devrait proposer une véritable expérience de shopping à ses visiteurs. Le complexe serait composé notamment de 55.000 m² de commerces, 40.000 m² de bureaux, d’espaces de loisirs et de sport. Un hôtel de standing de 180 chambres avec jardins suspendus complète l’offre. Uplace donnerait de l’emploi à 3.000 travailleurs et deviendrait le plus grand centre commercial du Benelux. Seulement, les lieux ne disposent pas d’une bonne desserte en transports en commun. Les 25.000 visiteurs attendus quotidiennement n’auraient guère d’autre choix que d’emprunter leur véhicule pour se rendre à Uplace. La partie nord du Ring serait ainsi embouteillée en quasi-permanence.

Neo : le nouveau visage du plateau du Heysel

Sur le plateau du Heysel, le projet de la Ville de Bruxelles et de la Région dépasse le cadre du simple centre commercial. Neo a été imaginé pour panser les plaies d’une urbanisation par phase, sans vue d’ensemble, dans une période où la voiture était reine. Aujourd’hui, il est impensable de conserver ces parkings à ciel ouvert qui coupent totalement la promenade entre le Palais des Expositions, le cinéma Kinépolis et l’Atomium. Neo, c’est donc un nouveau quartier de ville de 67 ha composé d’une salle de spectacle de 15.000 places, une salle de congrès pouvant accueillir 3.500 personnes, des espaces verts, une zone de loisirs de 15.000 m², 750 logements, 5.000 m² de restauration et cafés, un hôtel et trois zones commerciales de 70.000 m² reprenant des enseignes inédites en Belgique. C’est le bureau d’urbanisme néerlandais KCAP qui est en charge du dossier. En tout, 900 millions d’euros doivent être investis. La Région ne devrait pas mettre la main au portefeuille puisque le centre commercial financerait les équipements collectifs du site. Neo permettrait la création de 3.000 emplois. La région bruxelloise souhaite passer des accords avec les entreprises pour qu’elles engagent principalement des Bruxellois. Contrairement à Uplace, Neo est desservi par de nombreux transports en commun : métro, bus et trams. Les automobilistes, eux, pourraient se garer dans les nouveaux parkings souterrains ainsi que dans le parking C du Palais des expositions.

Just Under the Sky : une expérience de shopping

Le long du canal, à deux pas du pont Van Praet sur les anciennes usines Godin, Just Under the Sky devrait compléter l’offre commerciale du nord de Bruxelles. Sur les 40.000 m² du site, Equilis, la société d’investissements en immobilier du groupe Mestdagh, prévoit des surfaces commerciales de plus petites tailles (entre 50 et 5.000 m²), 7.000 m² dédiés aux loisirs, un espace pour des concerts ainsi que des jardins potagers. Le but est de créer un centre commercial ouvert sur la ville et la voie d’eau, créant une véritable expérience de shopping. “Nous avons étudié avec précision les attentes des futurs clients, explique Olivier Weets, directeur d’Equilis. Nous assistons à une hyperspécialisation des enseignes. Malgré la hausse de l’individualisme, les clients veulent retisser des liens sociaux. De plus en plus de commerces proposent ainsi de créer de véritables communautés. Ils organisent des conférences, des événements pour que chacun puisse partager son expérience. Les clients souhaitent aussi des enseignes plus éthiques. Le centre commercial des années 1970, avec une allée de 8 m, des magasins de chaque côté, quelques services et des animations modestes est mort. L’avenir, ce sont des centres comme celui de Shanghai avec une vie nocturne, un cinéma et une architecture de qualité.” Just Under the Sky souhaite donc développer trois thématiques : “sport, bien-être et nature”, “multimédia” et “design et mode”, le tout pour 210 millions d’euros. Le centre met également l’accent sur le développement durable avec des initiatives originales comme la récupération de la chaleur de l’incinérateur voisin pour chauffer l’espace. Il vise la certification Green excellence. Ainsi, le projet serait complémentaire à celui de Neo. Sa réalisation est d’ailleurs conditionnée à celle du centre du Heysel, la ville de Bruxelles n’envisageant pas l’un sans l’autre.

Quelles conséquences pour les centres existants ?

Si trois nouveaux centres commerciaux mégalos voient le jour, qu’adviendra-t-il des autres ? A Bruxelles, quatre centres commerciaux existent depuis les années 1970 : Basilix, Westland, Woluwe Shopping Center et City2. Le Basilix n’est pas inquiet car il ne vise pas la même clientèle; la sienne est plus familiale et habite près de la basilique de Koekelberg. Le Westland d’Anderlecht, lui, pense à son avenir. AG Real Estate, aujourd’hui seul propriétaire, n’exclut pas un agrandissement. “Près de 7,5 millions de personnes viennent au Westland, précise Kasper Deforche, directeur de la partie retail de AG Real Estate. Ce centre a sa raison d’être et dispose d’une liste d’attente d’enseignes. Mais nous ne devons pas nous laisser aller.”

Le Woluwe Shopping Center, le long du boulevard de la Woluwe, se trouve sur le même axe routier que Uplace. La concurrence pourrait donc être plus importante. Et pourtant, Thierry Orban, directeur d’exploitation chez Devimo Consult (Westland, Woluwe shopping center et City2) est plutôt serein. “Notre centre est mature. Les 7,5 millions de clients habitent majoritairement à maximum 15 minutes de trajet. Nous allons également nous étendre en construisant 12.000 m² sur l’actuel parking à ciel ouvert. Nous manquons d’une grande enseigne multimédia pour disposer d’une offre complète.”

Le City2, couplé à la rue Neuve, bénéficie d’un flux piétonnier important. Chaque année, 12 millions de personnes se pressent dans ses allées. Repensé en 1999, le City2 ne peut s’agrandir mais doit être réaménagé pour apporter de la nouveauté aux chalands. Il pourra ainsi attirer de nouvelles enseignes, différentes de celles de la rue Neuve.

Et le centre-ville ?

Pour beaucoup d’observateurs, l’arrivée de nouveaux centres commerciaux constitue un danger pour les commerces du centre-ville. Pourtant, Atrium, l’agence de développement du commerce bruxellois, et l’échevin du Tourisme, Philippe Close (PS), se sentent bien armés pour répondre à ce défi. La rue Neuve, en plein c£ur de Bruxelles, reste incontournable. Quelque 3.600 personnes y travaillent. A elle seule, elle attire plus de 50.000 visiteurs par jour. Selon le comptage du flux piéton d’Atrium, sa fréquentation a même augmenté de 14,5 % par rapport à 2010. Idem pour les rues qui lui sont proches. Les rues de l’Ecuyer, de la Montagne, du Marché aux Herbes et surtout celle des Fripiers connaissent une augmentation de leur fréquentation de plus de 20 %.

“La rue Neuve est aujourd’hui saturée, explique Pierre-Yves Bolus, directeur d’Atrium. Les cellules vides n’existent pas et les listes d’attente sont importantes, d’où une répercussion sur les rues avoisinantes. Lorsque Superdry s’installe à 10 m de la Grand-Place, c’est un signal. L’enseigne veut clairement capter une clientèle touristique et celle-ci n’ira pas faire ses courses à Neo.”

Atrium se montre donc confiant mais l’agence précise que les commerçants du centre doivent proposer des nouveautés pour une réelle plus-value. Les quartiers qui ne sont pas spécialisés risquent plus de souffrir de la concurrence des centres commerciaux. “Dans nos enquêtes de satisfaction, les clients nous disent souvent que Bruxelles manque d’audace. Pour eux, les commerces présents sont identiques à ceux d’une ville de province. Il faut favoriser l’innovation du centre-ville sinon il mourra petit à petit.”

En développant ses pôles commerciaux de Neo et de Just Under the Sky, la ville de Bruxelles n’a évidemment pas l’intention de faire mourir ses échoppes du centre. Pour cela, elle mise sur une stratégie urbaine dynamique. Elle avait commandé une étude afin de savoir si la rue Neuve devait être modifiée en profondeur . “Le bureau d’études a révélé que seuls de petits changements étaient nécessaires, explique Philippe Close. Nous devons surtout nous concentrer sur les interconnexions avec les places De Brouckère, de la Monnaie ou des Martyrs ainsi qu’avec Rogier. Nous devons aménager une véritable promenade patrimoniale afin que les gens passent d’un quartier à l’autre.”

La ville de Bruxelles a déjà refait le piétonnier allant de la place de la Monnaie à la Bourse, créant ainsi un espace agréable pour les promeneurs. Elle souhaiterait également revoir l’aménagement des boulevards et surtout du tronçon d’Anspach allant de De Brouckère à la Bourse. “Mon rêve est de créer un piétonnier, s’enthousiasme l’échevin du Tourisme. Nous devons faire évoluer les mentalités, créer des jonctions avec la gare du Midi et la Porte de Namur. Il ne doit plus y avoir de barrière physique qui semble infranchissable pour un piéton. En réaménageant l’espace public avec des £uvres d’art pour le rendre plus convivial, nous insufflerons une nouvelle dynamique.”

Une véritable bataille communautaire

En tout, 475.000 m² de commerces sont prévus sur les deux Brabant et Bruxelles. Neo, Just Under the Sky et Uplace représentent 5,3 % du territoire bruxellois, ce qui n’est pas rien. Si une implantation au nord semble indispensable, c’est à cause du schéma de développement commercial commandé par la Région bruxelloise en 2008. Il démontre un léger déficit de l’offre commerciale sur cette zone. L’étude parle d’un potentiel de 1,2 million de clients et cela sans tenir compte de la croissance démographique.

Si les trois projets se réalisent, l’affluence sera moindre, ainsi que la rentabilité au mètre carré. En plus, les investisseurs visés par les concepteurs sont les mêmes. “Avant, les sociétés qui investissaient dans les centres commerciaux connaissaient bien le secteur, explique Thierry Orban. Aujourd’hui, ce sont des investisseurs immobiliers qui veulent simplement rentabiliser leur mise. Je parie d’ailleurs que Uplace sera revendu dans les six mois s’il voit le jour.”

La rentabilité financière inquiète également les régions bruxelloise et flamande. Aucune des deux n’a envie de voir passer sous son nez un projet porteur de taxes et d’emplois. Pour Bruxelles, le centre commercial Neo permet de financer la salle de congrès. La capitale pourra ainsi organiser des séminaires de “taille ONU”. Ville et région sont donc derrière le dossier.

Du côté flamand, les choses sont plus complexes. Les membres du gouvernement ne sont pas tous d’accord. La ministre de l’Environnement, Joke Schauvliege (CD&V) n’a pas hésité à délivrer le permis d’environnement soutenu par son ministre-président Kris Peeters. Mais à peine le document délivré, Bruno Tobback (sp.a) a fait savoir son mécontentement, espérant le dépôt de nombreux recours au Conseil d’Etat. C’est à présent chose faite : la Région bruxelloise est notamment montée au créneau et bloque le dossier. Mais Uplace a déjà riposté et compte porter plainte auprès de la Commission européenne pour concurrence déloyale, arguant que Neo n’a pas respecté les règles en matière d’appel d’offres. La saga est loin d’être terminée…

VANESSA LHUILLIER

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