Twitter doit réussir son envol publicitaire

Le petit oiseau bleu a certes chamboulé le Web mais bataille pour faire rentrer l’argent dans ses caisses. Tout comme Facebook, il ouvre ses bras à la publicité. Un pari risqué et pas encore gagné. Qui n’a même pas débuté en Belgique.

“Twitter n’est pas sorti de l’auberge”, avertit d’emblée Brice Le Blévennec. Un constat non dénué d’inquiétude : grand geek devant l’éternel, le chief visionary officer de l’agence digitale Emakina est lui-même un twitto acharné, utilisateur quotidien du réseau social symbolisé par le petit oiseau bleu. “Je ne suis pas sûr qu’il sera un jour viable. Il faudrait presque le nationaliser, tellement il est devenu un élément indispensable de la vie du Web.”

Pas que le succès ne soit pas au rendez-vous, au contraire. Lancée il y a six ans, la plateforme qui permet à tout un chacun de résumer ses états d’âme en un court message de maximum 140 caractères (un tweet, ou bien gazouillis pour ceux qui préfèrent la version française) compte quelque 500 millions d’utilisateurs (les fameux twittos) dans le monde et génère quotidiennement pas moins de 400 millions de tweets. Pas encore le raz-de-marée Facebook et ses plus de 950 millions de comptes, mais tout de même. Politiciens s’écharpant en direct, experts partageant des opinions, informations circulant parfois plus vite que via les traditionnelles agences de presse, liens et vidéos se propageant à tout va : Twitter est l’un des temples de la réactivité sur l’Internet et constitue une formidable fourmilière à buzz.

Reste à monétiser cela. Pendant longtemps, Twitter a privilégié l’extension de son audience et la progression de sa popularité, au détriment de ses rentrées financières. Ces dernières années, le réseau a multiplié les acquisitions, digérant un moteur de recherche, un outil de géolocalisation, un éditeur d’applications ou encore un site permettant de réduire la taille des adresses Internet – précieux, si l’on veut éviter qu’un lien ne mange les 140 caractères disponibles. Pour ce faire, il a eu recours à d’importantes levées de fonds, poussant sa valorisation à environ 8,4 milliards de dollars. En attendant, la patience des actionnaires semble s’être amenuisée au fil des années. La mission de l’actuel patron, Dick Costolo, débarqué de la planète Google il y a deux ans, est on ne peut plus claire : faire rentrer de l’argent dans les caisses. Twitter a eu beau chambouler le monde de la communication, il peine toujours à se doter d’un business model solide – c’est que, tout comme celle de Facebook, son utilisation est gratuite.

Payer pour la première place

Ironie du sort, alors que la plateforme peine à rentabiliser son écosystème, d’autres réussissent très bien à profiter de ses services. Cela fait quatre ans que le fabricant d’ordinateurs Dell utilise le site afin d’avertir les consommateurs en cas de ventes avec des remises de prix. On cite également l’acteur Charlie Sheen, qui aurait empoché plusieurs dizaines de milliers de dollars pour un tweet renvoyant vers un portail internet.

Comme pour son grand frère, la voie de la rentabilité passera donc par l’ouverture à la publicité. Voilà deux ans que les équipes de Dick Costolo, installées à San Francisco, turbinent ferme sur le sujet. La réponse du réseau social se décompose en trois volets : tweets, comptes et tendances sponsorisés. En toile de fond, un principe simplissime : payer pour se retrouver à la première place. Le tweet sponsorisé se retrouve ainsi tout en haut du fil d’actualité des personnes ayant décidé de vous suivre (vos followers, dans le jargon Twitter) ou en première ligne des résultats d’une recherche. La marque faisant appel au promoted tweet ouvre les cordons de la bourse en fonction du résultat engrangé, c’est-à-dire du nombre de clics générés ou de nouveaux abonnés gagnés. Twitter réclamerait 0,5 euro par clic et entre 1,5 et 2 euros par follower. Le compte sponsorisé, lui, permet de voir son profil mis en avant comme étant celui d’une personne à suivre pour la pertinence de ses informations. Une tendance sponsorisée, enfin, permet de figurer parmi les sujets chauds faisant l’objet de discussions sur le réseau (coût estimé : plus de 80.000 euros). Une technique utilisée par Disney afin de promouvoir le dernier-né de sa série des Toy Story.

Déjà disponible aux Etats-Unis, ces outils devraient débarquer dans une cinquantaine de pays d’ici la fin de l’année, dont la France. Dernière nouveauté annoncée la semaine dernière, la possibilité de lier explicitement une série de centres d’intérêts aux tweets publicitaires. Une manière pour les sociétés de ne plus toucher uniquement les utilisateurs suivant l’actualité de leur compte mais bien tous les profils qui semblent se préoccuper de ces mêmes centres d’intérêt. En d’autres termes : une belle caisse de résonance.

Silence autour des chiffres

Quels espoirs les têtes pensantes de la plateforme misent-elles sur ces tweets et profils d’un nouveau genre ? Mystère. C’est un petit peu le paradoxe Twitter. Difficile d’imaginer un réseau social plus ouvert, les tweets étant totalement publics. En revanche, un halo de mystère enveloppe les résultats de l’entreprise, qui s’est jusqu’à présent bien gardée d’entrer en Bourse. En 2012, Twitter devrait générer un chiffre d’affaires compris entre 140 et 260 millions de dollars, selon les estimations. Une fourchette qui s’agrandit encore lorsque l’on s’intéresse aux projections à l’horizon 2014, celles-ci passant de 540 millions à près d’un milliard de dollars. Pour ceux qui croient au décollage publicitaire du réseau, les plus pessimistes tablant sur une stagnation des revenus. Dick Costolo, lui, ne commente pas ces chiffres.

“La grande question est de savoir si les tweets sponsorisés seront efficaces, résume Patrick Marck, general manager de l’Interactive Advertising Bureau (IAB). Si l’on connaît bien sa cible, il existe d’autres moyens de l’atteindre.” Même prudence dans les propos de Nicolas Debray, fondateur de Semetis, agence spécialisée dans la publicité sur l’Internet. “Je suis assez perplexe quant au succès que cela peut rencontrer. Du succès, cela en aura, mais pas aussi incroyable que ce que l’on annonce. Il n’y aura pas d’effet “waouh”.

A peu près comme ce qui se passe sur Facebook : ça tourne, ça rapporte de l’argent, mais la croissance sur le long terme n’est pas si évidente que cela.” En résumé : rien ne dit que l’enthousiasme affiché par le petit oiseau bleu perdurera. Le réseau social se targue en effet d’un taux de clic sur ses publicités tournant entre 3 et 5 %, alors que les bannières online classiques végètent à moins de 1 %. “En général, ce taux de conversion se situe aux alentours de 0,1 %, poursuit Nicolas Debray. Twitter bénéficie pour l’instant de l’effet de la nouveauté. Au fur et à mesure, l’utilisateur s’habitue et ce taux rejoint inévitablement la moyenne.”

Une embûche de plus sur le chemin publicitaire de Twitter : contrairement à son faux rival Facebook, il ne contrôle pas son “expérience” d’un bout à l’autre, comme dirait Brice Le Blévennec. Mais encore ? “Que ce soit sur mobile ou sur le Net, il n’y a qu’un seul client Facebook, c’est-à-dire de façon d’y accéder. Facebook peut rajouter de la publicité là où bon lui semble. Twitter, c’est tout le contraire, et c’est un gros problème qu’il a sur les bras. Il y a beaucoup de logiciels permettant de s’y connecter, où il n’est pas en mesure d’insérer des messages publicitaires.” Voilà donc la pub condamnée à apparaître dans la timeline des twittos, à savoir le fil d’actualité qu’ils se sont composés au gré de leurs abonnements. Le risque, évident : lasser l’utilisateur, voire même provoquer une réaction de rejet. Ce n’est pas pour rien que le réseau social a annoncé en août un impressionnant resserrage des conditions d’accès de son interface de programmation – de quoi solidement limiter les facilités dont disposaient jusqu’à présent les applications tierces. “Le pari de Twitter ne réussira que s’il parvient à contrôler les interfaces des logiciels, afin de pouvoir glisser de la pub à différents endroits, affirme le directeur d’Emakina. Ce n’est pas gagné et Twitter y va à reculons, puisque cela revient à renier ce qui a bâti sa propre popularité. A la base, c’était un écosystème de geek, qui s’est construit à partir de tous les outils permettant d’utiliser ses données pour en faire des trucs chouettes.” Des initiatives concurrentes ont par ailleurs déjà vu le jour, comme App.net, un réseau privé et payant, pouvant donc résister aux sirènes du marketing.

Belgique, morne plaine De toute façon, à l’heure actuelle, la question ne se pose pas dans nos contrées : aucune date n’y est arrêtée pour l’introduction du modèle publicitaire. Cela n’a rien d’étonnant, la Belgique ne faisant pas vraiment figure de marché incontournable : de petite taille et divisé encore par une barrière linguistique. Déjà, la publicité en ligne y est à la traîne, ne pesant, selon l’IAB, que 10 % des dépenses globales, contre une moyenne de 20 % en Europe. Surtout, la pénétration de Twitter n’y est pas décoiffante : environ 180.000 comptes, parmi lesquels entre 40.000 et 60.000 seulement seraient véritablement actifs. Les marques n’y sont pas plus fulgurantes, alors que certaines d’entre elles sont plutôt bien implantées sur le réseau social phare.

“Sur Facebook, en Belgique, nous suivons 2.200 pages de marques et médias ayant plus de 1.000 fans”, indique Yves Baudechon, fondateur de Social.Lab, agence spécialisée en marketing social. Jugez plutôt. Parmi le top 10 des sociétés bénéficiant de la plus grande audience, on retrouve notamment M&M’s Belgique (261.434 fans), Walibi (258.240), Twix Belgique (205.433), Jupiler (200.751) et Quick (139.494). Sur Twitter, ces résultats sont plutôt neurasthéniques : pas de compte belge spécifique pour M&M’s, à peine 1.668 followers pour Walibi, un petit 438 pour Jupiler et un pauvre 283 pour Quick. Même constat si l’on se penche sur les grandes banques : de 15.000 à 50.000 fans sur Facebook et pas un compte dépassant les 2.000 abonnés sur Twitter.

“Schnoll, il ne se passe rien en Belgique sur Twitter, assène Brice Le Blévennec. C’est presque pa-thétique, je n’y ai jamais vu une campagne !” Rien de très étonnant, enchaîne Yves Baudechon. “L’absence d’écosystème publicitaire est un obstacle à plus d’engagement sur Twitter, où il n’y a actuellement pas moyen de faire découvrir votre compte à des gens qui ne l’ont pas cherché volontairement. On vous découvre par hasard, au détour d’une conversation ; les moyens d’accélérer le recrutement manquent.”

Dire qu’il ne s’y passe strictement rien est toutefois un brin excessif. Des initiatives fleurissent çà et là. Des sociétés commencent à établir un dialogue avec leurs abonnés, même s’ils sont peu nombreux, et à répondre à leurs questions, dans une sorte de service après-vente online. “La forte composante buzz de Twitter suscite de plus en plus l’intérêt des départements marketing”, assure Jérôme Bryssinck, head of analytics chez SAS, société spécialisée dans le traitement de données. Celles qui effectuent déjà une veille sur l’Internet, scannant forums ou blogs spécialisés, commencent à se pencher sur le cas Twitter. “Pour l’instant, il s’agit plus de monitoring que de campagne marketing, mais elles s’intéressent à ce que Twitter colporte de positif ou de négatif sur elles.”

SAS a notamment réalisé l’exercice pour Mobistar, à l’occasion du lancement des nouveaux plans tarifaires. D’une moyenne de 19 tweets par jour reprenant la mention “#mobistar”, le 2 avril dernier a vu le compteur grimper jusqu’à 570 (voir graphique), pas forcément tous positifs. A défaut d’y être considéré comme un support publicitaire, Twitter commence à faire office de baromètre en Belgique. Il faut un début à tout.

180.000 comptes La pénétration de Twitter en Belgique n’est pas décoiffante. Et sur ce nombre, seuls 40.000 à 60.000 comptes seraient véritablement actifs.

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