Pourquoi BlackBerry broie du noir

L’entreprise canadienne RIM, qui commercialise les célèbres smartphones, enchaîne les résultats négatifs. Distancée par la concurrence, elle tarde à se renouveler. Le lancement des prochains modèles, début 2012, est sa dernière planche de salut.

Les dirigeants de Research In Motion (RIM) avaient prévenu les analystes. Les résultats de l’entreprise au deuxième trimestre 2011 ne seraient pas bons. Le problème, c’est que RIM, la société qui commercialise les BlackBerry, a fait pire que prévu. Alors qu’elle pensait produire jusqu’à 12,5 millions de smartphones, le compteur s’est arrêté à 10,6 millions (contre 13,2 millions au trimestre précédent). Quant aux revenus, ils ont diminué de 15 %, passant de 4,9 à 4,2 milliards de dollars. Plus inquiétant encore : les bénéfices de la société sont en chute libre. La marge brute est passée de 43,9 à 38,7 % en un seul trimestre. Et les revenus nets ont tout simplement été divisés par deux, passant de 695 à 329 millions de dollars. Pas étonnant que le cours de Bourse ait dégringolé de près de 20 % dès l’annonce de ces résultats embarrassants.

Qu’est-il arrivé au fabricant de BlackBerry ? RIM, basée à Waterloo (au Canada, pas dans le Brabant wallon), n’est tout de même pas la première entreprise venue. Lorsqu’elle lance en 1999 ses premiers “téléphones intelligents”, capables d’échanger des mails, de surfer sur Internet, tout en servant d’agenda et de carnet d’adresses, RIM est un pionnier. L’iPhone n’existe pas encore. L’entreprise codirigée par Jim Balsillie et Mike Lazaridis est la toute première à se lancer dans la production de smartphones, et rentre comme dans du beurre dans les entreprises et dans les organismes publics. Rapidement, les cadres ne jurent plus que par ce nouvel outil de travail. Aujourd’hui encore, les BlackBerry sont bien implantés au niveau business.

“Ils sont très forts en entreprise”, confirme Leslie Griffe de Malval, investment manager chez IT Asset Management, une société française de gestion de portefeuille spécialisée dans les sociétés technologiques cotées en Bourse. “Leurs atouts sont la sécurité et la “gestion de flotte”, c’est-à-dire la capacité de gérer un grand nombre de terminaux professionnels, poursuit-il. Mais RIM est de plus en plus concurrencée par les smartphones tournant sous Android, et par l’iPhone. Apple se vante d’ailleurs d’être utilisé ou testé dans 80 % des entreprises faisant partie du Fortune 500.

Des cadres aux ados

Le principal champ de bataille se situe désormais du côté du grand public… où BlackBerry s’est fait tailler des croupières par ses concurrents : Apple, Samsung, Nokia, HTC et les autres. Les parts de marché de RIM dans les smartphones ont plongé de manière vertigineuse, passant de 20,6 % début 2009 à 11,7 % au deuxième trimestre 2011 (voir graphique ci-dessous). L’entreprise a bien tenté de séduire une clientèle plus large. Toute une gamme de BlackBerry destinée aux jeunes, friands de SMS et de chat, est ainsi apparue sur le marché. RIM les a équipés du système de messagerie instantanée BlackBerry Messenger (45 millions d’utilisateurs), taillé pour la génération Y. “RIM a même lancé le BlackBerry Pearl, de couleur rose, pour la Saint-Valentin”, se souvient Leslie Griffe de Malval.

Ces efforts pour conquérir un nouveau public ont permis à la firme d’augmenter ses ventes. Mais dans un marché en pleine expansion comme celui des smartphones (60 millions d’utilisateurs ont remplacé leur “vieux” GSM par un smartphone entre juillet 2010 et juillet 2011, estime le consultant Asymco), il ne suffit pas de progresser légèrement pour rester en position de force. Dans le même temps, l’iPhone d’Apple et les smartphones Samsung ou HTC tournant sous Android – la plate-forme de Google – crevaient les plafonds (voir graphique ci-dessous). A titre d’exemple : rien qu’au deuxième trimestre 2011, Apple a vendu la bagatelle de 18 millions d’iPhones. Dans le même temps, RIM produisait à peine 10 millions de BlackBerry… dont une partie prend encore la poussière dans les rayons des magasins.

Le pouvoir de séduction de BlackBerry s’est en effet nettement affadi ces derniers temps. La faute à une gamme d’appareils vieillissante et un faible niveau d’innovation. Les derniers terminaux mobiles mis sur le marché par RIM ne sont que des resucées d’anciennes machines. Pendant un an, malgré leurs promesses, Jim Balsillie et Mike Lazaridis n’ont pas sorti de nouveau modèle. Dans un marché aussi dynamique que celui des smartphones, ça se paye cash.

“Samsung et HTC sortent des nouveaux produits tous les trimestres. Et BlackBerry ne lance rien. Forcément, l’entreprise en souffre”, explique Francisco Jeronimo, research manager chez IDC. Ce spécialiste des télécoms était justement au Canada pour le sommet annuel de RIM lorsque nous l’avons joint par téléphone : “L’entreprise a lancé son dernier modèle BlackBerry 7 à la fin du dernier trimestre. Trop tard pour avoir un impact sur les derniers chiffres. Mais RIM vient de nous annoncer que les ventes du BlackBerry 7 lors des premières semaines de commercialisation étaient meilleures que pour le BlackBerry 6, lancé un an plus tôt. Ils espèrent donc présenter de meilleurs chiffres au troisième trimestre.”

Une tablette lancée dans la précipitation

Ce ne sera probablement pas le cas pour ce qui concerne les ventes de la Playbook. La première tablette estampillée BlackBerry, que nous avons testée pour vous dans ce magazine (lire p. 106), est arrivée sur le marché en avril dernier. Au premier trimestre 2011, BlackBerry en a produit 500.000. Au deuxième trimestre, vu le peu de succès rencontré par le nouvel engin, RIM a fait machine arrière, n’en produisant que 200.000 exemplaires. La tablette présentait certains défauts majeurs à sa sortie : pas d’e-mails ni d’agenda (sauf pour les possesseurs d’un smartphone BlackBerry), et surtout un marché d’applications particulièrement faiblard, en comparaison de l’App Store d’Apple ou de l’Android Market de Google. “RIM s’est précipité pour lancer sa tablette”, résume Francisco Jeronimo (IDC). L’entreprise a bien annoncé une nouvelle version de la tablette pour résoudre ces problèmes. Mais il lui sera extrêmement difficile de se faire une place à côté du soleil brûlant de l’iPad et de ses 66 % de parts de marché (voir graphique ci-contre).

Le hic, c’est que la Playbook n’est pas un produit parmi d’autres dans la gamme BlackBerry. C’est un test important pour la marque, qui lance pour la première fois QNX. Ce nouveau système d’exploitation censé faire la nique à Android (Google) et iOS (Apple) est une acquisition récente de RIM. QNX Softwares, qui développait notamment des systèmes d’exploitation informatiques pour les centrales nucléaires, a été racheté pour 200 millions de dollars à l’entreprise américaine Harman International au printemps 2010. Cette transaction rappelle étrangement le rachat de Palm par HP… Un deal qui s’est particulièrement mal terminé puisque HP a annoncé son intention de se retirer du marché du PC et de se débarrasser de sa tablette, le HP Touchpad, en la bradant à 99 dollars.

Comme Palm était censé le faire avec HP, QNX (spécialiste du software) est donc censé aider BlackBerry (spécialiste du hardware) à rendre ses nouvelles machines plus attractives. L’iPhone et tous les smartphones de dernière génération l’ont en effet prouvé : le succès réside aujourd’hui dans la convivialité de la plate-forme et dans la richesse du catalogue d’applications. Deux faiblesses endémiques des smartphones canadiens.

“BlackBerry était très bien positionné sur le marché du smartphone 1.0. Mais ils ont loupé le tournant 2.0, pointe Leslie Griffe de Malval (IT Asset Management). Ils sont très bons en termes d’e-mails et d’agenda. Beaucoup moins pour Internet, les applications, l’écran tactile, la navigation, la musique, la vidéo…” Le système QNX équipera les nouveaux modèles de smartphones BlackBerry, dont le lancement est prévu début 2012. A ce moment-là, Apple aura sorti son iPhone 5 depuis trois mois. Nokia devrait avoir annoncé son premier téléphone tournant sous Windows Phone 8 (Microsoft). Sans oublier Google, qui ne devrait pas tarder à concrétiser son accord avec Motorola en lançant son propre appareil.

Un management bicéphale contesté

Les analystes et les investisseurs attendent le management de RIM au tournant. Au début du mois, Vic Alboini, le CEO de Jaguar Financial, un des actionnaires de RIM, tapait du point sur la table, exigeant des actes de la part des codirigeants. “Le cours de l’action a chuté de quasiment 50 % cette année, rappelait-il dans une lettre ouverte au comité de direction. Il est temps de nommer un comité de directeurs indépendants afin d’examiner les options de la société si jamais la transition vers le système d’exploitation QNX ne régénère pas BlackBerry comme espéré.”

Contestés, les co-CEO ont entamé une politique de réduction des coûts : 2.000 départs (sur 19.000 employés environ) sont programmés. Malgré cette mauvaise passe, l’entreprise peut-elle s’en sortir ? “La valorisation de la société reste attractive”, estime Leslie Griffe de Malval, investment manager chez IT Asset Management. Ce qui n’a pas empêché la société de notre interlocuteur de retirer RIM de son portefeuille d’actions il y a six mois. “RIM rencontre des problèmes au niveau de l’exécution, et elle n’a pas les bonnes cartes en main pour les smartphones de dernière génération, poursuit Leslie Griffe de Malval. Pour redécoller, elle doit sortir des terminaux attractifs en temps et en heure.” En 2012, RIM n’aura pas droit à l’erreur.

Gilles Quoistiaux

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