Start-up: New York comme point de départ pour se lancer aux Etats-Unis?

Big Apple, capitale de la blockchain, riche de 125 incubateurs et plus de 200 fonds de capitaux à risque et "business angels". © reuters

Quand une start-up pense à se lancer aux Etats-Unis, elle pense immanquablement à la Silicon Valley. Mais c’est oublier un peu vite que New York est la deuxième destination de prédilection pour les jeunes pousses technologiques.

Selon le Startup Ecosystem Report 2019, la Silicon Valley californienne est le premier écosystème mondial pour les start-up, suivie par New York, Londres, Pékin et Boston. Dans le cas des start-up, le terme ” écosystème ” fait référence au réseau d’accélérateurs, d’espaces de co-working, d’investisseurs, de mentors, d’universités, d’initiatives publiques et de consultants susceptibles d’aider les entreprises dans leur développement. Sans oublier les licornes, ces société technologiques valorisées plus d’un milliard de dollars avant même d’être cotées en Bourse. Elles sont le symbole d’un écosystème réussi. Et à New York, on en trouve quelques célèbres : le site d’information Buzzfeed, la plateforme de produits artisanaux Etsy ou l’opticien en ligne Warby Parker.

On sous-estime trop souvent le budget et le temps nécessaires pour fonder une entreprise aux Etats-Unis.” – Laurence Van den Keybus (BelCham)

” New York compte plus de 7.000 start-up, 125 incubateurs, plus de 200 fonds de capitaux à risque et business angels, plus d’une vingtaine d’accélérateurs internationaux, détaille John Lynn, CEO de la société Cela qui conseille les accélérateurs. Elle est aussi la capitale mondiale de l’activité blockchain. Si, en 2012, environ 2,3 milliards de dollars ont été investis dans les start-up technologiques à New York, ce chiffre avait grimpé à 13 milliards de dollars en 2017 ! ” Plus proche de l’Europe et du Canada que San Francisco, New York est le tremplin idéal pour les start-up européennes désireuses de conquérir le marché américain. Dans l’Etat de Delaware, il est possible de créer une entreprise américaine pour quelque 2.000 euros, sans même devoir résider sur place.

5.000 à 10.000 dollars par mois

Même si beaucoup hésitent à franchir le pas, les entrepreneurs belges sont conscients du potentiel du marché américain. ” Le niveau de professionnalisme est incroyable et la barrière linguistique quasi inexistante à New York, observe Gert Gijbels, CEO de Netwerk Ondernemen, l’antenne flamande de l’association Réseau Entreprendre et initiateur du programme d’accélération BoostMe. Mais l’obstacle financier est, en revanche, considérable. Imaginer se rendre à New York avec 10.000 euros en poche n’a aucun sens. A Paris et à Londres, il est peut-être possible de lancer une start-up à moindres frais mais pour envoyer quelqu’un pendant un an à New York, il faut au bas mot 150.000 euros ! ” Dans Big Apple, comptez en effet entre 5.000 à 10.000 dollars par mois pour les frais de location, les assurances et le coût de la vie courante.

Solution qu’explorent pas mal de start-up belges ? Financer le séjour de leurs jeunes talents en faisant appel au Fonds Prince Albert. C’est le procédé qu’a utilisé la start-up Unifly, spécialisée dans la navigation de drones, lui permettant d’envoyer un responsable durant une année. Dans ce cas, reste néanmoins une difficulté. Si le collaborateur envoyé à New York doit déjà quitter le territoire américain après 12 mois (s’il n’obtient pas de prolongation de visa, par exemple), la start-up risque de devoir faire une croix sur son réseau américain nouvellement créé.

On peut très bien aussi réussir à partir d’Atlanta ou de Portland.” – Christophe De Smet (Garzini)

Il est habituellement conseillé d’envoyer à New York – et aux Etats-Unis plus généralement – au moins un des fondateurs de la boîte. Ou, à défaut, que celui-ci s’y rende régulièrement. Il n’est pas rare en effet qu’un commercial qui oeuvre librement aux Etats-Unis jette l’éponge au bout d’un an parce que les opportunités se révèlent quasi nulles. Dans ce cas, pour la start-up, la déception est immense. ” Il ne faut pas aller à New York pour se contenter de lancer un ballon d’essai, insiste Gert Gijbels de Netwerk Ondernemen. La démarche doit faire partie intégrante de la stratégie de la start-up. Tout en sachant que pour percer sur un marché regroupant les meilleurs des meilleurs, il faut vraiment sortir du lot. En général, une jeune pousse active uniquement en Belgique n’a rien à faire directement aux Etats-Unis. Elle doit commencer par faire ses preuves en Europe. Si elle y parvient, c’est évidemment une bonne référence. ‘If I can make it there, I’ll make it anywhere’ chantait Frank Sinatra. ”

Un mois à Bruxelles, un mois à New York… pour commencer

Le talent, aussi grand soit-il, a parfois besoin d’un petit coup de pouce. EyeSee s’est spécialisé dans l’ eyetracking, l’oculométrie, pour tester la conception et l’efficacité des publicités et des sites internet. Grâce à des webcams installées sur l’ordinateur, l’entreprise analyse le mouvement des yeux des testeurs. Le programme Go West de l’institut de recherche flamand iMinds (qui a fusionné avec l’Institut de micro-électronique et composants) a aidé EyeSee à traverser l’Atlantique. ” Nous participions à plus de 25 réunions par semaine à New York “, se souvient Olivier Tilleuil. Pendant quatre ans, le fondateur et CEO d’EyeSee a vécu un mois à Bruxelles et un mois à New York avant de se résoudre à s’y installer de façon permanente. ” L’entreprise emploie aujourd’hui 90 personnes en tout, dont quatre vendeurs seulement aux Etats-Unis. Notre chiffre d’affaires devrait atteindre les 7 millions d’euros cette année, dont 50 à 60% réalisés outre-Atlantique “, glisse l’entrepreneur. Il faut dire qu’EyeSee se distingue par sa structure : plus de 80% de l’équipe travaille en Serbie alors qu’aucun des fondateurs n’habite le pays.

Gert Gijbels (Netwerk Ondernemen)
Gert Gijbels (Netwerk Ondernemen)© DERBY TERMONIA

” Les coûts salariaux y sont moins élevés. Et vu la concurrence des géants comme Google et Facebook qui attirent les meilleurs profils occidentaux, nous arrivons à engager des collaborateurs qualifiés venus de toute Europe de l’Est, fiers de pouvoir collaborer à des projets prestigieux “, détaille Olivier Tilleuil.

Sans l’impulsion d’iMinds, EyeSee ne serait probablement pas encore présent aux Etats-Unis. Cette réalité vaut aussi pour la start-up bruxelloise Booqee, qui ne se serait pas développée outre-Atlantique si un de ses fondateurs n’avait pas accompagné son épouse, envoyée à New York par son propre employeur. ” Durant les premiers mois de notre séjour, j’assurais des Etats-Unis la vente pour la Belgique, se souvient Pieter-Jan Vrancken, cocréateur de cette société qui développe des logiciels que les comptables glissent entre leur propre logiciel et les clients pour en augmenter l’efficacité et la convivialité. Mais quand je me suis rendu compte de l’intérêt des Américains pour notre produit, nous avons fondé une entreprise dans le Delaware. ” Les débuts ont été laborieux : l’entrepreneur ne disposait d’aucun réseau. Il a donc commencé par du cold calling (démarchage téléphonique de prospects qui ne connaissent pas l’entreprise) et des messages LinkedIn destinés à être lus en réunion. Décrocher le premier client de référence n’a pas été facile. ” Sans budget, l’intérêt des entreprises n’est pas optimal, constate Pieter-Jan Vrancken. “Fake it till you make it” , comme on dit aux Etats-Unis. Il faut vendre son produit tel qu’il sera dans six mois, pas tel qu’il existe aujourd’hui. Sans quoi vous serez toujours en retard, surtout sur un marché qui évolue aussi lentement que la comptabilité. ”

Il ne faut pas aller à New York pour se contenter de lancer un ballon d’essai. La démarche doit faire partie intégrante de la stratégie de la start-up.” – Gert Gijbels (Netwerk Ondernemen)

Pour Laurence Van den Keybus, codirectrice générale de BelCham avec sa soeur Valérie, ” on sous-estime trop souvent le budget et le temps nécessaires pour fonder une entreprise aux Etats-Unis “. L’ASBL belgo-américaine qui possède des espaces de coworking à New York et San Francisco aide les entrepreneurs dans leurs démarches pour obtenir le fameux visa J-1. ” Les entrepreneurs sous-estiment aussi l’importance des experts locaux qui connaissent le marché comme leur poche, surtout lorsqu’il s’agit de création d’entreprise et d’immigration. Le succès d’une société sur le marché américain dépend en grande partie de la connectivité avec l’écosystème local et le partage d’expériences avec des personnes déjà passées par là. ”

D’abord tâter le terrain

Voilà pourquoi, avant de se lancer à New York, pas mal de start-up viennent d’abord tâter le terrain. Parfois au travers des grands salons thématiques ou généralistes. Pas mal d’initiatives leur permettent de le faire, comme les programmes de soutien de l’Agence wallonne à l’exportation ou ceux de BoostMe mis en place par Netwerk Ondernemen et BelCham. Ces ” missions commerciales ” à New York peuvent faire figure d’ultime étape avant le grand saut. La société gantoise Stampix, par exemple, qui aide les marques à convaincre les millennials à imprimer gratuitement les photos de leur smartphone avec des publicités au verso, a établi ses premiers contacts au travers du programme BoostMe.

De son côté, Garzini, la marque gantoise de petits portefeuilles fonctionnels, réalise déjà l’essentiel de ses ventes en ligne au pays de l’Oncle Sam, par l’intermédiaire du site d’Amazon notamment. Garzini vend aussi bien aux retailers que directement aux consommateurs sur son webshop. ” Aux Etats-Unis, nos ventes en ligne cartonnent, confirme Christophe De Smet qui a créé Garzini à Gand il y a trois ans. Mais nous voulons faire aussi en sorte que nos portefeuilles soient vendus dans des magasins comme Bloomingdale’s. Il faut un minimum de préparation et de motivation pour aborder le marché américain. Et un sacré budget. ”

Garzini, qui espère réaliser un chiffre d’affaires d’un million d’euros avec cinq collaborateurs cette année, se tâte encore : faut-il organiser une levée de fonds ou se contenter de ses propres capitaux pour conquérir le marché américain ? Jusqu’ici, l’entreprise a réussi à croître sans aide extérieure. Quant au point de chute, rien n’est encore décidé. ” J’aimerais m’implanter à New York mais c’est cher, réfléchit Christophe De Smet. San Francisco est encore plus cher. Il ne faut pas opérer nécessairement à New York. On peut très bien réussir à partir d’Atlanta ou de Portland. ”

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