Incubateur de start-up, mode d’emploi: quand les jeunes pousses stimulent les grands groupes

David Valentiny et Laurent Mikolajczak, fondateurs d'Ovation. "Notre capital méthodologique s'adapte à tous les publics et à tous les environnements". © BelgaImage

Pour booster leur processus d’innovation, des groupes comme Solvay, John Cockerill, KBC ou D’Ieteren se rapprochent des start-up et s’inspirent de leurs modèles de développement rapides et agiles. L’ancien patron de l’accélérateur Engine y voit une opportunité : il lance Ovation, un service d’accompagnement des grandes entreprises dans la création de leur propre incubateur de start-up.

Et si les grandes entreprises s’inspiraient des start-up ? Dans un environnement économique en mutation permanente, les grands groupes sont de plus en plus intrigués par le mode de fonctionnement des jeunes pousses les plus audacieuses. Engoncées dans les procédures, paralysées par les strates hiérarchiques, contaminées par la réunionite aiguë, les entreprises traditionnelles ont parfois du mal à lever le nez du guidon. Elles sont structurées et bien organisées, mais elles envient l’agilité et la flexibilité des start-up technologiques, qui sont capables de bousculer tous les domaines d’activité, de grandir très vite… et de menacer les positions les mieux établies.

L’incubateur de start-up doit être capable de prendre des risques, voire d’aller à contre-courant des habitudes ou même des intérêts de la maison mère.

Pour éviter de se laisser déborder par des acteurs disruptifs et pour favoriser l’émergence de projets innovants, de plus en plus de grands groupes tentent d’adopter ou d’intégrer les modèles développés par les start-up à succès. Les incubateurs internes de start-up participent à ce mouvement. En Belgique, ils se sont multipliés ces dernières années.

Des exemples ? La banque KBC a créé Start it, un accélérateur qui accueille une centaine de nouvelles start-up par an. Le groupe Solvay a récemment annoncé la création de The Spark, un incubateur de start-up focalisé sur les jeunes pousses actives dans le domaine des matériaux et des batteries. Telenet a créé le programme Kickstart, dédié d’une part aux start-up actives dans les médias et les télécoms (en partenariat avec l’Imec, le centre de recherche en micro-électronique et nanotechnologies) et, d’autre part, aux start-up ou scale-up capables d’améliorer les process internes du groupe. John Cockerill (ex-CMI) a développé un Innovation Lab pour soutenir les projets d'” intrapreneuriat ” portés par ses propres équipes (lire l’encadré ” Comment John Cockerill favorise ‘l’intrapreneuriat’ “). D’Ieteren a fondé Lab Box, une unité séparée qui héberge des projets innovants et parfois même concurrents aux activités traditionnelles de l’entreprise (lire l’encadré ” Comment D’Ieteren s’auto-disrupte “).

Une bibliothèque d’outils

Le mouvement est en marche, et il n’est pas près de s’arrêter. David Valentiny mise sur cet engouement du secteur corporate pour le séduisant modèle start-up. Après cinq ans à la tête d’Engine, la plateforme de soutien aux start-up et PME basée à Mont-Saint-Guibert, il se lance dans un nouveau projet baptisé Ovation. Cette nouvelle structure, qu’il a créée avec Laurent Mikolajczak, entend accompagner les grandes entreprises dans la création de leur propre incubateur de start-up. David Valentiny n’est pas un novice dans le secteur. Cofondateur de l’incubateur Nest’up, il a dirigé le Reaktor, un programme d’accélération des jeunes pousses visant à les faire passer à la vitesse supérieure, en les transformant en scale-up capable de croître rapidement et de s’étendre à l’international. ” Nous voulons mettre à disposition de nos clients une bibliothèque d’outils orientés start-up “, explique David Valentiny, CEO et cofondateur d’Ovation. L’idée est de conseiller les organisations qui souhaitent mettre en place un incubateur de start-up. Celui-ci peut prendre différentes formes. Il peut s’agir d’une structure visant à attirer des projets extérieurs à l’entreprise, qui peut décider de prendre des parts dans la start-up. Il peut aussi s’agir d’un outil favorisant l’intrapreneuriat, c’est-à-dire le développement de projets innovants portés par des membres du personnel. ” Notre préférence va à une combinaison de ces deux concepts “, défend le CEO d’Ovation.

La nouvelle structure vise les collectivités territoriales des pays en développement et les grandes entreprises.

La nouvelle structure vise deux publics cibles très différents : les collectivités territoriales des pays en développement et les grandes entreprises. Dans les deux cas de figure, l’idée est la même : favoriser l’innovation au sein de leur organisation, qu’il s’agisse d’un territoire ou d’une société. ” Notre capital méthodologique s’adapte à tous les publics et à tous les environnements “, assure Laurent Mikolajczak.

Le changement climatique, ce point de bascule

Le cofondateur d’Ovation est aussi à l’origine de Beefounders, un start-up studio orienté sur les projets durables. Une préoccupation que l’on retrouve dans le nouveau concept lancé avec son complice : ” Les grandes organisations sont arrivées à un point de bascule, estime David Valentiny. Elles sont menacées par des tendances nouvelles comme le changement climatique. Pour y répondre, elles doivent mettre en place de nouveaux processus d’innovation. L’idée est d’innover mieux et différemment. Nous nous adressons aux grands acteurs de l’industrie, parce que c’est là que nous pourrons avoir le plus d’impact. ”

Les bouleversements climatiques, économiques, numériques qui traversent la société constituent autant de raisons de s’intéresser à l’innovation, soulignent les cofondateurs d’Ovation. Or, les grands groupes ne sont pas toujours les mieux armés pour mettre en place des méthodes efficaces permettant de ” pivoter ” rapidement vers un nouveau secteur, de développer de nouveaux produits ou de modifier radicalement les processus de production vers plus de durabilité. Les recettes appliquées par les start-up à succès peuvent les aider.

” En Europe, nous sommes des champions des brevets. Mais nous sommes beaucoup moins efficaces quand il s’agit de mettre sur le marché des applications issues de ces brevets, illustre David Valentiny. De son côté, une start-up va être capable de pousser très rapidement ses innovations vers ses clients. ” C’est même une véritable spécialité des start-up : inonder rapidement le marché, afin de prendre la concurrence de court.

Des cycles d’innovation plus rapides

Adopter ce genre de méthodologie demande un vrai changement culturel au sein des grandes entreprises. ” Traditionnellement, les grandes sociétés qui veulent innover font appel à des consultants comme McKinsey ou d’autres, qui tracent la voie à suivre pour réaliser des investissements à long terme. Ce modèle fonctionne beaucoup moins bien aujourd’hui, parce que l’incertitude a augmenté sur les marchés et que les cycles d’innovation ont été fortement réduits “, souligne Laurent Mikolajczak. Cette accélération est due principalement à l’avènement des plateformes technologiques, qui ont toutes commencé en mode start-up avant de devenir incontournables. Pensez à Airbnb qui a déstabilisé le secteur hôtelier, à Uber qui attaque frontalement le secteur des taxis, à Netflix qui bouleverse l’industrie du cinéma.

De leur côté, les dirigeants des grands groupes ont du mal à faire dévier leur paquebot de sa trajectoire. D’où l’idée de faire appel à un petit esquif très maniable naviguant dans les mêmes eaux, mais de manière autonome. L’incubateur de start-up doit être capable de prendre des risques, voire d’aller à contre-courant des habitudes ou même des intérêts de la maison mère. ” Il doit bousculer la culture interne de l’entreprise “, conclut David Valentiny.

Comment John Cockerill favorise ” l’intrapreneuriat ”

Jean Jouet, directeur du développement chez John Cockerill
Jean Jouet, directeur du développement chez John Cockerill© PG

” Le monde bouge de plus en plus vite. Notre besoin d’innovation est important. Il faut être sur la balle. Mais cet objectif de vitesse n’est pas rencontré dans nos processus internes traditionnels. ” Pour Jean Jouet, directeur du développement chez John Cockerill (ex-CMI), la solution s’impose : il faut aller chercher l’inspiration dans d’autres modèles d’innovation. Il y a deux ans, le groupe industriel décide de créer son Innovation Lab. Ce programme d’intrapreneuriat a pour objectif de faire émerger de nouveaux projets, en contournant les procédures classiques de l’entreprise, qui s’avèrent parfois trop lourdes et trop lentes.

La société a déjà organisé trois bootcamps, des séances intensives permettant de tester et d’évaluer la pertinence de nouveaux concepts portés par des employés. Au total, 300 propositions ont été formulées. Sept projets ont finalement passé la rampe et sont incubés au sein du ” lab “. C’est le cas du projet Lifenet, une solution digitale permettant de contrôler les réseaux de distribution d’eau potable et de détecter des fuites éventuelles. L’application tourne en phase de test au sein de l’entreprise, en attendant une éventuelle commercialisation. Une équipe d’employés a également mis sur pied Eoldia, un système de contrôle de la dégradation des pales d’éolienne par l’intermédiaire d’un drone.

” Nous en sommes au début du processus. Certains projets seront arrêtés, d’autres seront développés en interne, d’autres enfin pourraient être externalisés “, explique Jean Jouet.

Comment D’Ieteren s’auto-disrupte

Michaël Grandfils, directeur de Lab Box
Michaël Grandfils, directeur de Lab Box© PG

Il y a trois ans, le distributeur de véhicules automobiles a créé son propre incubateur de start-up, baptisé Lab Box. ” Le core business de D’Ieteren Auto est centré sur la voiture individuelle. Ce secteur risque à moyen ou long terme d’être frappé par une disruption significative. Plutôt que de la subir, nous préférons développer nous-mêmes nos propres formules “, explique Michaël Grandfils, directeur de Lab Box.

A la tête d’une équipe de cinq personnes, Michaël Grandfils fait émerger des projets en interne. Il scrute aussi le marché à la recherche de projets innovants dans le secteur de la mobilité. C’est ainsi que Lab Box a repris Zipcar et créé Poppy, un service de véhicules partagés. Même si son business model n’est pas encore bien établi, ce genre d’activité porte les germes d’une concurrence avec le secteur traditionnel de la vente de voitures individuelles promu par D’Ieteren Auto. Et alors que Poppy s’apprête à faire grandir sa flotte de véhicules en faisant appel à des concurrents de sa maison mère, quelques dents commencent à grincer dans l’entreprise.

” Il y a beaucoup de tensions sur ces sujets. Ce n’est pas toujours évident, mais nous parvenons à travailler de manière autonome, tout en gardant de bonnes relations avec les équipes de D’Ieteren “, précise Michaël Grandfils. Lab Box n’est pas intégré dans la structure hiérarchique du groupe. ” Les conflits sont tranchés directement par le CEO. Je ne voudrais pas être à sa place “, plaisante le patron de Lab Box. L’incubateur compte sept start-up actives commercialement, dont certaines réalisent plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires. D’Ieteren Auto investit dans ce projet environ 10 % de ses bénéfices. L’objectif est d’amener les start-up incubées à la rentabilité dans les trois à cinq ans. Lab Box n’exclut pas de revendre tout ou partie de ses participations dans les start-up en question. La start-up Skipr va ainsi prochainement faire l’objet d’une ouverture de capital pour laisser entrer de nouveaux investisseurs et financer son internationalisation.

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