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“Coronavirus: attendrons-nous d’être sains et saufs pour (re)devenir démocrates ?”

La Commission européenne vient de plaider en faveur de l’adoption d’une stratégie numérique respectueuse des valeurs fondamentales afin de monitorer la pandémie et d’organiser le déconfinement du vieux continent.

La multiplication des projets gouvernementaux d’applications de tracking et de big data ravive, en effet, le débat entre les partisans de dispositifs numériques efficaces pour juguler la propagation du virus, et leurs adversaires, qui voient dans ces instruments de pistage un nouveau cheval de Troie pour instaurer un régime de surveillance de masse. Démocratie et libertés fondamentales sont-elles incompossibles avec l’efficience ? L’urgence justifie-t-elle la suspension des principes fondamentaux ? La data-gouvernance de la pandémie exige-t-elle de confiner les droits pour déconfiner les êtres ?

La crise sanitaire que traversent les pays européens révèle le rapport désabusé que certains entretiennent à leurs valeurs fondatrices. Aux pays des Lumières, l’urgence, la peur, la pression économique semblent soudain exiger que devant l’ennemi viral, l’on remise certains principes démocratiques, et qu’on adopte, subjugués par la maîtrise technologique asiatique, les méthodes “qui marchent” des régimes forts. Pour résumer, nous ferons démocrates quand nous serons sains et saufs. Étonnante posture devant un modèle démocratique dont la souplesse permet d’affronter les situations les plus diverses, en ce compris l’urgence qu’il prévoit et encadre juridiquement. Disons-le clairement, face à un virus largement méconnu, les méthodes éprouvées pour sortir de la crise sanitaire ne sont pas numériques : distance sociale, hygiène des mains, port du masque, tests généralisés, traitements. Les applications de tracking ne peuvent donc être que les moyens adjuvants d’une stratégie dont les composantes sont connues.

En quoi pourraient-elles ajouter à l’efficace dans la maîtrise de la pandémie, tout en respectant les droits et libertés ? Deux logiques sont à l’oeuvre dans les applications de pistage développées : l’une vise à soutenir une stratégie de déconfinement ciblé, l’autre à modéliser la propagation du virus. Dans le premier cas, il s’agit de tracer les contacts individuels pour vérifier la bonne exécution des mesures de distance sociale et/ou alerter les individus en chaîne en cas de contacts prolongés avec un porteur du virus. Ces dispositifs de pistage, qui attentent à la vie privée et aux libertés publiques, n’ont d’intérêt qu’associés à la disponibilité préalable des moyens de dépistage massif, sauf à reconfiner d’office le quidam qui aurait croisé la route d’un séropositif.

Dans le second cas, les dispositifs, combinables aux premiers, visent à recueillir les données de localisation – qui seraient anonymisées et agrégées – dans le but de prédire l’évolution de la pandémie. Une meilleure modélisation constituerait un réel avantage en termes épidémiologiques, mais garantir un anonymat pérenne s’avère techniquement compliqué et difficilement contrôlable.

Les bénéfices potentiels des applications de traçage laissent dubitatif. On peut toutefois s’assurer qu’elles ne nuisent pas aux droits et libertés. Par le principe du volontariat tout d’abord -mais cela n’en réduirait-il pas l’efficace et n’en biaiserait-t-il pas les résultats ? Et par les contraintes qui devraient être applicables aux dispositifs numériques, en toutes circonstances, telles que : la clarté quant aux limites d’usage et limites temporelles, l’auditabilité des bases de données recueillies, la mise à disposition publique et l’explication des algorithmes appliqués à ces données afin de contrôler les informations qu’on peut en soustraire, et bien sûr le respect du règlement général pour la protection des données en matière d’information et de consentement éclairé des utilisateurs volontaires. L’efficience, en démocratie, qu’est-ce d’autre que la garantie du meilleur exercice des libertés – en toutes circonstances ?

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