Comment survivre dans la jungle des start-up? Voici les conseils des pros

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Rythme effréné. Objectifs stricts à atteindre. Croissance continue. Les start-up doivent avancer vite pour trouver leur marché, puis pour générer leurs premiers revenus et évoluer. Leur ambition parfois démesurée les mène souvent très loin avec de (toutes) petites équipes flexibles à qui elles demandent un engagement total. Pour le meilleur ou pour le pire ?

“D’ici quelques semaines, nous aurons rejoint le local d’à côté car ici, nous sommes à l’étroit puisque notre start-up ne cesse de grandir. ” Chez Wooclap, une jeune boîte bruxelloise qui transforme les smartphones en outils d’apprentissage pour les étudiants, on voit grand. La récente levée de fonds de 1,4 million d’euros permet d’ailleurs de nourrir une certaine ambition : le but de Sébastien Lebbe, le CEO, est de largement dépasser les frontières du territoire belge et viser le niveau européen. ” On veut devenir leader en Europe “, nous glisse le CEO qui veut ” révolutionner la manière d’enseigner ” et exhorte les profs d’unif à inclure le smartphone dans leurs cours.

L’univers start-up a généré son propre langage et ses propres codes.

L’ambition de croissance et, surtout, l’idée que tout est possible constituent probablement les deux grandes constantes de ces jeunes pousses. ” Quand j’ai rejoint Qover, j’ai rapidement compris que la volonté de la start-up était de changer le monde de l’assurance, se souvient Steven Van Gaever, marketing & PR manager chez Qover. Et pas seulement en Belgique, mais dans toute l’Europe. ”

Dans les start-up, il faut aller vite et loin. Il faut trouver son marché, puis grandir, beaucoup. Ou plutôt ” scaler “, comme on dit dans le jargon. Car l’univers start-up a généré son propre langage et ses propres codes : on cherche son product market fit, on y rêve de devenir une licorne, on sprinte sur les projets, on compte attirer les meilleurs VC, etc.

Dans cette autre start-up belge, ” tout était porté par le scaling “, se souvient cette employée qui a, depuis, quitté l’univers start-up et préfère ne pas être citée. ” Il fallait que le revenu récurrent grandisse de manière exponentielle, poursuit-elle. Et tout était fait pour y parvenir. ” Les employés travaillent en mode sprint, l’une des spécificités du mode agile si cher aux start-up. Cela signifie que les équipes se lancent dans la réalisation d’un projet ou d’un sous-projet dans un temps bien défini. Cette technique issue de l’univers IT rythme pas mal de jeunes pousses qui suivent de semaine en semaine la progression des équipes. ” Cela impose un rythme de progression très soutenu et pousse chacun à bosser un max pour arriver à remplir ses objectifs “, ajoute l’ancienne employée. ” Mais le sprint ne constitue pas, comme on peut le penser, une obligation de rapidité, précise Annabelle Bignon, coauteure du Livre de la Jungle, consacré au travail dans les start-up. Le sprint est aussi et avant tout une manière de se recentrer sur un projet et de se focaliser sur l’essentiel qui, dans une start-up, doit être l’humain et le client. L’objectif des start-up est clair : résoudre les besoins des clients. ”

Dans une start-up,les employés travaillent en mode
Dans une start-up,les employés travaillent en mode ” sprint “.© istock

Pas le temps d’en perdre

Pour Steven Van Gaever, ” c’est vrai que le boulot dans une start-up demande de relever des challenges et nécessite une véritable implication, mais cela ne signifie pas que l’on est sous stress au quotidien “. Car le rythme plaît à beaucoup. ” Les personnes qu’on engage doivent aimer un tempo très élevé et le changement constant qu’entraîne une croissance rapide “, avertit Pieterjan Bouten, le CEO de Showpad, une plateforme d’aide à la vente et l’une des start-up belges les plus en vue. ” Nous avons, c’est vrai, des attentes très élevées, admet aussi Fabien Pinckaers, CEO et fondateur d’Odoo, qui propose aux entreprises un logiciel de gestion. Une personne qui démarre chez nous n’a pas la vie facile : on l’envoie directement chez les clients, elle est directement dans le bain et cela peut lui sembler inconfortable. Mais de la sorte, on met l’accent sur son autonomie. C’est une manière pour elle d’évoluer très vite. ”

L’efficacité se traduit aussi par une commu-nication omniprésente au sein de la start-up.

Ce degré d’autonomie constitue l’une des grandes différences de l’univers start-up par rapport au monde ” classique ” de l’entreprise. Après avoir quitté de (très) grosses boîtes du secteur médical, où il avait occupé des postes de directeur et de vice-président, Christian Vincent a rejoint voici quelques mois FEops, start-up gantoise qui développe des algorithmes pour optimiser les interventions chirurgicales en cardiologie. Il y constate chaque jour son degré d’autonomie. ” Dans les grandes structures, chaque projet nécessite l’intervention de différents directeurs et de départements différents qui ne se parlent pas forcément entre eux, explique le therapy developmentdirector de FEops. Cela prend du temps et manque souvent d’efficacité. Alors que dans une start-up, on n’a pas le temps de ne pas être efficace. Je gère mes projets et mes objectifs de A à Z. Nous sommes une vingtaine et avons une organisation très lean avec très peu d’obstacles pour nos idées. De l’idée à l’exécution, on peut aller très vite. ”

C’est aussi ce qui plaît chez Qover à Steven Van Gaever : ” On mesure directement l’impact de son travail. Tellement de choses doivent être menées à bien que cela offre de très nombreuses opportunités de montrer ce dont on est capable “. Pour autant que l’employé de start-up se montre flexible et puisse jouer les MacGyver pour se sortir de certaines situations… ” On peut très rapidement être amené à réaliser des tâches qui ne font pas partie de nos attributions de départ, se souvient une ancienne employée de start-up. C’est parfois déroutant parce que cela nous fait sortir de notre zone de confort et qu’il faut se débrouiller par soi-même, en cherchant sur Internet comment faire quelque chose qui n’était pas prévu et qu’on n’a jamais fait. ”

Vivant des fonds qu’elles ont réussi à lever, le risque est grand pour les start-up. L’incertitude est partout.

La différence avec le monde des corporate se remarque au quotidien. Christian Vincent pointe quelques détails : ” Il n’y a pas de standard téléphonique. Quand le téléphone sonne chez FEops, on décroche, alors que dans les grosses structures, on a des armées d’assistants. Dans les start-up, personne n’est préposé au café ou au lave-vaisselle. Tout le monde met les mains dans le cambouis. Et les équipes décorent elles-mêmes le sapin de Noël… ( sourire). Les start-up ont besoin de compter sur des employés qui font preuve d’adaptabilité et d’agilité, deux attitudes fondamentales. C’est bien sûr lié au budget dont on dispose, mais cela pousse aussi à l’efficacité. ”

Collaboration et bonus collectifs

Cette efficacité se traduit également par une communication omniprésente au sein des start-up, via tous les moyens modernes : Slack, Skype, des plateformes de partage de connaissances, etc. La ” réunionite ” est proscrite, les meetings n’étant organisés que lorsque cela s’avère vraiment nécessaire. ” Les lignes sont très courtes et la structure flat, ajoute Steven Van Gaever. On parle directement avec le CEO de manière régulière et parfois informelle. ” Cela permet à chacun d’être tenu informé, de généraliser la transparence et de s’impliquer en vue de réaliser sa ” mission “. Et d’aller vite. ” En quelques jours seulement, nous avons pu prendre la décision d’impliquer certains de nos ingénieurs dans des missions que je poursuis, alors qu’une telle décision aurait pris des mois dans une grosse structure “, glisse Christian Vincent, de FEops.

Cela s’explique aussi par l’adhésion totale de l’ensemble des équipes au projet de la start-up. La culture d’entreprise est généralement très forte. Chacun s’implique pour faire aboutir le projet. ” L’esprit collaboratif était très fort, se souvient encore cette ancienne employée de start-up bruxelloise. Il y avait peu de rivalités et les employés s’aidaient volontiers pour arriver à un niveau global de performance. ”

Il n’est pas rare, il est vrai, que les employés (régulièrement intéressés au succès de l’entreprise via des stock-options) soient ” incentivés ” (sacré jargon !) par des bonus. Soit des bonus individuels classiques, soit des bonus collectifs en lien avec les objectifs généraux de la boîte. De quoi motiver l’ensemble des équipes en vue de la réussite du projet. Car – start-up oblige – le défi est grand : ces jeunes entreprises pleines d’ambition sont généralement loin de la rentabilité. Souvent, elles cherchent même leur marché et leurs clients, vivant des fonds qu’elles ont réussi à lever…

Autant dire que le risque est grand. L’incertitude est partout dans la sphère start-up. ” C’est un univers plus risqué, bien sûr, admet Christian Vincent. Mais les employés sont directement acteurs du résultat. ” Les meilleurs CEO de jeunes pousses l’ont compris. Ils essaient de recruter les meilleurs éléments et… de bien payer ceux qui occupent des postes clés. Inutile de préciser que pour ceux qui parviennent à tracer leur route et à éviter les obstacles au sein de la jungle des start-up, de belles carrières se présentent.

Pierre-Antoine Dusoulier
Pierre-Antoine Dusoulier

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Pierre-Antoine Dusoulier CEO d’IBANfirst

Ce qu’il regarde. ” J’impose une règle simple pour tous les engagements : les nouvelles recrues doivent être à la fois sympas, avoir une puissance de travail forte et être des personnes de confiance. Si une de ces qualités n’est pas présente, cela ne marche pas. Je regarde assez peu les études mentionnées sur le C.V. On a, par exemple, engagé une personne qui n’a pas le bac mais qui a eu une belle expérience auprès d’un CEO aux Etats-Unis. ”

Pour attirer et conserver les bons profils. ” Nous sommes environ 20% plus offrants que le marché et tous les employés bénéficient de stock-options. En Belgique, on leur propose voiture, téléphone, ordinateur… Les start-up visent surtout à faire grimper leurs revenus avant de s’occuper de leur rentabilité, donc elles doivent miser sur les employés alors que pour une grosse entreprise traditionnelle, c’est plus difficile d’augmenter sensiblement les revenus. “

Fabien Pinckaers
Fabien Pinckaers© Daniel Rys

Fabien Pinckaers Odoo

Ce qu’il regarde. ” On ne regarde pas l’expérience mais plutôt les compétences et la capacité à apprendre. Lors de nos entretiens d’embauche, on organise des mises en situation et des tests de QI. Ce sont d’ailleurs, dans cet ordre, les deux critères qui interviennent le plus dans le choix des candidats. Mais on ne regarde pas les C.V. ”

Pour attirer et conserver les bons profils. ” On veut que les candidats sachent ce qu’on leur propose, avant même qu’ils ne postulent. Ils peuvent ainsi connaître le package salarial. Ensuite, quand on les engage, on veut éviter les négociations : on normalise le package mais on permet à chacun de l’aménager comme il le souhaite. On a un module qui permet aux employés de choisir leur type de voiture, le nombre de jours de congés. Cela fait alors varier le net. “

Pieterjan BoUten
Pieterjan BoUten

Pieterjan BoUten CEO de Showpad

Ce qu’il regarde. ” On veut des gens authentiques et des good nature ass-kickers. Des personnes passionnées qui veulent avoir un impact et bien faire leur job. Sans se prendre au sérieux. ”

Pour attirer et conserver les bons profils. ” Il ne s’agit pas seulement d’un salaire correct et d’avantages flexibles, mais également de l’expérience de travail. Par exemple, nous avons créé l’Université Showpad qui, dès le premier jour, vous guide individuellement dans votre développement. Cependant, le plus important reste notre culture. Nous investissons énormément pour mettre tout le monde sur la même longueur d’onde : par exemple, nous sommes allés aux Etats-Unis avec les 400 employés pendant une semaine. Cela garantit une connexion forte avec Showpad. ”

Quentin Colmant
Quentin Colmant

Quentin Colmant CEO de Qover

Ce qu’il regarde. ” Le fit culturel et la motivation représentent 50% de nos attentes. Ensuite, on cherche un certain background : les compétences et l’expérience, entre 3 et 10 ans. Il faut que les employés ne soient pas trop formatés par leurs jobs précédents et qu’ils soient autonomes. ”

Pour attirer et conserver les bons profils. ” On engage moins pour engager mieux. Cela nous permet de proposer un salaire plus compétitif que les corporates. Par ailleurs, tous les employés disposent d’un plan stock-options. On paie aussi les tickets de train en première classe. ” Il met aussi les moyens : ” Pour recruter une personne du Brésil que nous voulions vraiment dans l’équipe, nous avons passé cinq mois pour les démarches de permis de travail et de visa “.

Heidi Rakels
Heidi Rakels© ISOPIX

Heidi Rakels CEO de Guardsquare

Ce qu’elle regarde. ” Que les candidats n’aient pas changé trop souvent de boulot, qu’ils aient fait de bonnes études, qu’ils passent de bons tests techniques, qu’ils poursuivent de beaux projets personnels, qu’ils parlent anglais, soient motivés et aient envie d’apprendre. ”

Pour attirer et conserver les bons profils. ” On offre un salaire plus élevé que le marché… mais pas trop élevé afin d’éviter que des candidats ne viennent que pour l’argent. Un environnement très international, agréable, une bonne ambiance, où les gens peuvent évoluer en même temps que l’entreprise grandit. “

Un monde qui ne convient pas à tous

Comment survivre dans la jungle des start-up? Voici les conseils des pros

“Lors de l’entretien de fin de période d’essai, mon CEO m’apprend qu’au lieu des 1.500 euros nets convenus au départ, je vais finalement être embauchée avec une paye trois fois inférieure à cause d’obscures difficultés financières. ” La jeune femme qui écrit ces lignes dans un livre intitulé Bienvenue dans le nouveau monde s’appelle Mathilde Ramadier. Elle a connu l’univers start-up à Berlin et a sorti, en 2017, un livre très médiatisé dans lequel elle dénonce la ” coolitude ” des start-up et un certain nombre de dérives.

Dans ce petit essai qui se lit facilement, elle dézingue notamment l’attitude faussement cool qu’elle a connue dès son arrivée lorsque ses patrons lui envoient un welcome kit avec les infos indispensables sur la boîte. ” J’ai l’impression qu’ils s’adressent au gagnant d’un jeu concours, âgé de 15 ans maximum, voire un peu débile “, écrit-elle. Selon l’auteure, ” les start-up s’arment d’une véritable novlangue destinée à dissimuler la loi de la jungle dans une brume de cool “. Elle y dénonce l’expérience ” d’une précarité sociale et d’un appauvrissement intellectuel inquiétants, depuis la mise en circulation d’un langage vidé de sa substance au point d’en devenir absurde jusqu’au spectacle de diplômés polyglottes venus du monde entier pour exécuter des tâches répétitives et débilitantes, se vantant en continu sur les réseaux sociaux de l’importance de leur activité professionnelle. ”

Décidément remontée, elle qualifie l’univers start-up ” d’ultralibéralisme féroce ” où se mêlent un ” mélange de fascination pour les technologies de l’information ” et une ” soumission perverse à la nouvelle économie, aux réseaux sociaux dans lesquels l’individu, sa parole, ses aspirations et son esprit critique n’ont plus de place “. Et de comparer les employés de (certaines ?) start-up à des robots d’un nouveau genre : ” des jeunes motivés qui se sentent l’âme de conquistadors et occupent des postes dont le titre reste énigmatique au commun des mortels. (…) Super rapides, flexibles, increvables et perfectionnistes, ces nouveaux aventuriers de l’ère de la data n’ont plus ni dieu ni maître, mais une nouvelle langue commune et, en l’occurrence, un seul mot à la bouche : l’innovation. “

” Bienvenue dans le nouveau monde. Comment j’ai survécu à la coolitude des start-ups “, Mathilde Ramadier, éd. Premier Parallèle, 2017, 160 p.

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