“Bientôt Google diagnostiquera nos maladies, Amazon livrera les médicaments et Apple gèrera les hôpitaux”

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Le mouvement entamé vers une médecine robotisée et abreuvée par l’intelligence artificielle est inéluctable. C’est ce que démontre Philippe Coucke dans son livre “La médecine du futur, ces technologies qui nous sauvent déjà”. Nous l’avons interrogé.

TRENDS- TENDANCES. A l’avenir, les médecins poseront-ils encore des actes médicaux ?

PHILIPPECOUCKE. Le rôle du médecin est de poser un diagnostic et de faire un choix thérapeutique, sur la base d’un certain nombre de critères objectifs et subjectifs. Le nombre de critères utilisés est limité parce que nos capacités cognitives sont limitées. Le médecin va être de plus en plus inondé de données médicales, ce qui rendra son travail plus difficile. Il aura donc besoin d’une aide et celle-ci est offerte par l’intelligence artificielle. Le métier de médecin sera chamboulé par l’avènement de la technologie. Tout ce qui est technologique pourra être automatisé.

Le métier de radiothérapeute, que vous exercez, est-il en train de changer ?

Les radiologues, tout comme les radiothérapeutes (les spécialistes du traitement des cancers par radiothérapie, Ndlr), doivent réfléchir profondément à l’essence même de leur métier. L’intelligence artificielle a fait des avancées énormes dans la lecture automatique de l’image. Les actes techniques ne représentent plus la majeure partie de mon activité. Mon rôle est d’expliquer aux gens pourquoi une radiothérapie leur sera bénéfique, comment se passera leur trajet de soins, comment ils seront accompagnés durant cette période difficile. Nous avons longtemps été taxés d’ingénieurs de la médecine, mais notre spécialité est en fait éminemment humaine. Les patients ont besoin de cette empathie que nous apportons.

L’enseignement de la médecine correspond-il à cette nouvelle réalité ?Nous formons des futurs professionnels à des métiers qui vont peut-être disparaître ou à des métiers qui n’existent pas encore. Ce n’est pas propre à la médecine. Mais cela illustre le grand décalage temporel entre l’enseignement et les métiers du futur, qui n’est pas un futur lointain.

Etes-vous un techno-optimiste ?Oui. J’ose espérer que nous pourrons récolter les bénéfices de ces nouvelles technologies, tout en évitant les dérives. On en est aux balbutiements de l’intelligence artificielle. Mais tout va très vite : beaucoup de tâches simples ou complexes seront bientôt réalisées par l’IA. Deepmind, la filiale de Google spécialisée dans l’intelligence artificielle, est déjà capable de détecter des maladies dans des analyses de fond d’oeil de manière plus efficace qu’un spécialiste humain.

L’intelligence artificielle pourrait- elle être responsable d’erreurs médicales ?Potentiellement oui. Et on en a déjà une petite idée. Dermexpert est un système censé reconnaître un naevus (grain de beauté, Ndlr ) malin d’un naevus bénin. L’intelligence artificielle utilisée par Dermexpert fonctionnait très bien sur les personnes à la peau blanche, mais beaucoup moins bien sur les personnes à la peau noire. Le problème était que les bases de données introduites dans le logiciel ne contenaient pas suffisamment de personnes d’origine africaine. Le risque d’avoir une IA utilisant des données biaisées est réel. A partir de là, il y a danger.

Faut-il réguler, encadrer les algorithmes médicaux ?Je comprends la peur des gens par rapport à la mise à disposition de grandes banques de données médicales. Mais je remarque aussi que cette peur varie en fonction de la culture de chaque pays. Dans les pays scandinaves, les gens sont largement d’accord que leurs données puissent être utilisées, parce qu’ils ont confiance dans leurs gouvernements. C’est moins le cas dans les pays latins. Mais cela peut changer. Je fais appel au concept de la “philanthropie des données”. Les citoyens devraient pouvoir accepter de céder leurs données pour des raisons sociétales, pour permettre au système de soins de faire un virage complet vers une médecine préventive et prédictive.

Demain, nous pourrons donc prédire les maladies dont nous souffrirons ?Oui, ça commence. Nous disposons déjà aujourd’hui d’informations provenant du décodage du génome, du microbiome intestinal, de l’imagerie médicale, etc. On peut détecter les premiers signes d’une maladie d’Alzheimer cinq ans avant son diagnostic ! Dès lors que l’on peut déterminer longtemps à l’avance qu’un patient va développer un certain type de maladie, on peut faire en sorte d’atténuer en grande partie l’arrivée de cette maladie, voire de l’empêcher en changeant son mode de vie. Je suis persuadé que la médecine prédictive et préventive a un potentiel énorme. Elle sera beaucoup plus efficace que la médecine curative actuelle.

Peut-on admettre que des sociétés technologiques prennent une place importante dans l’univers des soins ?Elles seront amenées à le faire pour deux raisons : tout d’abord pour leur expertise, qui est celle du big data, des bases de données, et ensuite parce qu’elles disposent des ressources financières et humaines nécessaires. Les Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple, Ndlr ) et les BATX ( leurs équivalents chinois, Ndlr ) payent mieux les chercheurs que les hôpitaux. Aujourd’hui, les grands développements en matière de médecine sont financés par les Gafa. Ceux qui ont une idée originale n’ont qu’une perspective : se faire racheter par une grande entreprise technologique.

Verra-t-on apparaître des hôpitaux Google dans quelques années ?C’est déjà un peu le cas. Sous forme de boutade, on peut dire que le diagnostic sera posé par Google, que le médicament sera produit et livré par Amazon et que l’hôpital sera géré par Apple. Il y a danger, parce qu’ils ont une puissance et une force de frappe inouïes, qui dépassent largement ce que nous pouvons financer dans le monde hospitalier.

Beaucoup de dirigeants de la Silicon Valley appartiennent au mouvement transhumaniste. Comment vous positionnez-vous par rapport à ce mouvement, qui plaide pour le développement de l'”homme augmenté” par la technologie ?Le transhumanisme comporte certains dangers, mais aussi certains aspects positifs. J’ai eu l’occasion de faire une conférence

TedX sur le sujet, dont le titre était “Darwin est mort deux fois”. J’y expliquais que Darwin était non seulement mort physiquement, mais que sa théorie était morte aussi. A partir du moment où vous pouvez modifier un code génétique, vous pouvez faire évoluer la race humaine de manière totalement indépendante d’une sélection naturelle. Or, cette modification du code génétique a été faite récemment sur des bébés par des chercheurs chinois. Le transhumanisme est dangereux s’il plaide pour la création et la sélection d’un surhomme. Mais d’un autre côté, certaines technologies vont pouvoir nous rendre de véritables services. La rétinite pigmentaire est une maladie qui peut provoquer une cécité et qui est génétiquement déterminée. En tant que patient, je serais très heureux d’apprendre qu’une technique génétique pourrait me permettre de ne pas devenir aveugle. Il y a des avantages et des dérives potentielles.

Faut-il réglementer, encadrer les développements technologiques dans le domaine de la médecine ? On peut essayer de réglementer. Mais il y aura toujours un chercheur dans son laboratoire qui outrepassera les règles et qui appliquera une technique considérée comme non éthique et immorale. C’est le propre de l’homme.

Propos recueillis par Gilles Quoistiaux

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