Apple Pay est-il dangereux pour les banques?

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Le moyen de paiement mobile lancé par Apple, l’Apple Pay, est actif aux Etats-Unis, mais n’a pas encore été lancé en Europe. Les discussions avec les organismes financiers ont toutefois déjà lieu. Et le microcosme du paiement mobile reste vigilant. Car l’arrivée du géant Apple sur ce créneau inquiète et pose questions. A juste titre ? Interview de Grégoire Tondreau, associé chez Roland Berger Bruxelles.

Apple Pay se présente comme ‘partenaire ‘ des banques en les intégrant dans son schéma de paiement mobile. Mais vous y voyez aussi un danger pour l’univers bancaire. Pourquoi ?

Le positionnement pris par Apple devrait lui permettre d’imposer à la fois une norme et une infrastructure de marché. Ce faisant, cela donne à Apple la possibilité de définir certaines des règles de l’écosystème de paiement et donc d’extraire une partie de la valeur sans être soumis à toutes les mêmes réglementations que les institutions financières. Raison tout aussi importante, voire plus, cela permet à Apple de maîtriser la relation client et l’expérience client, reléguant le reste à du back-office invisible pour le client.

Existe-t-il, selon vous, un risque pour qu’Apple bypass un jour les banques et s’impose, lui-même, comme un organisme financier ?

Il est peu probable à ce stade qu’Apple décide de se positionner comme organisme financier de plein exercice et cela pour plusieurs raisons. Il est plus simple d’opérer certaines activités choisies du système financier sans avoir à porter toutes les réglementations des acteurs qui sont considérés pleinement comme organisme financier. De même, il est plus attractif de se concentrer uniquement sur certaines activités très rentables sans avoir à offrir toute la palette des services d’un organisme financier.

Le marché européen n’est pas encore lancé pour Apple Pay. Notre continent n’est-il pas plus difficile à appréhender que le marché américain pour Apple ?

De façon très frappante, la première démarche d’internationalisation d’Apple Pay a été la Chine. Il y a clairement des questions d’attractivité de marché tenant à la croissance moindre en Europe et à la complexité de la construction européenne avec, par exemple, une harmonisation encore très partielle des systèmes de paiement, malgré des initiatives telles que SEPA. Autre élément par contre au crédit des institutions financières et des régulateurs européens, notre continent se caractérise déjà par des infrastructures mieux sécurisées avec, par exemple, la généralisation des cartes de crédit avec puce électronique depuis plusieurs années. Cela permet moins à Apple de se différencier.

Le paiement mobile est-il, comme certains le pensent, un nouvel eldorado à ne pas manquer ?

Le paiement mobile est à la fois une opportunité pour de nouveaux acteurs qui cherchent à solidifier leur relation client et à créer de nouvelles sources de revenus, et en même temps c’est un coût de “legacy” (coûts du passé, coûts fixes) et l’opportunité somme toute limitée de revenus supplémentaires pour les organismes financiers. L’eldorado de certains est une menace pour d’autres.

Les banques traditionnelles (belges), malgré leurs nombreuses initiatives en la matière, peuvent-elle envisager de véritablement trouver une place sur le paiement mobile alors que l’ensemble des géants du Net internationaux s’attaquent déjà au marché ?

La Belgique a historiquement été un pays d’innovation en matière de technologie et d’infrastructure de paiement. On peut citer Bancontact ou plus récemment l’initiative Sixdots. On peut néanmoins poser aujourd’hui la question d’approches nationales quand des acteurs comme Apple déploient des approches transnationales.

Le vrai enjeu, pour les banques, n’est-il pas plus dans les données (datas) que dans le paiement mobile lui-même ?

Le paiement est en réalité un des moyens pour collecter des données sur les clients et leurs comportements. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’un consortium de retailers américains a lancé il y a plus d’un an une initiative de paiement mobile (MCX) qui permet de collecter et utiliser les données provenant du paiement mobile.

Apple Pay, qui s’impose en concurrent, a fait le choix de ne pas collecter de données sur le client et ses comportements. C’est audacieux, très convaincant pour les clients, et possible car Apple justifie sa valeur autrement: auprès des clients par l’expérience, et auprès des opérateurs de cartes de crédit par la réduction de la fraude et l’immense base installée de clients existants.

Grégoire Tondreau, Associé chez Roland Berger Bruxelles
Grégoire Tondreau, Associé chez Roland Berger Bruxelles© Roland Berger

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