Le Z10 peut-il ressusciter BlackBerry?

© reuters

Une nouvelle identité, un nouvel OS, deux nouveaux smartphones. Ce “BlackBerry, le retour” sera soit le premier épisode d’une nouvelle saga, soit le dernier chapitre de l’histoire de l’entreprise. D’après les premiers retours, les produits sont bons. Mais cela sera-t-il suffisant?

RIM est mort, vive BlackBerry. Le constructeur canadien a dévoilé hier son nouveau système d’exploitation mobile BlackBerry 10, avec un retard de trois ans sur le calendrier initial, ainsi que les deux premiers smartphones de la gamme qui l’accompagnent, en même temps qu’il annonçait le changement de nom de l’entreprise, qui abandonne RIM pour devenir BlackBerry. Un rebranding qui doit lui permettre de simplifier sa communication autant que reconstruire son image auprès d’une clientèle pour laquelle la marque est désormais plus synonyme de “looser” que d’innovation. Réussira-t-il son pari ?

BlackBerry 10 et le Z10 passent le test

La démonstration matérielle et logicielle, au moins, semble avoir convaincu les premiers testeurs. David Pogue, célèbre chroniqueur du New York Times, juge le Z10 “très beau, rapide et efficace, truffé d’idées nouvelles et utiles”. Le Z10, le modèle à clavier tactile est un smartphone doté d’un écran de 4,2 pouces dont la résolution est légèrement supérieure à celle de l’iPhone 5 et son écran Retina.

“Le logiciel est étonnamment complet, simple à maîtriser, le design élégant”, ajoute-t-il. “Il offre des fonctionnalités que personne d’autre n’offre, dont certaines taillées pour le monde de l’entreprise comme celles qui ont fait les grandes heures de BlackBerry”. “BB10 est rapide, stable et blindé de fonctionnalités cool”, estime pour sa part Wired, qui a également apprécié le Z10. Pour Charles Golvin, de Forrester, “RIM a clairement démontré que ses compétences et son expertise considérables en termes de design pour les hardwares et les softwares étaient toujours d’actualité. Le Z10 est magnifique et BB10 représente un pas de géant comparé à la plateforme précédente.”

Le Z10 propose un logiciel de reconnaissance vocale, une boutique de contenus musicaux et vidéos, la navigation GPS, la possibilité de verrouiller son téléphone et d’effacer ses données à distance, et un système très simple de partage de contenus par NFC. Une nouvelle fonctionnalité, le “Hub”, rassemble au même endroit tous les messages et notifications adressés à l’utilisateur, qu’ils viennent de la messagerie, de Facebook, LinkedIn, de la messagerie BBM, de Twitter ou du calendrier, et d’accéder à l’application correspondante en un geste. BBM permet désormais de passer des appels audio et vidéo gratuitement en VoIP, et de partager ce qui s’affiche à l’écran de son terminal avec son correspondant (une photo, une carte…). Le clavier virtuel est manifestement une réussite, sur le plan de la saisie prédictive et des capacités d’apprentissage.

L’app store manque encore d’épaisseur

Sur d’autres points, les avis sont plus mitigés. C’est le cas pour l’appareil photo. The Verge a bien aimé, malgré ses performances médiocres en faible lumière qui le rendent inférieur à celui du Lumia 920, confirmées sans ménagement par Gizmodo. Le site spécialisé estime que l’appareil photo est un “échec complet”. L’appareil comporte néanmoins une fonctionnalité originale, Time Shift, à mi chemin entre la vidéo et la photo, qui permet de choisir à la seconde près le moment où la pose est la meilleure, pour chaque sujet. Une collection de filtres photo à la Instagram est également proposée.

La boutique d’applications, qui propose un catalogue de 70 000 références au lancement, obtient elle aussi des critiques mi-figue mi-raisin. Quand certains voient le verre à moitié vide en comparant la largeur du catalogue à celle de l’App Store d’Apple, dix fois plus importante, d’autres préfèrent retenir que BlackBerry a réussi à se constituer une boutique rapidement grâce à un programme permettant de porter rapidement une application Android sur BB10. Au démarrage, parmi les applications qui manquent, figurent notamment Netflix, Draw Something, Pinterest, Hipstamatic, Instagram, Spotify, Pandora, YouTube, et Google Maps.

Quant aux points vraiment négatifs, les tests citent l’application de reconnaissance vocale et l’autonomie de la batterie.

Suffisant pour redresser la barre ?

Pour Neil Mawston, de Strategy Analytics, BlackBerry se devait de réunir six éléments pour réussir sa reconversion, peut-on lire sur eWeek : un design attractif et élégant, un grand écran proche de 5 pouces et de grande qualité, un OS fluide et dépourvu de bugs, qui soit également multiplateformes, un appstore fourni y compris en applications grand public, et enfin une distribution chez tous les grands opérateurs, qui soient prêts à subventionner largement les téléphones. Pour ce qui est des opérateurs, les quatre acteurs américains ont répondu présents, sans doute emballés par une possibilité de moins dépendre d’Apple et Android. Pour le reste, le pari semble plutôt réussi.

Mais cela ne sera pas suffisant. On a bien vu avec Windows Phone que des smartphones bien conçus n’étaient pas suffisants pour conquérir facilement des parts de marché. Le défi de BlackBerry, c’est dans un premier temps de réussir à se hisser au niveau de ses concurrents, pour au moins retenir ses clients et enrayer la baisse des ventes. Dans un second temps, il lui faudra proposer des modèles meilleurs que les autres et attirer de nouveaux clients. Jack Narcotta, de Technology Business Research, estime que si BlackBerry est capable de créer une croissance de ses volumes de ventes de 3 à 5% cette année, ce sera le signe que l’entreprise est sur la bonne voie.

Réussir à séduire au-delà de la cible des entreprises

Retenir ses clients restés fidèles jusque là passe par l’accent mis sur ce qui a fait le succès de la marque : des appareils à clavier, et adaptés au monde de l’entreprise. D’où le lancement du Q10, avec le fameux clavier, et de la nouvelle fonctionnalité baptisée “Balance”, qui permet de séparer sur le terminal l’univers professionnel et personnel de l’utilisateur, avec des carnets d’adresses, des calendriers, des applications et un mot de passe distincts. Lorsque l’utilisateur quitte son entreprise, celle-ci peut effacer toutes les données pros du téléphone d’un simple clic. Cette séparation peut faire la différence face à iOS et Android, juge Jeff Orr, analyste chez ABI Research.

Pour Adam Leach, analyste chez Ovum, “BlackBerry 10 séduira certainement les utilisateurs existants. Cependant, le défi sera d’attirer de nouveaux utilisateurs (…) Malgré une belle plateforme, l’entreprise aura du mal à attirer un public plus large et sur le long-terme deviendra un acteur de niche sur le marché des smartphones.”

Thomas Husson, de Forrester, a un peu la même analyse: “Créer une audience prendra du temps et suppose que BlackBerry relève le défi de relancer sa marque aux Etats-Unis et en Europe. Même dans les pays émergents où les téléphones BlackBerry sont devenus un symbole de l’appartenance à la classe moyenne, la concurrence s’accroit avec les terminaux Android low-cost. Il semble peu probable que les spécifications haut de gamme de BB10 permettent à BlackBerry de lancer des smartphones accessibles sur ces marchés. Le nouvel OS de BlackBerry est innovant et permettra de limiter le passage des 80 millions d’utilisateurs vers les smartphones concurrents d’Apple et d’Android en 2013. Mais ce ne sera pas suffisant pour sauver la marque BlackBerry sur le long-terme.”

Cette fois, ça passe ou ça casse

Le Z10, nu, coûtera 599 dollars aux Etats-Unis. Il est déjà disponible au Royaume-Uni et le sera le 5 février au Canada. L’arrivée aux Etats-Unis est prévue mi-mars et aucune date n’a encore été arrêtée pour la France. Le Q10 devrait sortir en avril outre-Atlantique. Ce timing est un autre problème pour BlackBerry, qui va dès cette semaine investir massivement dans son marketing de lancement aux Etats-Unis, avec un spot pendant le Super Bowl.

BlackBerry a la pression. L’action s’est effondrée de 90% depuis 2008. L’entreprise est passée de 20% de parts de marché dans le monde en 2009, à 16%, puis 10%, puis moins de 5% en 2012 selon IDC (avec 32 millions de smartphones vendus). Aux Etats-Unis, sa part de marché dans la base installée de smartphones a chuté de 43% en 2010 à 7,3%, d’après comScore. Sa seule tablette a fait un four. Et l’entreprise a licencié quelque 7000 salariés.

Raphaële Karayan

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content