Hyperconnectivité: comment se sevrer?

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Les nouveaux outils de communication facilitent la vie. Mais ils peuvent aussi étouffer. Eteindre son portable à 22 h, organiser ses e-mails, cuisiner… A chacun sa recette pour déconnecter!

Consulter ses e-mails est le premier réflexe de François en se levant le matin. Il parcourt l’écran de son smartphone pendant que le café passe dans le percolateur. Sur la route du boulot, à chaque feu rouge, il ouvre encore sa boîte e-mail. “Dès que j’ai une minute, je regarde, explique ce journaliste. Je ne peux pas m’empêcher.”

Dans sa rédaction, François est loin d’être le seul accro aux e-mails et aux réseaux sociaux. Cela fait même partie de son boulot. L’arrivée des TIC (technologies de l’information et de la communication) a plongé bon nombre de travailleurs dans l’hyperconnectivité. Chacun peut désormais lire et répondre en temps réel aux sollicitations de son employeur, de ses clients ou de ses collègues. Partout et tout de suite. Et beaucoup ne résistent pas. “Est-ce grave ?”, s’interroge François.

Les nouveaux moyens de communication nous facilitent la vie. C’est indéniable. Mais à forte dose, l’échange d’informations peut aussi augmenter le stress et l’irritabilité, diminuer la concentration, entraîner des troubles du sommeil, voire conduire au burn-out. “Chez certaines personnes, l’hyperconnectivité est une forme d’addiction, explique le psychiatre Pierre Oswald. Cela peut être le signe d’un mal-être mais aussi constituer un trouble en tant que tel, notamment chez des personnes hyperactives ou qui n’arrivent pas à s’imposer des limites. Mais ce n’est pas une maladie si on n’en souffre pas.”

Toutes les professions ne sont pas logées à la même enseigne face à ce phénomène. “Certaines organisations ne permettent pas de consulter les e-mails à distance et la question ne se pose donc pas, commente Laurent Taskin, président de l’Institut de sciences du travail à l’UCL, spécialisé en management humain. D’autres entreprises ou institutions qui travaillent à l’échelle internationale sont soumises aux décalages horaires et donc naturellement plus connectées. Les métiers de la communication et liés à la politique sont aussi davantage concernés.”

“C’est un choix, un mode de vie” Damien Van Achter, spécialiste des nouveaux médias, assume son hyperconnectivité. Il a notamment créé le lab Davanac, une newsroom installée dans une camionnette qui sillonne l’Europe pour former étudiants et professionnels aux métiers du storytelling. “Je travaille sur plusieurs projets en même temps, à court, à moyen ou à long terme, relate-t-il. Je vide ma messagerie en permanence, tous les jours voire plusieurs fois par jour. C’est un choix, un mode de vie. En tant qu’indépendant, on se doit d’être flexible et réactif si on veut que cela avance et que l’argent rentre. Certains diront qu’il s’agit d’une forme d’addiction. Mais pour moi ce n’est pas ‘mal’ d’être connecté. Cette vie implique des contraintes, certes, mais aussi des avantages. Et je me sens bien comme cela. C’est peut-être plus difficile pour l’entourage… J’ai la chance d’avoir une épouse compréhensive !”

Ramon Suarez, fondateur du Betacowork Coworking Bruxelles, a lui éprouvé un sentiment d’overdose face à l’afflux constant d’informations professionnelles. “J’étais hyperconnecté, explique-t-il. A un moment, j’en ai eu marre. Quand tu ne fais que bosser, tu te sens mal, tu finis par détester ton boulot, ta vie. Avant, je travaillais chez moi comme indépendant, mais cela ne me convenait pas. C’est pour cela que j’ai créé le Betacowork Coworking Bruxelles.” Situé à Etterbeek, ce concept offre aux entrepreneurs utilisant les TIC un espace de travail commun, tout en les connectant à un réseau d’autres indépendants et start-up.

Depuis environ trois ans, Ramon Suarez s’impose une hygiène très stricte face aux outils de communication. “Le week-end et le soir, je me les interdis. Je lis juste mon flux RSS et des magazines pour me tenir au courant. Mais pas d’e-mails. J’ouvre parfois ma boîte dans le métro. Mais à part ça, seul mon bureau est associé au boulot.”

Aller promener son chien Ramon Suarez a adapté son smartphone pour limiter et organiser ses e-mails. Tout message d’alerte est proscrit. Il s’est aussi désinscrit de toute newsletter. Et même sur l’ordinateur du bureau, il se concentre sur l’essentiel. “J’évite de regarder des blagues ou des vidéos, poursuit Ramon Suarez. Mes journées de travail sont longues mais je suis plus efficace. J’ai tout cloisonné : soit je travaille, soit je me relaxe, mais pas les deux en même temps. Et si j’ai envie de parler, je m’adresse à une personne à côté de moi.”

A chacun sa formule pour déconnecter. “Je conseille à mes patients d’éviter les e-mails, les chats et toute autre forme de stimulation émotionnelle à partir de 22 h, souligne le Dr Pierre Oswald. Il faut pouvoir éteindre les écrans, aller promener son chien, faire de la cuisine, de la relaxation, du yoga, etc.”

De plus en plus d’entreprises tiennent aujourd’hui compte du bien-être de leurs employés et veillent donc à limiter leur connectivité. “J’observe une prise de conscience de ce qu’implique l’invasion du temps professionnel dans le temps privé, commente Laurent Taskin. Les indépendants se créent naturellement leur propre modèle de travail. C’est différent pour les salariés. Des entreprises comme Total, Microsoft ou Yahoo! reviennent à une organisation plus réglementée. Ils rapatrient leur personnel vers des bureaux afin de renforcer le lien social et les collaborations. Dans tous les cas, le respect doit rester le maître-mot : respect de soi-même, de ses collègues et de ses employés.”

Il existe toutefois une règle tacite : avec ou sans carte de pointage, les heures de bureau semblent généralement intégrées dans notre société. “Il est rare d’oser contacter un collègue ou un client un samedi soir, poursuit Laurent Taskin. Ceux-ci ne seront d’ailleurs pas tenus de répondre. Personne ne s’en offusquera.”

ANNE-CÉCILE HUWART

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