Comment le “cloud gaming” va faire son retour en force

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L’imminent lancement de la plateforme Stadia de Google prouve que le “cloud gaming” prépare un come-back et une offensive sans précédent. Nouveau terrain de bataille des géants de la tech, le jeu vidéo en streaming entend donc tuer la console de papa. Explications, depuis le salon Gamescom, à Cologne.

Google voulait la peau des PlayStation 4, Xbox One et Switch, lors de la dernière Gamescom de Cologne. Installé sur un stand toisant celui des consoliers traditionnels, le ” G ” des Gafa y dévoilait ainsi Stadia, son service de cloud gaming. Certes, les allées publiques du plus grand salon de jeux vidéo au monde (373.000 visiteurs, 218 000 m2 !) ne crépitaient pas autour de projets ludiques en streaming. Mais en coulisses, nVidia, Apple, Microsoft et Ubisoft préparent bel et bien une offensive sans précédent. De quoi libérer des blockbusters 3D (appelés triple A dans le jargon) cantonnés à un marché de 300 millions de consoles de salon à… 2 milliards de terminaux potentiellement connectés au cloud.

Au placard, la console de papa ? ” La prochaine génération de consoles sera la dernière car le streaming sera à l’avenir davantage accessible aux joueurs, qui ne devront plus acheter de gros hardware “, claironnait à qui voulait l’entendre Yves Guillemot, le CEO d’Ubisoft en 2018. Un an plus tard, l’arrivée du Stadia de Google est annoncée chez nous en novembre prochain. Contrairement aux apparences, le service n’a rien d’un Netflix ou d’un Spotify. L’idée est plutôt d’acheter un titre sur le store dédié de Stadia, pour ensuite y jouer gratuitement en cloud gaming. Les données et le matériel informatique nécessaires à une partie ne se trouvent donc plus dans le salon. Mais bien sur des serveurs, à distance. Comme une vidéo YouTube, le jeu est alors streamé en direct sur un terminal connecté au Web. La palette de plateformes jouables explose ainsi car l’obligation de puissance graphique s’efface. Et Ubisoft d’estimer le pactole à 5 milliards de joueurs supplémentaires d’ici 10 ans.

Le stand de Google Stadia à la Gamecom de Cologne La plateforme devrait arriver chez nous en novembre prochain.
Le stand de Google Stadia à la Gamecom de Cologne La plateforme devrait arriver chez nous en novembre prochain.© pg

La console est morte, vive Google !

L’offre de base non payante de Stadia monte jusqu’à une résolution de 1.080 pixels à 60 images par seconde. Mais elle se complète d’un abonnement pro offrant, pour 10 euros par mois, de la 4K, une sélection de jeux mensuels gratuits et des promos dans le catalogue en ligne. Square Enix ( Tomb Raider, Final Fantasy, etc .), Ubisoft ( Assassin’s Creed), CD Projekt (le très attendu Cyberpunk 2077) ou encore les Gantois de Larian Studio (le non moins hypé Baldur’s Gate) alimentent une trentaine de titres qui enrichiront progressivement celui-ci. Un bon point car le nerf de la guerre repose sur la qualité éditoriale d’une plateforme de gaming.

Capitalisant sur un maillage de data centers bien établi dans le monde, Stadia s’étend comme l’appendice supplémentaire du monstre tentaculaire Google (moteur de recherche, Gmail, YouTube, etc.). Il ne réinvente pas le cloud gaming mais bénéficie d’un meilleur timing que feu Gaikai et OnLive (1), il y a sept ans.

Le chiffre d’affaires mondial du ” cloud gaming “, estimé à 66 millions de dollars en 2018, devrait passer à 450 millions de dollars en 2023.

” La principale raison pour laquelle le cloud gaming est de retour depuis peu relève de facteurs budgétaires. Côté gamer, le prix des cartes graphiques a flambé ces dernières années, un bon modèle coûte dans les 800 euros, soit le double d’il y a quelques années “, analyse Maxime Mouret, VP product & innovation pour le Blade de Shadow, service de cloud gaming français (très en vue depuis trois ans) qui signait récemment un partenariat avec Proximus pour permettre à ses abonnés de jouer directement depuis leur box TV. ” Les fournisseurs de cloud gaming bénéficient de leur côté d’une diminution des coûts des serveurs, de territoires de plus en plus fibrés et de technologies de compression, comme le VDSL2, qui ont évolué. ”

La PlayStation 4 (jusqu’ici) en tête

L’approche actuelle du cloud gaming sur le marché se subdivise en deux. Adoptée par la start-up française Shadow, la première offre un accès à un PC virtuel sur lequel le joueur installe des jeux achetés sur des plateformes comme Steam ou l’Epic Game Store. Le tout pour une trentaine d’euros par mois. Cette démarche concerne la plupart des services disponibles et des projets de cloud gaming en cours de développement. La seconde, moins fréquente, propose d’accéder à une bibliothèque de jeux en illimité sur un serveur distant, un all you can play qui ne convainc pas forcément les studios de développement (lire l’encadré intitulé ” Le difficile rêve du all you can play”) mais réussit jusqu’ici à Nintendo et Sony.

Le bureau IHS Markit évalue ainsi que parmi les 16 services de streaming de jeux vidéo actifs l’an dernier, le PlayStation Now (ex-Gaikai) de Sony dominait le secteur avec 36 % de parts de marché, devant la Switch de Nintendo qui propose de jouer à des blockbusters comme Resident Evil 7 en cloud gaming, au Japon. ” Le PlayStation Now propose un abonnement mensuel et un accès illimité à 800 jeux, précise Ronny Hoekman, directeur marketing de PlayStation Benelux. Chez de nombreux concurrents, les joueurs doivent payer pour l’abonnement au service cloud et ensuite acheter le jeu. Personnellement, je trouve que ce business model, qui est différent, est un cadeau empoisonné car il coûtera plus cher au consommateur. Le PS Now compte 700.000 utilisateurs, cela peut paraître petit face aux 98 millions de joueurs classiques sur PlayStation mais nous sommes présents dans 19 pays alors que Stadia ne sera présentque dans 14 pays. ”

Dénommé à tort ” jeu vidéo sans PC ni console “, le cloud gaming jouit de prévisions financières très optimistes sur le marché de la dématérialisation du jeu vidéo. Son chiffre d’affaires mondial, estimé à 66 millions de dollars l’an dernier, devrait plus que sextupler pour passer à 450 millions de dollars en 2023 (2). Et son décollage serait imminent puisque son C.A. dépasserait déjà 140 millions de dollars l’an prochain.

Comment le
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Débit “or not” débit

En attendant ce départ, la menace du lancement imminent du Stadia de Google est prise très au sérieux par Sony PlayStation Benelux. ” Il ne faut pas oublier que PlayStation dégage quand même une certaine émotion, poursuit Ronny Hoekman. Et j’aimerais voir si Google déclenchera un sentiment identique. Nous avons une solide expérience en termes de jeux vidéo, deux ans en matière de streaming sur le PS Now chez nous, des relations fortes avec les studios. Et surtout de très bons jeux. ”

Du Project xCloud de Xbox qui déroulait lui aussi une démo de jeu vidéo en streaming lors de la dernière Gamescom au service UPlay Plus qu’Ubisoft vient de lancer ce 3 septembre en passant par les efforts du service GeForce Now (des PC virtuels à louer mensuellement dans le cloud) de nVidia, l’avenir de la planète gaming reste toutefois suspendu aux qualités de bande passante du Web.

” Nos recherches dans ce domaine montrent que la situation s’est améliorée ces dernières années, souligne Jordan Dodge, porte-parole du service GeForce Now que nVidia développe depuis trois ans. “Nous n’avons besoin que de 15 Mbps ( mégabits par seconde, Ndlr) pour fonctionner, un débit disponible dans la plupart des pays développés. Nous restons confiants sur le nombre d’usagers concernés.”

Nécessitant une connexion internet d’au moins 10 Mbps pour y jouer en 720 pixels et à 60 images/seconde, Stadia de Google ne devrait pas souffrir sur ce terrain en Belgique. Mais en novembre prochain, les joueurs désireux d’accéder à la résolution 4K (en voie de banalisation dans le gaming contemporain) devront y regarder à deux fois. L’édition américaine du magazine Forbes calculait ainsi récemment que deux heures de jeu vidéo quotidien à cette résolution portait la consommation mensuelle à 1 To (1 téraoctet, soit 1.024 Go). De quoi exploser les quotas imposés par de nombreux fournisseurs internet sous nos latitudes. Y compris ceux proposant des formules dites illimitées, dont la vitesse se bride par exemple à 10 Mbps dès que l’on dépasse les 750 Go de téléchargement mensuel. ” Les fournisseurs d’accès internet se sont toujours adaptés aux besoins des consommateurs à travers l’histoire. Il y a 10 ans, il y avait une limite de 500 Mo, mais aujourd’hui la situation est différente “, tempère Patrick Seybold, en charge de la communication de Stadia chez Google US.

Au-delà de la pure technique, le cloud gaming soulève enfin de nombreuses questions annexes mais essentielles. L’usage intensif de serveurs nuit ainsi à l’environnement – selon Greenpeace, un Blu-ray est moins polluant qu’un film streamé – tandis que les données récoltées dans le cloud sur les habitudes des gamers interrogent quant au respect de la vie privée. D’un point de vue purement ludique, l’expiration de certaines licences, fréquente dans le monde du gaming, a vu des titres comme Duck Tales Remastered (Disney) et Outrun (Ferrari) purement et simplement retirés de catalogues de jeux en ligne. Si la plateforme Steam permet une sauvegarde physique des jeux achetés, le streaming de jeu vidéo retire donc de facto cette option. La généralisation du cloud gaming sonnerait enfin la fin des différents formats de consoles et signerait l’arrêt de mort de saga exclusives ( Uncharted, Forza Motorsport, Mario, etc.) et d’une saine émulation créative entre les consoliers.

(1) Belgacom y avait investi, à perte, environ 23 millions d’euros pour une participation de 2,6 %.

(2) Selon plusieurs sources regroupées par Statista.

Apple Arcade : joue-là comme Netflix

Apple s’intéresse au all you can play et se rapproche de Netflix, dans sa ligne éditoriale. La marque à la pomme lancera ainsi Apple Arcade dès cet automne en mettant en avant un catalogue de jeux exclusifs qu’elle produira aux côtés de grands noms du jeu vidéo. Hironobu Sakaguchi (Final Fantasy), Ken Wong (Monument Valley) et Will Wright (les Sims) seront ainsi de la partie. Sa formule d’abonnement (sans tarif annoncé) offrira une centaine de jeux, à télécharger indifféremment sur iPhone, iPad, Mac et Apple TV.

A une fraction de seconde du sans faute

Depuis notre dernier essai des services de Gaikai et Onlive lors de leur présentation à l’E3 il y a sept ans, la technologie du cloud gaming a bien évolué. Les jeux que nVidia GeForce Now et Google Stadia proposaient en démo lors de la Gamescom de Cologne effaçaient les mauvais souvenirs d’images bardées de carrés de compression. Sans latence, ces tours de passe-passe effectués sur un vieux laptop pour Tomb Raider et sur un smartphone avec Doom : Eternal donnaient l’impression de jouer à une console classique. Reste que ces démos respectivement proposées par nVidia et Google hoquetaient une fraction de seconde à l’image. Rien de grave en soi. Mais un défaut que les gamers pros ne pardonneront pas.

Le difficile rêve du “all you can play”

Laurent Grumiaux, cofondateur de Fishing Cactus
Laurent Grumiaux, cofondateur de Fishing Cactus© PG

Occupés depuis quatre ans à recentrer leurs activités vers des productions propres, les Montois de Fishing Cactus dévoilaient Nanotale-Typing Chronicles à la Gamescom, le mois dernier. Contrairement au prochain Baldur’s Gate 3 des Gantois de Larian Studio, ce troisième jeu indé n’a pas encore été confirmé en cloud gaming. Mais l’intérêt reste vif. Explication aux côtés de Laurent Grumiaux, cofondateur du premier studio de jeux vidéos wallon.

TRENDS-TENDANCES. Le “cloud gaming” était une tendance forte, selon vous, cette année à la Gamescom ?

LAURENT GRUMIAUX. Le cloud gaming y était clairement de retour. On en a discuté entre studios de développement. Mais au final, la plupart d’entre eux attendent de voir comment le vent va tourner. Il faut se méfier des effets d’annonce dans notre secteur : tout le monde avait dit que la réalité virtuelle allait exploser il y a quelques années, or nous en sommes loin.

Avez-vous approché des plateformes de “cloud gaming” ?

Malgré les doutes, nous étudions sérieusement cette piste comme une stratégie en termes de distribution. Nous sommes ainsi en discussions avec les plateformes de streaming d’Apple Arcade et de Google Stadia pour deux de nos jeux. Dans tous les cas, le cloud gaming alimente l’explosion des plateformes de distribution du jeu vidéo. C’est une bonne chose car la boutique en ligne de Steam occupe encore aujourd’hui une position monopolistique dans la vente de jeux vidéos dématérialisés, soit 96 % du chiffre d’affaires de nos jeux sur PC.

Le “cloud gaming permettrait-il de changer ce chiffre ?

Il y a deux stratégies pour un studio : développer des titres exclusifs pour ces plateformes de cloud, avec un financement à la clé ou demander une avance sur recettes, soit un minimum garanti, de 100.000 euros par exemple, avant la sortie du jeu. Finalement, tout dépend de la notoriété du studio. Nous privilégions cette dernière approche et considérons ces plateformes comme des modèles de revenus supplémentaires.

La plupart des projets de “cloud gaming” offrent un accès à distance à un PC virtuel puissant mais pas de modèle à la Netflix. Pourquoi ?

On parle de all you can play dans le jargon et une plateforme comme Utomik se rapproche aujourd’hui de Netflix dans le jeu vidéo, sans toutefois passer par du streaming, mais juste du téléchargement. Le joueur paie alors de 15 à 20 euros et télécharge les jeux dans un large catalogue. Généralement, les créateurs sont payés en temps de jeu que le gamer passe sur leur titre ou en nombre de lancements. Si le catalogue de la plateforme ne propose que 50 titres, c’est intéressant. Mais ça l’est moins face à 5.000 jeux. Cet écosystème est donc moins viable pour les jeux à durée de vie limitée. Au final, seuls des éditeurs comme Ubisoft, Electronic Arts ou Sony peuvent tirer leur épingle du jeu car le volume de leur catalogue est suffisant pour proposer un accès libre moyennant une petite somme.

Vos prévisions pour le “cloud gaming” ces prochains mois ?

On est clairement dans les starting-blocks. Mais tout va peut-être retomber comme un soufflé très rapidement. L’entièreté de la planète est loin d’être connectée à la fibre optique. Cela pose un énorme problème que les films de Netflix n’ont pas car le buffering (mise en mémoire tampon, Ndlr) permet de pallier le bas débit. Lors d’un match de Fifa en ligne, il est bien entendu impossible de faire attendre ses coéquipiers, ne serait-ce qu’une fraction de seconde.

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