Anonymous Belgique : nous les avons rencontrés

© Image Globe

Le groupe d'”hacktivistes” le plus célèbre de la planète fait parler de lui en ce début d’année. Sites gouvernementaux, éditeurs musicaux, multinationales font l’objet d’attaques en règle. Rencontre inédite avec ces anonymes qui écrivent l’histoire du Web.

Dimanche soir sur la Toile. Rendez-vous est pris sur le canal de discussion d’Anonymous, via un des comptes officiels de l’antenne francophone du mouvement. Direction Anonops.li. Tout est en mode textuel, directement dans le navigateur Web. Pas d’icône, pas de smiley rigolo : bienvenue dans les années 1990.

Devant le flot d’informations présenté au nouvel arrivant, l’écran crépite. Entre deux blagues, on commente les attaques en cours, on analyse les résultats (“le site de Vivendi vient de tomber”), certains traduisent ou sous-titrent des vidéos avant de les mettre en ligne, on s’entraide aussi, afin de sécuriser son accès au forum de discussions, mais aussi de brouiller les pistes lorsque l’on passe à l’action. Des sites iraniens, américains, français défilent et dans certains cas une action est tentée, en plus des opérations en cours, les fameuses #op (voir lexique en bas d’article).

C’est donc là que les choses se passent, du moins localement, pour le collectif. Nous avons pu interroger trois membres belges de l’association : trois membres pour trois approches différentes de ce qu’ils présentent comme un combat pour la liberté, sur le Web.

ArcelorMittal attaqué

S’il est assez simple de rencontrer des Anonymous par le biais du forum, recueillir leurs propos est plus délicat tant ils sont dans le collimateur des autorités. Celui qui se fait appeler Myabi change deux fois de pseudonyme pendant notre entretien, aussi pour se protéger au sein du groupe, au cas où les choses tournent mal. Myabi s’est mis au service de la “cause” relativement tôt, dès les attaques contre la scientologie.

Récemment, il a participé à l’#opbelgium contre ArcelorMittal. “Arcelor a viré des employés car, soi-disant, l’entreprise ne gagne pas assez d’argent, avance Myabi. Avant d’officialiser une #op, on cherche des infos : ArcelorMittal est la 79e entreprise la plus riche du monde. Ils font beaucoup de bénéfices et paient peu d’impôts en Belgique.”

Les revendications d’Anonymous ne sont donc pas toujours liées au piratage. Des entreprises au comportement social jugé douteux peuvent être visées. Pour autant, Myabi rejette toute récupération du mouvement. “Anonymous est contre la politique, il ne sera donc jamais un parti politique.”

Concrètement, les attaques sont d’une simplicité enfantine. Les opérations à coordination mondiale sont soumises à un vote afin d’établir un choix. Mais ce n’est pas systématique. “Quelqu’un propose une attaque, argumente en sa faveur et le vote se fait indirectement ; c’est-à-dire que, si le serveur tombe, l’attaque a été validée par les Anonymous”, explique Darkknow, un partisan moins anonyme que les autres et dont le blog est visible en ligne.

Discrétion assurée

Pour faire fonctionner Anonymous, il faut peu de hackers. Les outils sont téléchargeables en ligne et utilisables par toute personne qui a de vagues notions d’informatique. Des didacticiels vidéo parsèment d’ailleurs YouTube. “Je participe au Ddos et au Deface (voir lexique), poursuit Myabi. Pour le Ddos, on fixe une heure et un canal. Lorsqu’il est l’heure, tout le monde envoie ses requêtes sur le site visé. En moins de deux minutes, le site est down“. L’efficacité de la méthode, aussi effrayante soit-elle, n’est plus à prouver.

La principale obsession des partisans reste la sécurité, et elle a un coût. Selon notre troisième interlocuteur, Anonyme, “il y a plusieurs niveaux de protection selon les ressources de chacun. Les solutions gratuites sont considérées comme peu fiables. Avec une solution payante, on atteint une sécurité fiable à 90 %. Il est aussi recommandé d’attaquer à l’étranger plutôt que localement : la complexité du partage d’information entre Etats embrouille les choses.” Le coût varie, mais pour environ 50 euros par an, on peut se payer une furtivité en ligne décente. C’est loin d’être inabordable !

Derrière le masque

Qui se cache derrière le masque des Anonymous en Belgique ? Nos interlocuteurs ont chacun leur parcours et leurs motivations. “Je milite pour mes droits et j’en suis fier, déclare Darkknow, 18 ans, étudiant en chimie appliquée. Je ne me cache pas, j’assume entièrement et publiquement mes actions.” Il ne participe pas directement aux attaques mais remplit le rôle d’attaché de presse improvisé pour le groupe. Pourquoi a-t-il rejoint le mouvement ? “Cela fait suite aux multiples tentatives gouvernementales de contrôler Internet, comme SOPA, PIPA, Hadopi (voir lexique), ainsi que les attaques envers WikiLeaks.”

Anonyme a, lui, rejoint la cause pour défendre la liberté d’expression : “Nous vivons une époque où les restrictions sont énormes. C’est le niveau de misère ou de mal-être qui a engendré Anonymous”. A 28 ans, il écrit un livre sur le mouvement, qu’il aura achevé d’ici quatre mois. C’est un peu l’un des scribes du mouvement, s’il y devait y avoir une répartition des tâches. Car il n’y a aucune hiérarchie apparente dans le collectif : chacun est libre de venir et participer aux actions.

Chez Anonymous, on est conscients des limites du modèle. Par exemple, la divulgation l’an dernier d’une liste d’adresses IP de pédophiles présumés n’a pas fait l’unanimité car le risque d’erreur est réel. Darkknow se veut rassurant : “Nous vérifions et revérifions nos infos avant publication, rien n’est fait au hasard.” Anonyme s’oppose à cette démarche controversée : “Je déplore ce type d’attaque. Anonymous puise sa puissance dans le fait qu’il s’agit d’une communauté abstraite, réunie autour d’un symbole. C’est à la fois la force et la faiblesse d’Anonymous.”

Que penser d’une telle structure floue qui s’attribue les rôles de partie, de juge et d’exécuteur ? Cette méthode ne flirte-t-elle pas avec le totalitarisme ? Sans doute. Nos interlocuteurs mettent cela sur le compte des circonstances et du sentiment d’être en guerre avec le système en place. “Je pars du principe que nous sommes comme les résistants durant l’occupation”, déclare Darkknow.

Après avoir scruté le canal de discussions d’Anonymous, on ne peut qu’être impressionné par le potentiel d’action – et de nuisance – de la plateforme. Même si Anonymous est plus une nébuleuse qu’un bloc zélote au service d’un hypothétique gourou, les questions éthiques demeurent quant à comment éviter les débordements dans une telle structure.

Benoît Dupont

Lexique

#op : opération visant à mettre hors service un site Internet.

Ddos (Distributed Denial of Service) : attaque visant à saturer l’accès à un site.

Deface : attaque consistant à remplacer la page d’accueil d’un site par un message d’Anonymous.

SOPA-PIPA : législations en cours d’examen au parlement américain, visant à réguler Internet.

Hadopi : législation française instituant un contrôle d’Internet pour protéger les oeuvres soumises à droits d’auteur.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content