Les PME familiales ne manquent pas d’atouts

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Quelles aides et difficultés rencontrent les PME familiales quand elles innovent ? La question est vaste et demande avant tout de préciser la notion même d’innovation.

Selon Francesco Antonucci, spécialiste en stratégie et transformation chez BDO, l’innovation comporte quatre dimensions, traditionnellement résumées par les quatre P, soit en anglais : Product, Process, Paradigm, Position (quoi, comment, qui, pourquoi).

– Innovation de l’offre (le quoi, product) : le développement de nouveaux produits ou services. C’est ce à quoi le grand public associe traditionnellement l’innovation mais c’est aussi la forme d’innovation la plus risquée pour les entreprises.

– Innovation de processus (le comment, process) : développement de nouvelles méthodes permettant de fournir un produit ou service plus vite, moins cher et/ou de meilleure qualité comme les nombreuses offres en ligne.

– Innovation de marché (le qui, position) : changer le contexte dans lequel les produitsou services sont offerts, offrir une nouvelle réponse à une demande en effectuant des modifications mineures à son produit ou à son service. Comme Häagen Dazs qui a été orienté vers le marché haut de gamme pour adulte afin d’éviter la guerre des prix faisant rage dans le segment des glaces pour enfants.

– Innovation de valeur (le pourquoi, paradigm) : viser à changer son modèle d’affaires (business model) afin de créer des nouvelles opportunités de marché. Comme le Cirque du Soleil qui a modernisé et réinventé le cirque en supprimant ses éléments désuets (par exemple les animaux) et en ajoutant des facteurs innovants (par exemple de la fantaisie dans les couleurs et dans les personnages).

Chaque forme d’innovation peut être incrémentale ou radicale. Au niveau de l’offre, une entreprise peut, par exemple, développer un tout nouveau produit comme le premier iPhone ou une nouvelle version d’un produit, soit tous les iPhone suivants.

La numérisation, un premier pas

En tant que telle, la numérisation ne constitue donc pas une innovation mais elle joue un rôle majeur dans quantité d’innovations. Qu’il s’agisse de nouveaux produits ou services, de nouveaux processus de production et de distribution, de nouvelles demandes des consommateurs, de nouveaux modèles d’affaires, etc. Une entreprise à la traîne en matière de numérisation pourrait tout simplement ne pas déceler les innovations potentielles qui l’entourent.

La volonté d’investir dans le numérique témoigne aussi d’un état d’esprit, d’une ouverture à la nouveauté qui est indispensable pour innover. Surtout dans le cas des PME familiales qui ne peuvent compter sur des moyens considérables ou des équipes pléthoriques.

Les entreprises familiales ont toutefois des atouts à faire valoir en matière d’innovation, selon Guillaume Schier, professeur de Finance et de Family Business à l’école de management ESSCA. ” Le caractère familial est supposé fortement associé à un fort capital social, impliquant une plus grande capacité à mobiliser des ressources externes et à créer les arrangements institutionnels novateurs nécessaires à l’innovation “, écrivait-il ainsi dans la revue Gestion 2000 de l’Ichec.

A contrario, ” les entreprises familiales sont supposées être davantage conservatrices, résistantes au changement et adverses au risque… En outre, la crainte de la perte de la fortune familiale et de la perte de leur richesse socio-émotionnelle pourrait inciter les entreprises familiales à limiter les alliances technologiques pour limiter les risques de perte de contrôle et donc à appauvrir leur processus d’innovation “.

Selon la littérature existante, les entreprises familiales investissent proportionnellement moins de ressources en R&D que leurs homologues non familiales. Elles déposent aussi moins de brevets. Pourtant, les chiffres plaident en leur faveur en matière de mise sur le marché de nouveaux produits/services.

Guillaume Schier épingle également une étude européenne de 2013. ” Dans les situations qui nécessitent une prise de décision rapide, agressive et radicale, l’influence familiale semble jouer un rôle négatif du fait du désir de continuité et de réassurance. En revanche, une fois la décision stratégique prise, les entreprises familiales semblent mieux rentabiliser l’adoption de l’innovation radicale du fait d’une plus grande rapidité dans les prises de décision de mise en oeuvre et d’une plus grande constance dans les investissements nécessaires pour soutenir sur le long terme la décision d’innovation. ”

Stratégie de recrutement

Ces études semblent conforter ce qu’on pourrait penser d’instinct, à savoir que les PME familiales ont moins de moyens, sont plus réfractaires au changement mais qu’elles sont plus agiles quand elles ont pris une décision, moins engoncées dans une forme de bureaucratie.

Pour Francesco Antonucci, les PME familiales doivent réellement capitaliser sur ces points forts. Dans un contexte de guerre des talents, elles doivent en faire une force dans leur offre en tant qu’employeur. ” Un salaire supérieur ou un chemin de développement tout tracé ne fait plus forcément rêver les jeunes. Ils sont attentifs à d’autres éléments importants comme le bien-être, l’équilibre entre vie privée et professionnelle, le sens donné à leur travail ou les perspectives d’évolution. A ce niveau, les PME ont certainement une carte à jouer. ” Mais cela ne s’improvise pas. C’est toute la culture d’entreprise qui doit être pensée en conséquence.

Impliquer les équipes

” Que cela soit en termes d’offre employeur ou d’innovation, l’implication des équipes est déterminante, pointe le spécialiste en stratégie et transformation de BDO. Trop de PME familiales ont encore une stratégie d’innovation verticale axée sur les dirigeants. Impliquer les salariés est pourtant aussi efficace. Ils sont au contact direct des clients et de leurs besoins. Ils ont l’expérience des processus de production. ”

De plus en plus de PME familiales en prennent conscience. Mais il faut rester attentif à l’ensemble du processus et au changement cultural. ” Une boîte à idées peut certainement favoriser l’engagement des équipes. Mais l’effet ne perdurera que si un suivi est organisé et valorisé. Si l’employé a l’impression de prêcher dans le désert, il se découragera très vite. ”

La bonne nouvelle est qu’il y a beaucoup d'” outils ” de gestion qui permettent de faciliter la mise en place des modèles d’innovation au sein des PME et de profiter donc de ces opportunités.

En matière d’innovation, l’entreprise doit également rester attentive à l’évolution des marchés. ” Certaines PME familiales n’hésitent plus à embaucher des jeunes, pour leurs compétences mais aussi pour leur âge. Ils permettent à l’entreprise de mieux comprendre les besoins des nouvelles générations qui ont grandi avec un smartphone dans les mains, qui ont d’autres aspirations et d’autres habitudes que leurs aînés. Ces entreprises peuvent ainsi mieux orienter leur innovation vers les produits et services en demande. ”

Subventions et aides

Innover implique avant tout d’être prêt à changer, ses produits, son type d’offre, ses processus. Cette condition est certainement au moins aussi importante que l’aspect financier pour lequel les entreprises familiales peuvent obtenir des aides.

Les sociétés avec siège d’exploitation en Région wallonne peuvent obtenir des aides à la recherche et à l’innovation technologique pour tout projet de recherche industrielle ou de développement expérimental. Ces aides peuvent couvrir 40 à 70% des dépenses admissibles dans le cadre d’un projet de R&D, sous la forme de subventions ou d’avances récupérables pour les produits plus proches de la mise sur le marché.

La Région de Bruxelles-Capitale, elle, a mis au point un mécanisme d’aide assez similaire. Dans tous les cas, tenez compte du fait que l’entreprise doit trouver un cofinancement et devra accepter un surcroît de charges administratives.

Au niveau européen, le dispositif EIC Accelerator Pilot (période 2019-2020) est à destination exclusive des PME porteuses de concepts novateurs susceptibles de façonner de nouveaux marchés en Europe et dans le monde.

Certains projets responsables peuvent aussi bénéficier d’autres soutiens, comme celui de la Fondation Roi Baudouin.

Avantages fiscaux

Les entreprises peuvent bénéficier d’une dispense de versement de 80% du précompte professionnel retenu si elles occupent des chercheurs dans des programmes R&D. La dispense peut être obtenue par les start-up (maximum 10 ans, au moins 15% des dépenses en R&D) ou les entreprises employant certains diplômés. Bien que l’aide soit fédérale, la liste des diplômes diffère selon les Communautés. Certaines autres conditions sont également à respecter scrupuleusement, le fisc s’étant montré très tatillon dans ses contrôles ces derniers temps.

Au niveau fiscal, les investissements en brevets ou en frais de R&D donnent droit à une déduction majorée s’élevant à 13,5% du montant investi. Cette déduction est retranchée de la base imposable à l’impôt des sociétés. Elle peut alternativement prendre la forme d’un crédit d’impôt correspondant au montant de la déduction multiplié par le taux de l’impôt des sociétés de 25% (à partir de l’exercice d’imposition 2021). Ce crédit d’impôt comporte l’avantage de pouvoir à terme être remboursé à l’entreprise s’il n’a pas été utilisé.

Une entreprise voulant récompenser certains de ses salariés pour le succès d’un projet de développement peut leur octroyer une ” prime d’innovation “. Cette prime entièrement exonérée de cotisations sociales et d’impôts peut être octroyée à maximum 10% des travailleurs (ou trois personnes pour les entreprises de moins de 30 personnes).

Enfin, la déduction pour revenus d’innovation peut permettre à une entreprise d’immuniser à l’impôt des sociétés jusqu’à 85% des revenus nets d’innovation (innovation au sens de la loi du 9 février 2017, notamment les brevets et le software). Francesco Antonucci prévient toutefois que le processus est très encadré et que le dossier doit être bien ficelé et bien documenté.

S’entourer

Les possibilités d’aides sont donc multiples mais, selon les études, elles restent globalement sous-utilisées en raison, surtout, de la charge administrative. Un conseiller en stratégie et innovation peut évidemment grandement vous aider. Pour boucler les financements, obtenir des aides, bénéficier d’avantages fiscaux mais aussi et surtout dans la stratégie globale d’innovation de l’entreprise.

Cela va des petits gestes du quotidien permettant de faire remonter les idées de l’ensemble des équipes aux décisions de développement majeures dans la vie de l’entreprise, en passant par les défis de la numérisation.

Realco : L’innovation, c’est naturel

Les PME familiales ne manquent pas d'atouts
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Spécialiste des produits d’hygiène et du traitement des eaux à base d’enzymes, de bactéries et d’ingrédients naturels, Realco développe tant des produits que des techniques innovantes. Ce qui implique des processus de protection différents, comme nous l’explique George Blackman, directeur général de l’entreprise familiale wallo-brabançonne.

TRENDS-TENDANCES. Quelle est la spécialité de Realco en matière d’innovation ?

GEORGE BLACKMAN. Nous développons surtout des produits à base d’enzymes et d’ingrédients d’origine naturelle. Il s’agit d’une réelle innovation dans le secteur tant d’un point de vue environnemental qu’en termes d’efficacité. Les enzymes ne se contentent pas d’enlever la crasse, ils la dégradent. Ils s’activent dans un milieu à pH neutre et à plus basse température que d’autres composants, ce qui protège l’utilisateur et permet de prolonger la durée de vie des équipements. Ce type de solution est tout particulièrement recherché dans l’industrie agroalimentaire, notamment pour le nettoyage des filtres à membranes, équipements très sensibles. Cette division connaît la croissance la plus rapide.

Quelles sont les clés pour innover ?

En tant que dirigeant, il est important de rester à l’écoute de son personnel qui a le savoir-faire et l’expertise, l’expérience de la production, les contacts avec les clients. La facilité des échanges au sein d’une PME familiale favorise ce bouillonnement d’idées. Il ne faut également pas sous-estimer l’importance des partenariats, facilités notamment par les pôles de compétitivité. Il s’agit d’une source importante d’innovation au sens large.

Les PME familiales ne manquent pas d'atouts
© PG/ VIVIAN HERTZ

Comment protégez-vous votre expertise ?

Nous suivons différentes stratégies. On a déposé certains brevets en Europe et dans certains pays soigneusement sélectionnés. Mais on ne le fait que pour les innovations que l’on ne peut protéger autrement ou que l’on souhaite mettre en avant. Car déposer un brevet reste un processus coûteux et complexe. Quand cela n’est pas le cas, nous préférons garder notre expertise en interne parce que déposer un brevet revient aussi à divulguer ses secrets.

N’est-ce pas compliqué de gérer des brevets pour une PME familiale ?

Le processus est assez lourd. Nous avons deux personnes en interne qui s’en occupent et nous sommes assistés d’un bureau d’avocats et de spécialistes des brevets. C’est indispensable pour éviter d’être copiés trop facilement. Par ailleurs, nous pouvons aussi obtenir un avantage fiscal pour les revenus liés aux brevets.

Vous estimez-vous soutenus par les autorités ?

Il y a beaucoup d’initiatives auxquelles nous participons. Outre les éventuels soutiens financiers wallons ou européens, cela nous permet aussi de mettre l’entreprise en valeur. Cela attire les regards et nous permet de ne pas éprouver trop de difficultés à recruter les scientifiques dont nous avons besoin. D’autant plus que nos valeurs, l’ambiance et la flexibilité d’une PME familiale séduisent de nombreux candidats.

Dumoulin Aero : S’améliorer sans cesse

Les PME familiales ne manquent pas d'atouts
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” A l’origine, en 1997, l’ambition de l’entreprise était de relancer l’armurerie liégeoise “, raconte Geoffroy-Vincent Cammermans, CEO de Dumoulin. Un embargo américain et le hasard ont permis à l’entreprise liégeoise de devenir un spécialiste des pièces en métaux durs de haute technicité (titane, etc.) pour les liaisons des bords d’attaque d’ailes d’avions.

TRENDS-TENDANCES. Quelle est l’expertise de Dumoulin Aero ?

GEOFFROY-VINCENT CAMMERMANS. Nous ne sommes pas actifs dans le design. Notre expertise est de parvenir à produire les pièces demandées. Pour certaines d’entre elles, on travaille au micron, c’est de l’orfèvrerie. Notre secteur implique aussi d’importantes contraintes administratives, des paquets de contrôles (pièces et installations) et une traçabilité irréprochable. Le tout en parvenant à offrir des prix compétitifs à nos clients et en conservant une grande flexibilité. Notre réel savoir-faire réside donc dans les processus de production.

Comment parvenez-vous à répondre à ces exigences ?

Nous innovons sans cesse afin de rendre nos processus de production à la fois plus performants et plus respectueux de l’environnement. C’est important pour nous, tant d’un point de vue sociétal qu’économique car la norme ISO 14001 s’imposera sans doute un jour dans le secteur aérien. On améliore nos processus, on investit dans des panneaux solaires, dans la numérisation et évidemment dans des machines de pointe. On est devenu ambassadeur Digital Wallonia Made Different pour la transformation World class manufacturing en vue de la conversion vers l’industrie 4.0. Notre savoir-faire est désormais reconnu. Nous sommes notamment impliqués dans tous les programmes Airbus, Embraer et Bombardier.

Les PME familiales ne manquent pas d'atouts
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N’est-ce pas plus compliqué pour une PME familiale ?

Nous n’avons évidemment pas la taille de certains de nos concurrents et nous ne pourrions lutter sur des pièces à gros volume. En matière de financement, garder un actionnariat essentiellement familial reste aussi une gageure. Mais notre taille comporte aussi des avantages. Nous sommes plus flexibles que de grandes structures, ce qui a notamment permis de remporter notre premier contrat avec Bombardier. La proximité et les échanges au sein du personnel nous permettent aussi d’améliorer sans cesse nos processus.

Trouvez-vous que les pouvoirs publics soutiennent suffisamment l’innovation ?

Il existe différents programmes de soutien qui fonctionnent bien, même s’il serait préférable d’en rationnaliser et d’en regrouper certains pour éviter l’éparpillement. Le gros point noir se situe toutefois du côté de la formation. Nous n’étions que trois en 2003 et nous sommes désormais 50. J’ai pourtant dû, pour la première fois, refuser un contrat, étant dans l’incapacité de trouver le personnel nécessaire. Certaines mesures ont été prises pour encourager les filières techniques mais cela reste insuffisant au vu des besoins. Il est important de dire aux jeunes que notre secteur est désormais hautement technologique et offre des garanties d’emplois à long terme.

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