Bruyerre: les mains dans la farine

Jean-François et Justine Collet: "Nous devons consolider tout ce qui a été mis en place." © Bruyerre

Voilà plus d’un siècle que la société Bruyerre, à Gosselies, vend les matières premières et le matériel nécessaire au métier de boulanger-pâtissier. Une vraie saga familiale, que nous racontent son CEO, Jean-François Collet, et sa fille Justine, destinée à lui succéder

Petit grossiste hainuyer en produits exotiques hier, acteur international spécialisé dans les matières premières pour boulangers, pâtissiers et glaciers aujourd’hui : l’histoire de la société familiale Bruyerre a tout de la belle aventure, entamée il y a plus d’un siècle.

Tout démarre en 1909, à Gosselies, où François-Léon, le patriarche, lance son activité d’importateur de “denrées coloniales” (fruits secs, bâtons de vanille, sucre) qu’il reconditionne pour les vendre aux boulangers-pâtissiers de la région de Charleroi. Avec les années, l’entreprise se diversifie : vente de matières premières, fabrication de confiseries artisanales, de pralines, de conserves de fruits mais aussi développement d’une menuiserie pour fabriquer de quoi équiper les boulangeries, du pétrin au comptoir.

Le fondateur de la société François-Léon Bruyerre.
Le fondateur de la société François-Léon Bruyerre.© Bruyerre

En 1945, après le décès de François-Léon, l’activité est reprise par sa fille Yvette et le mari de cette dernière, Emile Collet. Rapidement, un autre couple entre dans la société, formé par le frère d’Emile, Maurice, qui a épousé Christiane, la seconde fille de François-Léon. Maurice, dont les six enfants s’investiront ensuite chacun à leur manière dans l’entreprise, est chargé de développer le pôle Equipement.

Premiers congélateurs

“Mon père Maurice, explique Jean-François Collet, actuel gérant, a développé la vente de matériel en complément des matières premières. A l’époque, par exemple, il n’y avait pas de machine à couper le pain dans les boulangeries. Durant les années 1960, nous avons vendu les premiers batteurs-mélangeurs mécaniques, les premiers laminoirs, les premiers congélateurs… Le marché était énorme, il y avait quatre fois plus de boulangeries qu’aujourd’hui.”

Les années 1970 sont plus difficiles. L’instauration de la TVA au 1er janvier 1971, combinée avec une forte inflation, a un impact négatif sur les activités. Le coût de la main-d’oeuvre est multiplié par trois : certaines fabrications artisanales sont abandonnées car trop onéreuses. Fin de la même année, Yvette et Maurice décèdent à deux mois d’intervalle, l’entreprise doit se réorganiser. “Il y a d’abord ma mère Christiane, qui décide de s’investir pleinement dans l’activité Equipement, poursuit Jean-François Collet. Ma soeur Danielle avait déjà intégré l’entreprise ; mon autre soeur, Martine, choisit donc à son tour d’y entrer pour s’occuper de la production, puis du premier magasin Cash & Carry à Gosselies et, par la suite, de celui à Jambes.”

C’est dans ce contexte de difficultés financières que l’actuel gérant rejoint également l’entreprise en 1976. Il n’a pas encore 20 ans et se destinait plutôt à la restauration, mais le décès de son père l’a amené à se former à l’électromécanique pour s’occuper de ce volet dans l’entreprise.

Trois ans plus tard, la SPRL passe en société anonyme. “Avec mes deux soeurs et mes deux beaux-frères, nous nous sommes attachés à remonter la pente. En 1980, ma mère participa à une mission économique au Japon qui déboucha sur l’exportation de pralines. En 1982, mon frère Thierry nous a rejoints pour s’occuper de la chocolaterie, bientôt déplacée à Mellet par manque de place. Son don des langues nous fut fort utile pour l’export.”

Peu à peu, les choses s’améliorent. Reste une inquiétude, celle de Jean-François qui a le sentiment que l’entreprise n’est pas sous contrôle. “En 1987, nous décidons donc de racheter les activités à notre mère qui était devenue propriétaire de l’ensemble et scindons la société en quatre départements : Bruyerre Fournitout à Martine, Bruyerre Food à Danielle, la Chocolaterie Bruyerre à Thierry et Belgram à moi-même pour l’équipement.”

Les aléas de la vie

En 1988, Martine décède dans un accident de voiture, tout comme Thierry, quatre ans plus tard. Dans les deux cas, Jean-François Collet reprend leur société. Il rachète aussi une partie de Bruyerre Food, département qui finit par déposer le bilan en 1994. “Gérer quatre sociétés n’était pas possible, les quatre départements ont donc fusionné en 1998 pour redevenir Bruyerre SA, explique le CEO. Le déménagement sur le site actuel en 2001 (dans une rue baptisée François-Léon Bruyerre, Ndlr) fut alors un tremplin pour l’entreprise, avec une infrastructure mieux adaptée et un outil rationnel, redevenant rapidement bénéficiaire.”

Dans les années 2000, Bruyerre reprend divers grossistes de matières premières (Delfosse à Leuze en 2010 ou Vanhoebrock à Suarlée en 2017) et développe des succursales à Wierde, Liège et Tournai. Une nouvelle devrait voir le jour à Nossegem encore cette année, marquant une première incursion de la société en Flandre. En 2018, Bruyerre a également revendu son activité de chocolatier à Corné 1932. C’était sans doute l’activité la plus connue de l’entreprise mais elle ne représentait que 6% de son chiffre.

“Il faut se réinventer en permanence, car le nombre de boulangeries artisanales diminue.”© Bruyerre

Aujourd’hui, les turbulences sont dépassées et la société emploie 210 personnes. En 2019, elle a généré un chiffre d’affaires de 86 millions d’euros. Son point fort : on trouve véritablement de tout dans ses magasins, du croissant surgelé à la machine à glaces en passant par les casseroles, la décoration des gâteaux ou les lave-vaisselle ! Et chaque point de vente est également accessible aux particuliers.

Nouvelle génération

Présent depuis presque 45 ans, Jean-François Collet prépare sa succession. Ces dernières années, deux neveux, Christopher et Maxim, ont rejoint la société, ainsi que ses deux filles, Morgane et Justine. C’est cette dernière, présente dans l’entreprise depuis 2012, qui va succéder à son père. Formée en sciences de gestion à la faculté Warocqué, Justine est bien consciente des enjeux. “Ces dernières années, nous avons évolué très vite, nous devons consolider tout ce qui a été mis en place avant d’ouvrir de nouveaux marchés, précise-t-elle. Il faut se réinventer en permanence car le nombre de boulangeries artisanales diminue pour faire place à des structures plus importantes et à la prise de parts de marché par la grande distribution. Nous préparons la certification ISO 22000 afin de pouvoir fournir ces plus gros industriels.

La pâtisserie à la française ou à la belge s’exporte très bien aussi et personne n’a la même offre que nous. C’est la raison pour laquelle nous développons aujourd’hui les ventes à l’exportation. Notre marché historique est le Congo où nous avons plusieurs clients réguliers déjà depuis les années 1970. Nous livrons régulièrement du matériel et des produits en Chine et plus ponctuellement au Canada ou en Australie. Mais nous vendons bien sûr aussi aux pays voisins, essentiellement la France et le Luxembourg, un peu en Allemagne et au Royaume-Uni, et même un peu plus aux Pays-Bas.”

Le magasin de Gosselies, à côté du siège central de la société. Comme les trois autres points de vente, il est également accessible aux particuliers.
Le magasin de Gosselies, à côté du siège central de la société. Comme les trois autres points de vente, il est également accessible aux particuliers.© Bruyerre

Entreprise résolument ancrée dans son époque, Bruyerre se veut également très concernée par sa responsabilité sociétale : “Nous avons installé des panneaux solaires et des éoliennes, précise la future directrice, et nous faisons aussi attention à tout ce qui est écologie, avec des messages sur les interrupteurs, des détecteurs de mouvement pour les lampes des entrepôts, etc. Nous sommes aussi attentifs au bien-être du personnel : nouveau réfectoire avec fauteuils, terrain de pétanque, potager pour faire de la soupe (gratuit), etc. On essaie que tout le monde se sente bien.”

Marc Vanel

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