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“Un premier pas vers une taxe Gafa”

Jeff Bezos, Mark Zuckerberg ou Tim Cook goûteront-ils encore avec autant de plaisir à une tarte nappée de crème fouettée ? Pas si sûr, depuis que le “G7 finance” a tenu sa dernière réunion au château de Chantilly, au milieu du mois de juillet.

Les ministres des Finances des sept principaux pays de la planète ont en effet pris deux décisions historiques qui devraient, si elles se concrétisent, faire mal aux portefeuilles des Gafa. Pour la première fois, les grands argentiers mondiaux se sont mis d’accord sur la possibilité de taxer les activités digitales dans un pays où une société n’aurait pas d’implantation physique. Ils ont aussi décidé, et c’est aussi une première, de plancher sur un taux minimum de taxation des sociétés multinationales. Le ” double irlandais ” et le ” sandwich hollandais “, ces montages qui permettent aux multinationales de canaliser leurs bénéfices dans les pays où ils seront les moins taxés, risquent désormais la date de péremption…

Si un consensus sur un taux minimum d’impôt des sociétés n’a pas été trop difficile à obtenir, l’accord sur la taxation des activités digitales a été l’objet d’un plus âpre débat. Il a surtout mis aux prises la France et les Etats-Unis car ces derniers abritent la plupart de ces géants du digital. Washington a donc vu d’un très mauvais oeil la récente décision française de lever un impôt sur le chiffre d’affaires numériques et Washington a même déclenché une enquête, soupçonnant cette disposition d’être un vulgaire dispositif protectionniste. Mais il reste que d’autres pays, du Royaume-Uni en passant par l’Espagne, songent, eux aussi, à mettre en place une disposition similaire.

Evidemment, il vaudrait mieux, pour qu’une mesure fiscale sur les Gafa soit efficace, ne pas agir en ordre dispersé. C’est pour cela que les décisions prises à Chantilly sont importantes. Mais attention, ce ne sont pour l’instant que de bonnes intentions que les experts de l’OCDE sont chargés de transformer en actes. Mais ils sont résolus : l’OCDE a déjà lancé un plan d’action (baptisé BEPS, Base Erosion and Profit Shifting) pour lutter contre les pratiques des entreprises qui cherchent à réduire leur base imposable et à transférer leurs bénéfices dans des législations où ils sont peu ou pas imposés.

Sur le fond, on ne peut que se réjouir. Une meilleure taxation des Gafa devrait remettre sur un pied d’égalité fiscal, et donc concurrentiel, les très grandes entreprises et les plus petites. On peut même rêver que, dans un cadre fiscal neutre, le surcoût de recettes fiscales ponctionnées sur les grandes entreprises permet d’alléger la charge des petites.

On restera néanmoins attentif à la méthode car, pour taxer efficacement les activités d’entreprises souvent en position de monopole, il faut être prudent. Certains, comme l’économiste Bruno Colmant, doutent du bien-fondé de la manière française, qui ponctionne 3% du chiffre d’affaires généré par certains services numériques si ces services dépassent une certaine taille. Une telle taxe nationale serait en effet une fausse bonne idée car elle pourrait simplement pousser les entreprises à rehausser leurs tarifs… Il vaudrait mieux, poursuit Bruno Colmant, demander à ces entreprises une compensation parce qu’elles utilisent gratuitement les infrastructures des pays dans lesquelles elles ont des utilisateurs et qu’elles détruisent de l’emploi (Amazon fait disparaître les petits commerces).

Mais évidemment, pour qu’une taxe ou une compensation soit efficace, il faut aussi qu’elle soit appliquée largement. Or, la taxe Gafa proche du système français qu’avait proposée la Commission européenne a été recalée parce que, entre autres, l’Allemagne (contrairement aux promesses tenues par la chancelière Merkel) a finalement eu peur des représailles américaines sur ses exportations de voitures de luxe…

Taxer de grands monopoles reste un chemin difficile. Mais à Chantilly, une porte a été entrouverte.

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