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Uber et AirBNB, les nouveaux monopoles de demain ?

En examinant les caractéristiques de l’économie collaborative, on peut se demander si ces marchés ne sont pas conçus pour ne produire qu’un seul gagnant…et engendrer la création de monopoles extrêmement puissants.

Connaissez-vous l’histoire du singe millionnaire ? Imaginons un marché dans lequel un million de singes investissent chaque semaine 1 euro chacun. A la fin de la première semaine, de manière aléatoire, la moitié des singes perdent leur argent alors que l’autre moitié fera un profit. Après 19 semaines, il ne restera plus que 2 singes et la semaine suivante, nous aurons un gagnant : le singe qui aura vu juste pendant 20 semaines consécutives. Tous les autres singes seront jaloux, se demandant quelle formule magique le singe millionnaire a bien pu utiliser ! Mais en fin de compte, on comprend qu’en réalité, il n’y avait aucune magie, car le jeu avait été délibérément conçu dès le départ pour produire automatiquement un gagnant après 20 semaines ! En examinant les caractéristiques de l’économie collaborative, on peut se demander si ces marchés ne sont pas, eux aussi, conçus pour ne produire qu’un seul gagnant…et engendrer la création de monopoles extrêmement puissants.

L’économie collaborative fait irruption dans la quasi-totalité des secteurs de notre économie, avec son potentiel économique incroyable, son impact sur nos modes de vie et notre façon de travailler, mais également des dangers non négligeables. Le Centre Jean Gol s’est penché sur la question dans son ouvrage “Libérer le potentiel de l’économie collaborative” publié aux éditions du CEP. Les plateformes technologiques comme Uber sont caractérisées par le concept d’effets de réseau, phénomène par lequel l’utilité d’un produit dépend du nombre d’utilisateurs. Selon cette idée, plus la plateforme attire l’intérêt des utilisateurs, plus sa valeur augmente et elle va attirer de nouveaux investisseurs qui contribueront à la croissance de la plateforme, ce qui attirera de nouveaux utilisateurs, etc. Les effets réseaux constituent une barrière à l’entrée importante, et il suffit de penser à l’échec retentissant de Google+ face à Facebook pour comprendre cette théorie.

A cet égard, des entreprises comme Uber ou encore Airbnb semblent tirer leur épingle du jeu. Mais dans ce cas, la stratégie est bien pensée et ne doit rien au hasard. Uber est déjà valorisée à plus de 60 milliards de dollars. C’est plus de trois fois la valeur du groupe Carrefour et plus du double de la valorisation de Nokia. Airbnb a atteint quant à elle une valorisation de 30 milliards de dollars. La plupart des entreprises de l’économie collaborative placent la croissance du nombre d’utilisateurs au centre de leur stratégie, bien avant la mise en place d’un modèle de business cohérent et parfois en essuyant des pertes très importantes pendant les premières années. La logique est implacable : le nombre d’utilisateurs prime pour booster l’effet de réseau. L’argent, quant à lui, suivra. Mais il viendra bien un moment où les investisseurs réclameront leur part du gâteau. Et la stratégie pour attirer les utilisateurs est simple : s’élever en sauveur de notre société en luttant contre les monopoles existants et permettre à la communauté de reprendre le pouvoir. La question qui se pose est de savoir si ces entreprises ne sont-elles pas en train de supprimer des monopoles pour en créer des nouveaux ?

Quant à nous, nous suivons le mouvement. Pourquoi ? C’est moins cher, beaucoup plus pratique, plus convivial vous diront certain. La raison principale serait plutôt la stratégie de “communauté” qui fonctionne à merveille. Fin 2015 aux Etats-Unis, une initiative visant à limiter à 75 nuits par an la location à court terme de logement par les particuliers a été proposée à San Francisco. Airbnb a investi pas moins de 8 millions de dollars dans une campagne de communication pour inciter les gens à voter contre cette proposition, qui a finalement été rejetée. Jusqu’où suivrons-nous ? Une fois en situation de pouvoir de monopole, que feront ces entreprises pour récupérer les lourdes pertes et les énormes montants investis ?

Le véritable pouvoir de monopole se mesure dans la capacité à influencer les investissements, la régulation ou encore les politiques tarifaires. Dans certaines villes comme à Paris, les premières augmentations de prix d’Uber ont déjà eu lieu, et la tendance pourrait se poursuivre. Uber utilise d’ailleurs un algorithme très spécifique pour déterminer le “prix du marché” en fonction de la demande, sans aucune transparence, ouvrant la porte à des discriminations en tout genre. L’entreprise serait par exemple soupçonnée d’avoir délibérément retenu des véhicules pour stimuler la demande et augmenter ses profits pendant le week-end de la Saint Valentin en 2014. On est bien loin de l’image positive de cette économie révolutionnaire qui permet d’optimaliser la gestion des ressources, de renforcer les liens sociaux ou encore de diminuer les coûts.

Que faire dès lors ? Il est certain qu’il ne faut pas tuer dans l’oeuf cette nouvelle économie, dont les bénéfices peuvent être considérables pour nos sociétés et qui selon une étude de l’EPRS [1] pourrait engendrer un gain annuel de 572 milliards d’euros dans l’Europe des 28. Il convient également d’atténuer le pouvoir monopolistique de ces entreprises, basé sur les effets de réseaux. A partir du moment où il est basé sur la communauté d’utilisateurs, le pouvoir de monopole devrait être nettement moins dangereux que s’il était basé sur les infrastructures. Les plateformes prendront difficilement le risque de contrarier la communauté qui est à la base de son succès. Nonobstant ce constat, il est indispensable de réfléchir à des solutions permettant de libérer le potentiel de cette économie tout en atténuant ses impacts négatifs. Certaines méthodes d’Uber s’apparentent à des pratiques de ventes à perte ou de dumping et devraient être davantage contrôlées. La transparence doit également jouer un rôle central notamment en matière de fixation des prix. Les autorités doivent également s’assurer de maintenir des barrières à l’entrée faibles malgré l’effet réseau en réfléchissant à des régulations souples et tournées vers l’avenir qui ne favorisent pas uniquement le nouvel entrant disruptif sur le marché.

La révolution collaborative est en marche et nos sociétés ne pourront y échapper. Elle présente des défis formidables et un changement radical non seulement dans notre manière de consommer, mais aussi dans notre rapport avec le travail. Ne passons pas à côté de ces opportunités et réfléchissons dès maintenant à la meilleure manière de les appréhender.

ParOlivier Colin – Economiste, Coauteur de “Libérer le potentiel de l’économie collaborative”, 2016, CEP, 295 p.”

[1] European Parliamentary Research Service

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