Tomorrowland, “Beats” de luxe et service à la clientèle

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A Tomorrowland, la musique va tout aussi fort qu’ailleurs. Mais, sur tous les autres terrains, le jeune festival de dance bat ses homologues belges. Lors de l’ouverture des lignes de réservation en avril 2012, 180.000 billets se sont vendus en quelques secondes.

Cent quatre-vingt mille. Le nombre de places vendues pour Tomorrowland 2012. Et les étrangers n’ont pas été oubliés : ils arriveront le 26 juillet à bord de 15 avions spécialement affrétés pour l’occasion. Le festival qui, il y a sept ans encore, n’attirait que 9.000 amateurs de dance dans l’ancienne carrière d’argile de Boom est devenu une puissante marque pour jeunes. Les annonceurs, eux aussi, l’ont remarqué.

Le concept ? “De la musique, mais avant tout, une expérience”

Tous les commentateurs s’accordent sur le principal facteur de succès : Tomorrowland met davantage que les autres l’accent sur la dimension de l’expérience. Les prestations sur les 16 podiums disséminés sur 75 hectares ne sont en effet pas tout : il y a aussi et surtout l’ambiance de conte de fées, l’encadrement de luxe et ces petits détails qui font la différence. Ainsi, à Tomorrowland, le festivalier dort dans des livres de contes de fées ou des maisonnettes, mange du pain frais au petit-déjeuner et dîne dans un restaurant étoilé sur la prairie le soir venu.

Comment cette idée est venue aux frères Manu (31 ans) et Michiel (35 ans) Beers ? Les pieds dans la gadoue, avec des hauts et des bas, mais surtout avec beaucoup de passion. Ils y ont pensé dès leur première soirée à Ranst, où ils ont grandi, puis lors de fêtes estudiantines telles que la “Nacht van de Student” ou le festival dance “Antwerp is burning”. “Nous avons pris la décision d’y travailler à temps plein quand des sponsors ont commencé à croire en nous. Kipling a parrainé notre première “Nacht van de Student” en apportant 1,2 million de francs belges ; à l’époque, cela représentait plusieurs fois le budget de départ que nous avions constitué grâce à nos premières soirées”, se souvient Manu Beers. “On s’est rendu compte qu’on avait beaucoup à offrir aux marques, mais qu’on devait s’y prendre sérieusement.” Tellement sérieusement que le duo rédige son premier plan d’affaires (sur un feuillet) : un festival entièrement nouveau de trois jours en pleine nature.

La pratique ? “Investir à fond dans les détails pour surpasser les attentes”

Les deux frères ne se sont pas lancés seuls dans le projet. L’organisateur néerlandais de festivals dance ID&T a racheté 50 % des parts en 2004, leur offrant une structure solide. “Sur le fond, nous ne prenons pas nos ordres des Pays-Bas. Par contre, nous avons adopté leur mentalité de service et l’avons poussée encore plus loin.”

Tomorrowland innove chaque année, à l’image d’Herman Schueremans, de Rock Werchter, qui fut le premier à introduire le bracelet-souvenir servant de billet d’entrée et à développer un service intégral pour ses artistes. Les nouveautés de cette année ? Le logo en forme de papillon décliné en glaçons, les bons de boisson dans une bourse en tissu et un papillon en acier estampillé “Made with love” en guise de pendentif à chaque bracelet d’accès. Qui plus est, l’ambiance féérique du podium principal a été étendue aux stands de nourriture. Les enseignes de hamburgers peintes ont fait place à 100 panneaux lumineux en 3D. Les frères se sont inspirés de l’enquête annuelle menée auprès de 2.000 festivaliers. Ainsi, les toilettes à chasse ont beaucoup plu l’année dernière. Du coup, le fournisseur ne peut plus installer que ce type de toilette cette année.

Partenariats ? “Seulement avec des sponsors un peu fous”

Quiconque collabore avec Tomorrowland doit oser dépasser la ligne créative, mais toujours en concertation étroite avec l’organisation. Un pari audacieux pendant les premières années. “Les entreprises nous trouvaient difficiles parce que nous leur demandions de faire quelque chose de fou et de particulier”, expliquent les frères Beers. Mais certains, comme Samsung, Red Bull, Nintendo et la Loterie Nationale ont sauté sur l’occasion. D’après Samsung, c’est même Tomorrowland qui lui a permis de devenir leader du marché du GSM (voir Trends-Tendances du 24 mai 2012). Red Bull a, pour sa part, aménagé deux années de suite une piste de neige ; l’année dernière, la marque au taureau avait notamment sponsorisé un bateau de DJ sur l’étang. Cette année, Samsung prépare un podium secret, tandis que la boisson énergétique jaillira de pompes en bois pleines de style ; le festival prend d’ailleurs à sa charge une partie de l’investissement, qui s’élève à quelque 200.000 euros.

Et chaque nouveau partenariat élargit les possibilités pour le festival. Ainsi, Brussels Airlines affrète cette année 15 avions pour acheminer 3.000 festivaliers en provenance de capitales européennes et de New York. Les forfaits de voyage de 590 à 790 euros (jusqu’à 1.400 euros au départ de New York) se sont en effet arrachés. “Nous avons réalisé une belle marge bénéficiaire”, confient les frères Beers. “Nous ne l’utiliserons pas pour enjoliver notre résultat, mais pour surpasser les attentes. C’est ainsi que nous avons par exemple occulté les hublots et demandé à des DJ de déjà mettre l’ambiance à bord.” Mais la compagnie aérienne ne s’arrête pas là : sur la prairie, la grande roue la plus haute d’Europe a été construite pour Brussels Airlines.

Le marketing ? “Un demi-million d’euros pour la lecture en transit sur YouTube”

Chez les Beers, c’est le cadet qui est le spécialiste du marketing. “J’ai étudié tous les posters, flyers et dépliants sous toutes les coutures jusqu’à bien les maîtriser”, explique-t-il. “Quelles sont les images qui marchent dans une campagne ? Comment touchent-elles les jeunes ?” Armés de ces connaissances, les deux frères ont développé eux-mêmes leurs campagnes jusqu’il y a six ans. “On a constaté que 100.000 euros de dépenses publicitaires ne généraient que 10.000 euros de ventes de billets. Beaucoup d’échanges avec des médias ne marchaient pas. On a donc finalement pris la décision d’investir l’argent dans le produit, convaincus que la rentabilité suivrait.”

Il y a quatre ans, les médias ont quand même pointé à nouveau le bout de leur nez. Pour être précis, les médias sociaux ont été à l’origine du succès international. Sur Facebook, la marque communique toute l’année avec ses fans et annonce un DJ par jour dès le mois de janvier. Le film rétrospectif réalisé en HD par des professionnels est l’orgueil de l’organisation. “Elle montre ainsi qu’elle se soucie des visiteurs ; la fête terminée, mais elle continue à investir de 10 à 20.000 euros pour faire plaisir à chaque fan”, interprète Peter Ducuypere, ancien propriétaire du festival I Love Techno. “C’est la meilleure promo possible pour l’année suivante.”

Le résultat ? Des chiffres inouïs sur Facebook et YouTube. A ce jour, l’ after movie 2011 de 14 minutes a été vu 41,5 millions de fois, et la chanson officielle de cette année écoutée par 7,2 millions de personnes. Sur Facebook, on dénombre 1,3 million de fans, tandis que début juillet, Pukkelpop en affichait 163.749 et Rock Werchter, 131.128. Si ces festivals négocient des émissions de radio et de télé avec les médias belges, Tomorrowland regarde par-delà les frontières. C’est ainsi qu’une équipe de 150 personnes assurera une retransmission en direct ininterrompue sur YouTube. Et le coût – 500.000 euros – ne sera pas couvert par des capsules publicitaires.

Le modèle ? “Pas celui des gains rapides”

Les frères gérants, qui se baladent en tongs au bureau, préfèrent éviter les médias. Les photos d’eux sont encore plus rares. “C’est l’événement qui compte, pas tant ceux qui le conçoivent.”

Leur société ID&T s’est professionnalisée l’année dernière avec l’aide de consultants de Deloitte. Les fondateurs ont désormais plus de temps pour veiller sur l’ADN du festival et s’occuper des aspects créatifs et de l’avenir. Ils sont flanqués de quatre managers opérationnels et de trois experts. Les 15 permanents se multiplient, pendant la durée du festival, en une armée de 4.000 assistants.

Sur le plan financier aussi, les résultats sont au beau fixe. Le festival est ainsi passé de 150.000 euros de pertes les deux premières éditions, qui n’avaient attiré que 10.000 visiteurs, à 2,4 millions de bénéfices sur un chiffre d’affaires de 19 millions en 2011. La croissance de 25 % du chiffre d’affaires s’explique surtout par la hausse du prix du billet. Le billet combiné de trois jours, par exemple, est passé de 135 à 172,5 euros (+ 27,8 %). Les festivaliers n’en ont cure, et la société peut se permettre de réaliser chacune de ses idées.

L’avenir ? “Chaque saison sur un continent différent”

Jusqu’à présent, on ne voyait pas très bien comment les organisateurs allaient pérenniser cette forte courbe de croissance. L’accent devait et serait mis sur le festival en tant que produit et sur la prairie à Boom. “La vente des billets ne pose plus de problème. Mais un festival n’en reste pas moins un puzzle de 100.000 pièces, sans beaucoup de routine.” Les organisateurs s’efforcent de faire vivre la marque plus intensément toute l’année durant. “Grâce à nos petits films, les festivaliers peuvent un peu revivre leur été. La nouveauté, c’est qu’ils pourront acheter pendant toute l’année des articles de marchandisage réalisés dans une qualité supérieure, en collaboration avec Le Coq Sportif. D’autres produits dérivés ne sont pas à l’ordre du jour.”

Quid de la demande lancinante d’exporter le festival ? “Nous avons engagé un consultant international expérimenté qui négocie chaque semaine avec un pays différent. Le problème ne réside pas tant dans la vente des billets que dans la complexité. Un festival comprend tellement d’éléments qu’il est difficile de le transposer ailleurs. Un jour, nous organiserons peut-être un Tomorrowland chaque saison sur un autre continent. Aujourd’hui, nous essayons de garder la tête froide”, concluent-ils sur la terrasse d’un café anversois près de leur bureau.

Hans Hermans

>>> Retrouvez le dossier complet dans Trends Tendances du 19 juillet 2012.

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