Tinapa, le ‘Dubaï africain’, un gâchis à 450 millions de dollars

Les studios de cinéma, vides, de Tinapa. © AFP

Studios cinémas futuristes, magasins de luxe et train aérien… Tinapa devait être une vitrine du dynamisme nigérian, un hub commercial pour l’Afrique de l’ouest qui rapporterait des millions de dollars. Mais dix ans après sa création, cette ville-fantôme est devenue le symbole d’un immense gâchis.

C’est ce qu’on appelle un “éléphant blanc”: un projet démesuré qui débouche sur rien, ou pas grand-chose. Tinapa a coûté quelque 450 millions de dollars (413 millions d’euros) avant de devenir un gouffre financier pour ses actionnaires.

Ses courbes majestueuses et ses coupoles avant-gardistes se dressent avec insolence au milieu de la brousse et des palmiers. A l’entrée du site, à quelques kilomètres de Calabar, capitale de l’Etat de Cross River (sud), des panneaux géants annoncent avec enthousiasme: “Tinapa (est) de retour!” Pourtant, les rares visiteurs qui s’y aventurent déchantent vite.

Hormis quelques employés désoeuvrés, il n’y a pas âme qui vive dans les interminables allées commerçantes de ces 80.000 m2 d’entrepôts et de boutiques posés au bord d’une lagune et qui devaient faire la renommée de Calabar.

“Nous n’avons pas de clients, Tinapa ressemble à un cimetière”, se lamente le vendeur du magasin Da Viva, une marque de pagne populaire en Afrique. “Beaucoup ont déjà plié bagages”, dit-il en montrant du doigt des locaux désaffectés.

Plongé dans l’obscurité, un immense supermarché expose encore vêtements, meubles, et toutes sortes de babioles manufacturées à l’étranger. A l’intérieur, un vieil homme somnole dans une chaleur suffocante. L’électricité a été coupée depuis longtemps.

Dubaï africain

Au début des années 2000, le Nigeria, en passe de devenir la première économie et le principal producteur de pétrole d’Afrique, était le lieu de tous les possibles. Une poignée d’hommes d’affaires et d’architectes ont alors imaginé un centre de commerce et de tourisme international implanté sur une zone franche. Les plus grandes banques nigérianes ont accouru pour financer le projet, inauguré en 2007.

“A l’époque, tout le monde était emballé, Tinapa devait booster le développement de toute la région et générer des milliers d’emplois”, se souvient Bassey Ndem, premier directeur général du site et l’un de ses concepteurs.

Objectif: attirer les milliardaires nigérians s’envolant habituellement vers Dubaï ou Londres pour faire du shopping.

Un complexe hôtelier de 242 chambres cossues avec vue sur la lagune et un parc aquatique à toboggans sont ainsi construits pour accueillir ces clients prestigieux et leur progéniture.

A côté de ce tourisme de luxe, l’idée est surtout de faire de Cross River un carrefour commercial sur la côte atlantique, capable de concurrencer le port de la capitale économique Lagos -située à quelque 800 km plus au nord-ouest- en approvisionnant le Nigeria et ses voisins comme le Cameroun, le Tchad et le Niger, de marchandises importées.

“Tout allait bien au début. Au pic de l’activité, nous avons gagné sur l’année 2009 environ 30 millions de dollars”, assure Bassey Ndem.

“Mais nous avons été confrontés à de fortes résistances des douanes, qui ne voulaient vraiment pas que la zone franche fonctionne”, accuse-t-il.

Les marchandises étaient censées être exonérées de droits de douanes à leur entrée dans la zone franche. Mais dès les premiers mois, les douanes, réputées très corrompues, ont bloqué dans les ports du pays des dizaines de conteneurs destinés à Tinapa, paralysant le commerce naissant.

L’argent s’évapore

Bassey Ndem finit par jeter l’éponge en 2012. Aucun de ses successeurs n’a depuis réussi à faire décoller Tinapa. “Il n’y a pas eu la volonté politique suffisante” pour faire vivre le projet, dit-il, “frustré” et “en colère” face à tant de “gâchis”.

Pour l’économiste et blogueur Nonso Obikili, cet échec s’explique surtout par la faiblesse des infrastructures existantes -routes mauvaises et port de taille moyenne- pour acheminer les marchandises.

“C’était un vaste projet conçu pour aller avec un port en eaux profondes capable d’accueillir de gros navires. Celui-ci était de la responsabilité de l’Etat fédéral, mais il n’a pas vu le jour”, affirme-t-il à l’AFP.

Finalement, aucun grand nom de la joaillerie ou du prêt-à-porter n’ont voulu investir dans le paradis vanté par ses promoteurs, et l’hôtel reste désespérément vide. Les studios de cinéma n’ont pas davantage attiré les stars de “Nollywood” -le Hollywood nigérian- qui ont préféré rester à Lagos.

Evoquant Tinapa, l’auteure anglo-nigériane Noo Saro-Wiwa fustige l’incurie des dirigeants dans son pays d’origine, où l’immense majorité des 190 millions d’habitants n’a guère profité de 40 ans de croissance économique et continue à vivre dans un dénuement extrême.

“J’entends les discours interminables des politiciens nigérians sur les parcs à thème, les centres touristiques, les centres commerciaux et leurs +retombées+ sur l’économie”, écrivait-elle dans “Transwonderland” en 2012. “Mais il n’y a pas de +retombées+ au Nigeria: l’argent coule vers le haut ou s’évapore au contact de l’air”.

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