Saga Belgacom: les armes judiciaires de Didier Bellens

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L’ex-patron de Belgacom contestera plus que probablement sa révocation sans indemnités, entérinée par le conseil des ministres restreint. Quelles armes a-t-il à sa disposition ?

“Vous verrez bien ce que je ferai. Cela apparaîtra étape par étape.” Cette menace à peine voilée, glissée par Didier Bellens à l’oreille de nos confrères du quotidien Het Nieuwsblad, laisse présager une riposte judiciaire de la part de l’ex-patron de Belgacom. Voici son déroulement probable, étape par étape.

1. Choisir la bonne juridiction. Lié à l’opérateur télécoms via un contrat d’indépendant, l’ex-CEO de Belgacom peut contester son licenciement devant le tribunal de commerce et y revendiquer les indemnités auxquelles il estime avoir droit. Didier Bellens peut aussi introduire un recours au Conseil d’Etat à l’encontre de l’arrêté royal actant sa révocation. Devant la juridiction administrative, il peut contester les motifs de son licenciement et tenter d’obtenir l’annulation ou la suspension de l’arrêté.

2. Agir vite. Au Conseil d’Etat, Didier Bellens peut introduire un recours en extrême urgence. Il doit alors démontrer que l’arrêté royal lui cause un préjudice grave et difficilement réparable. Un licenciement sec et sans indemnités, sans compter le discrédit jeté sur l’ex-patron, pourraient convenir… “Il y a de la jurisprudence en ce sens”, confie Eric Gillet, avocat spécialisé en droit public et managing partner de CMS DeBacker. S’il agit en suspension, Didier Bellens doit aussi invoquer des moyens sérieux à l’appui de sa demande et démontrer que les motifs de son licenciement sont erronés ou disproportionnés. “C’est une arme à double tranchant, estime Eric Gillet. Si le Conseil d’Etat rejette sa demande, c’est une victoire pour l’Etat, qui pourra s’en prévaloir devant le tribunal de commerce, même si celui-ci garde sa liberté d’appréciation. Par contre, si l’arrêté royal est suspendu, Didier Bellens est réintégré chez Belgacom.” Une autre procédure “express”, le référé devant les tribunaux de l’ordre judiciaire, est par contre exclue par les avocats que nous avons contactés. Il serait peu probable qu’un juge estime en référé qu’un “péril grave et imminent” justifie une décision rapide sur ce licenciement.

3. Contester le manquement grave. Les propos récents de Didier Bellens à propos de l’Etat belge, qualifié de “pire actionnaire” qu’il ait jamais connu, ont été jugés dénigrants voire injurieux par le gouvernement. Est-ce suffisant pour justifier le manquement grave et donc le licenciement sans indemnités ? “Tout dépend de ce qui figure dans son contrat, estime Sylvie Dubois, avocate associée chez Altius. Si le contrat est vague à ce sujet, ce sera difficile.” Le contrat de Didier Bellens n’est pas public. Pas sûr cependant qu’il contienne une liste des cas de manquements graves. “Parfois, les cas sont précisés. Mais je n’ai jamais vu de contrat d’indépendant stipulant que des critiques ou des insultes constituent un manquement grave”, souligne Gaël Chuffart, associé chez CMS DeBacker.

Autre difficulté : le gouvernement invoque à l’appui de sa démonstration une succession de faits plus anciens. Mais dans la jurisprudence, des manquements continus ne constituent pas forcément un manquement grave, qui est a priori un fait isolé. Au final, sur le fond, “c’est du 50/50”, estime Olivier Rijckaert, avocat associé chez Younity.

4. Plaider le dommage moral. Outre une indemnité de licenciement équivalente à un an de salaire, Didier Bellens peut demander des dommages et intérêts. Mais même si le tribunal lui reconnaît un “dommage moral”, il ne décrochera pas le gros lot. D’après nos sources, on se situe entre l’euro symbolique et 10.000 euros maximum.

5. Attaquer… et négocier. Introduire des recours n’empêche pas de chercher un accord à l’amiable. Les avocats des deux parties entameront plus que probablement des contacts discrets afin de régler le différend hors des prétoires. “Je serais extrêmement surpris qu’ils ne transigent pas, avance Olivier Rijckaert (Younity). A ce niveau-là, les deux parties ont tout intérêt à éviter un grand déballage.”

GILLES QUOISTIAUX

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