Quand le pinot noir parle allemand

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Le pinot noir, cépage rouge de Bourgogne, connaît un regain d’intérêt dans le Nouveau Mond et se perfectionne en Allemagne, où il porte le nom de Spätburgunder.

Le pinot noir est un cépage délicat. Dans le vignoble, il ne présente pas de caractéristique particulière : la vigne pousse normalement, sans grande différence extérieure notoire. Mais au stade de la vinification, on s’aperçoit immédiatement s’il a été bien cultivé pendant la saison de croissance. Pour une raison fort simple : le pinot noir a la peau très fine. Cela se voit d’ailleurs tout de suite dans le verre où le vin arbore toujours une jolie robe rouge clair.

Mais qui dit peau fine, dit peau moins riche en colorants mais aussi en tanins et autres substances. La plupart de ces substances appartiennent à la famille des polyphénols et ont des propriétés antioxydantes et bénéfiques en général. Le raisin de type pinot noir, moins bien protégé, donne un moût et un vin plus vulnérable que les cépages rouges à peau plus épaisse, comme le cabernet sauvignon aux tanins charnus et structurés ou la syrah, etc. Autrement dit, le pinot noir est plus délicat et davantage sujet aux “manipulations douteuses”.

La Bourgogne constitue une situation idéale pour le pinot noir, même si cela reste une donnée relativement arbitraire. Le bourgogne rouge est généralement considéré comme la meilleure expression du pinot noir mais le pinot noir de Nouvelle-Zélande, plus pur et moins influencé par la vinification, pourrait lui aussi constituer la norme. Il faut toutefois reconnaître qu’en Bourgogne le climat, le sol et les techniques – millénaires – de vinification permettent d’obtenir un résultat incomparable.

Troisième producteur mondial de pinot noir

Le pinot noir prospère également depuis des millénaires en Allemagne où il prend le nom de Spätburgunder. L’Allemagne est d’ailleurs actuellement le 3e producteur mondial de pinot noir, avec 12.000 ha de vignes.

Les techniques de vinification sont quasi semblables à celles pratiquées en Bourgogne. La différence réside essentiellement au niveau du sol et du climat. Non seulement le climat allemand est plus continental, donc plus chaud en été (avec des températures dépassant parfois les 35°), mais les vignobles s’étalent sur des terrains plus pentus, d’où une meilleure exposition des vignes au soleil et un moût d’une plus grande concentration.

La démarche des viticulteurs est quant à elle très différente. Pendant des années, les viticulteurs allemands ont produit un pinot noir dur, fin, quasi brûlé car ils avaient l’habitude de vendanger tardivement, quand la teneur en sucre des raisins était suffisante pour garantir une bonne fermentation, sans tenir compte du degré de maturation de la peau et des raisins.

Cette façon de faire était largement répandue en Europe, y compris dans le Bordelais et en Bourgogne, jusque dans les années 1980. Il ne fallait surtout pas que les raisins contiennent trop de sucre, ce qui provoquerait une fermentation anarchique avec une température trop élevée mais aussi un excédent de substances amères extraites des raisins – comme pour le thé ! – mais aussi avec interruption possible de la fermentation. Cette crainte s’expliquait essentiellement par l’incapacitéà contrôler la température pendant la fermentation, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Les raisins peuvent donc être récoltés plus tard jusqu’à ce que les peaux et les pépins soient parfaitement mûrs de manière à obtenir un vin plus doux aux tanins plus raffinés, de couleur plus stable et plus structurée.

L’obsession du sucre

Cette tendance à rechercher la maturité”phénologique” ne s’est pas encore vraiment imposée en Allemagne. En tout cas pas pour le vin rouge. Les Allemands expriment la maturité du raisin et sa teneur en sucre en degrés Oechsle. Vu les automnes et les hivers froids et rigoureux qui sévissent dans la plupart des régions viticoles et la maturité tardive du riesling, les viticulteurs cherchent toujours à produire des raisins riches en sucre. Cette obsession du sucre explique pourquoi les vins rouges allemands ont longtemps étéà la fois durs et légers. Mais les choses commencent à changer. Sensibles à ce qui se fait dans le reste du monde, les viticulteurs allemands laissent eux aussi les raisins de pinot noir mûrir plus longtemps. Le savoir-faire s’affine en règle générale.

Résultat : le titre alcoométrique est en hausse. Il faut savoir que les étés sont généralement plus chauds en Allemagne qu’en Bourgogne et que les raisins arrivent donc plus vite à maturité. Comme les étés sont plus chauds, la production de sucre dans le raisin est plus rapide car la photosynthèse est plus “rentable”à température plus élevée. Mais cela n’a rien à voir avec la maturation des peaux et des pépins. Du fait du réchauffement climatique, une tendance inverse se profile : les vins deviennent plus légers parce que la saison de croissance raccourcit. Dans de nombreuses régions viticoles, les vignes bourgeonnent plus tard et les raisins mûrissent plus vite qu’avant. Les vins sont plus alcoolisés mais moins structurés. Cela risque de poser problème à relativement court terme, problème que les viticulteurs devront résoudre dans les cinq à 10 ans.

Rheingau et Ahr

Deux régions d’Allemagne sont cependant célèbres pour leur Spätburgunder, nom local du pinot noir : la commune d’Assmannshausen dans le Rheingau et la petite région viticole de l’Ahr. Située entre Bonn et Coblence, la région de l’Ahr est assez nordique donc fraîche. Les coteaux s’étalent sur les pentes méridionales pour profiter du soleil au maximum. Mais la température ne grimpe jamais bien haut, condition essentielle pour obtenir des arômes charnus et un excellent potentiel de garde.

La situation est légèrement différente à Assmannshausen. Les vignobles sont orientés soit à l’ouest afin de jouir de la douce chaleur de fin d’après-midi, soit au sud mais plus en hauteur. Le meilleur vignoble, le Höllenberg, est orienté sud-est à 200-250 m. Les vins d’Assmannshausen affichent une teneur en alcool de 14 %, ceux de l’Ahr de 13 à 13,5 %.

Parmi les producteurs produisant les Spätburgunder les plus remarquables, citons August Kesseler à Assmannshausen. Ses pinots sont riches, puissants et très souples et font penser à certains pinots du Nouveau Monde, intensité de couleur en moins. Ses vins sont issus de vignes vieilles de 50 et 100 ans.

Dans l’Ahr, les maisons Meyer-Näkel et Jean Stodden valent incontestablement le détour.

Filip Verheyden

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