Pourquoi Ryanair traverse tant de turbulences sociales

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Ryanair subit une agitation sociale inédite depuis un an, avec des milliers de vols annulés, des grèves dans plusieurs pays et une contestation endémique chez ses pilotes, hôtesses et stewards. Tour d’horizon du pourquoi et du comment de cette grogne.

Question: Pourquoi la tension est-elle apparue au grand jour ?

Réponse: Pendant ses 30 premières années d’existence, la compagnie à bas coût irlandaise a fait taire les revendications de ses employés. Nombre de pilotes de Ryanair affirment que la direction obtenait leur silence par un cocktail au goût amer: statut d’auto-entrepreneur imposé à nombre d’employés, division du personnel en une multitude de ports d’attache et de conditions d’emploi, interdiction de toute activité syndicale.

L’intensification mondiale du transport aérien, en Chine, dans les pays du Golfe mais aussi en Europe a néanmoins créé un appel d’air pour les pilotes, courtisés par des compagnies prêtes à payer rubis sur l’ongle. Cette nouvelle donne a fait exploser les tensions chez Ryanair: des pilotes ont quitté la compagnie et ceux qui sont restés sont plus vindicatifs. Après avoir dû annuler des milliers de vols à partir de l’automne dernier, Ryanair a finalement engagé un virage à 180 degrés en décembre en se disant prête à reconnaître des syndicats.

Q: Où en est Ryanair avec les syndicats ?

R: Le directeur général de Ryanair Michael O’Leary et son équipe ont lancé une véritable révolution culturelle en engageant des discussions avec eux. Mais on ne change pas d’un claquement de doigts la culture d’une entreprise qui pendant des années ne s’adressait aux syndicats que par l’insulte.

“L’ampleur du changement pour Ryanair est importante”, explique dans un euphémisme Andrew Lobbenberg, analyste chez HSBC, dans une note récente consacrée à la compagnie. “Ryanair peine à gérer l’intégration des syndicats car sa direction n’a pas l’expérience de la négociation sociale”, dit-il simplement.

Depuis sa déclaration d’intention historique de décembre, Ryanair n’a reconnu officiellement des syndicats qu’au Royaume-Uni, en Italie et en Allemagne. Aucun accord n’a été entériné dans les autres pays où elle est présente.

Q: La direction fait-elle des concessions ?

R: Oui, Ryanair a accordé ça et là d’importantes revalorisations salariales et améliorations des conditions de travail. En Irlande, elle a accepté une médiation pour résoudre son conflit avec le syndicat local qui a permis, à l’issue d’une négociation marathon, de conclure un accord.

Mais ailleurs en Europe, elle n’a souvent pas répondu à la revendication centrale du personnel: l’octroi à tous les employés d’un contrat de travail stable et relevant du pays de résidence.

En outre, par ses faits et gestes la direction de Ryanair semble parfois versatile. Son directeur opérationnel, Peter Bellew, se montrait ainsi optimiste le 23 juillet quant aux discussions avec les représentants des pilotes irlandais, tweetant: “C’est bien de négocier. On essaie”. Deux jours plus tard, la compagnie annonçait cependant qu’elle pourrait délocaliser 300 emplois d’Irlande vers la Pologne, dont 100 pilotes. Avant d’accepter la médiation.

Q: De nouvelles perturbations sont-elles à prévoir ?

R: Le risque demeure au moins jusqu’à ce que la compagnie trouve un nouveau compromis social qui permette à la contestation de s’apaiser. En attendant, les pilotes et personnels de cabine semblent plus déterminés que jamais, libérés par la reconnaissance du fait syndical, l’organisation de premières grèves paneuropéennes et l’ouverture de négociations d’ampleur.

Ce rapport de force plus favorable aux employés semble néanmoins pousser la direction à accélérer les discussions pour sortir de l’impasse. L’accord conclu jeudi en Irlande montre ainsi “une détermination inédite de la direction à mettre un terme aux grèves”, juge Neil Wilson, analyste chez Markets.com. Pendant des années, la compagnie s’était enorgueillie de ne jamais faire l’objet de grèves et les récents conflits ont écorné son image de fiabilité.

Mais l’analyste prévient aussi que cette nouvelle orientation a un coût: la compagnie risque de ne plus profiter des marges opérationnelles fabuleuses qui en ont fait une enfant chérie des investisseurs pendant des années. Son action est en forte baisse de 23% sur un an dans ce contexte.

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