Pourquoi Bekaert dévisse en Bourse

En 2010, le titre du producteur de fil d’acier a affiché un gain de 125 % et était la star absolue de la Bourse mais aujourd’hui, c’est la douche écossaise : depuis le début de l’année, l’action a subi une perte de 30 %. La concurrence chinoise est impitoyable.

En dépit de la chute du cours, Bekaert reste une superbe entreprise, affirment les optimistes. C’est le leader du marché du fil de scie pour les panneaux solaires, un marché en pleine expansion – ne serait-ce qu’en raison de la fermeture des centrales nucléaires allemandes en 2022.

Bekaert reste aussi une entreprise de croissance exceptionnelle fortement axée sur les pays BRIC – Brésil, Russie, Inde, Chine – où elle s’est considérablement développée. Ces dernières années, elle a implanté des usines ou accru sa capacité de production dans ces quatre pays car c’est là qu’on prévoit la plus forte croissance de volume dans le marché automobile. Un pneu radial sur quatre contient du steel cord de Bekaert (fil d’acier à résistance élevée utilisé dans la fabrication de la carcasse radiale des pneumatiques).

En Inde, la capacité de production de l’usine locale a été quadruplée pour faire face à la demande actuelle et future : en 2015, l’Etat indien investira 36,8 milliards d’euros dans la construction de nouvelles autoroutes. Bekaert fournira le fil d’acier pour le renforcement du béton routier et des ponts. Au Brésil, où la nouvelle usine d’Itauna tourne à plein régime, Bekaert fournit du fil d’acier pour un pont de 3.595 m franchissant le Rio Negro, en Amazonie.

En 2010, près de la moitié du bénéfice d’exploitation venait de Chine, principalement générée par le marché des panneaux solaires. Bekaert fabrique aussi du fil d’acier pour d’autres usages, notamment pour les bouchons de champagne, les soutiens-gorges, le fil de fer barbelé et le béton. Avec 330 millions d’euros, la Belgique ne représente plus que 10 % du chiffre d’affaires.

Les investisseurs anglo-saxons vendent

En 2002, 80 % des actions librement négociables étaient entre des mains belges, les familles fondatrices de Bekaert en contrôlant 38 %. En 2010, le pourcentage belge avait fondu pour ne plus représenter que 20 % ; 16 % des actionnaires vivaient au Royaume-Uni et 20 %, aux Etats-Unis.

Les investisseurs étrangers étaient séduits par la croissance de Bekaert. Par ailleurs, le baron Paul Buysse a joué un rôle important dans le recrutement d’investisseurs anglo-saxons. Par le biais de ses fonctions de dirigeant de BTR et Vickers (1989-2000), le président du conseil d’administration de Bekaert a développé un imposant réseau à Londres.

Mais depuis le 1er janvier 2011, l’action Bekaert a perdu 31,2 % de sa valeur boursière. Le vendredi 10 juin, elle a carrément chuté de 8,5 % en une seule journée. Depuis lors, les investisseurs anglo-saxons ont inexorablement et massivement vendu leurs titres à Londres et New York, suite à un rapport critique de JP Morgan. Les analystes David Butler et Ben Defay leur ont en effet conseillé de prendre leur bénéfice.

Par ailleurs, le fil de scie, qui produit la majeure partie du bénéfice, se retrouvera sous pression dans les prochains mois. Selon les estimations du gestionnaire de fortune Petercam, 47 % du bénéfice d’exploitation récurrent consolidé de Bekaert sont générés par ce fil. Les analystes de JP Morgan évaluent cette proportion à plus de 40 %.

Le fil de scie est utilisé pour la découpe du polysilicium en gaufrettes ultrafines, qui constituent les éléments de base des panneaux solaires. Le bénéfice généré par ce fil jusqu’ici est provenu exclusivement de la filiale chinoise. L’an passé, la Chine a contribué pour 33 % au chiffre d’affaires consolidé de l’entreprise courtraisienne mais JP Morgan prévoit une concurrence agressive croissante de la part d’entreprises chinoises au cours des prochains mois. Pour y faire face, Bekaert devra réduire de 20 % ses prix pour le fil de scie, une adaptation qui pèsera sans nul doute sur son bénéfice d’exploitation.

En outre, d’importants clients réduisent fortement leurs subsides pour l’installation de panneaux solaires. En 2009, l’Allemagne avait une capacité d’énergie solaire de près de 10 millions de kilowatts, soit trois fois plus que le numéro deux, l’Espagne. Or, l’Allemagne sabre radicalement dans ses subsides. Cependant, Bekaert avait pressenti cette évolution négative.

“La croissance exceptionnelle de 2010 sera difficile à égaler parce que le marché est de plus en plus tributaire de la versatilité des programmes de stimulation et de la hausse de capacité”, avaient annoncé le président Paul Buysse et le CEO Bert De Graeve dans leur lettre aux actionnaires jointe au rapport de gestion 2010.

Hier un exemple, aujourd’hui un goinfre gênant

Bekaert s’en mord peut-être déjà les doigts mais en faisant ouvertement l’éloge de Xingda, l’entreprise belge a très fortement attiré l’attention sur sa consoeur chinoise en Occident. Quoi qu’il en soit, l’ascension fulgurante et les projets ambitieux de l’entreprise de Shanghai ont rapidement éclipsé des concurrents locaux comme Hubei Fuxing, Henan Hengxing et Shougang Concord Century.

Xingda International, qui est cotée à la Bourse de Hong Kong, preste extrêmement bien dans son métier traditionnel : la production de steel cord pour les carcasses de pneu de voiture et de camion. Le chiffre d’affaires du groupe a bondi de plus de 40 % l’an passé pour atteindre 591 millions d’euros tandis que le bénéfice net a progressé de 46 % pour se situer à 115 millions d’euros. On s’attend à ce que cette forte croissance se poursuive au cours des prochaines années.

Selon ses propres dires, Xingda parvient aussi à “chiper” des parts de marché à Bekaert aux Etats-Unis et en Europe dans le secteur du steel cord. L’an passé, le volume des ventes de Xingda a considérablement augmenté. Le fil radial pour camions, qui offre une marge bénéficiaire plus élevée que celui destiné aux voitures, était sa principale source de revenus.

Hélas pour Bekaert, Xingda, à l’instar de toute une série d’autres acteurs asiatiques, s’est récemment aussi lancé sur le marché du fil de scie, le coeur de l’activité de Bekaert en Chine. Et Xingda ne manque pas de confiance en soi. Son président Liu Jinlan a annoncé qu’il se faisait fort de faire de ce fil le futur moteur de la croissance de Xingda.

Il est logique que les producteurs de steel cord se jettent sur le marché du fil de scie car les marges bénéficiaires de ce produit sont nettement supérieures à celles du steel cord pour pneus. C’est évidemment embarrassant pour Bekaert que ses concurrents commercialisent leur fil à un prix inférieur. La plupart le vendent 5 à 10 % sous le prix de Bekaert. Xingda va encore un peu plus loin en pratiquant un prix inférieur de plus de 20 %.

“Je ne prévois pas de guerre des prix, nuance Stefaan Genoe, analyste chez Petercam. Xingda ne s’est pas non plus comporté de façon extrêmement agressive sur le marché des pneumatiques. Bekaert et Xingda détiennent chacun environ 35 % du marché chinois du steel cord. Les activités de Bekaert s’élargissent également et l’entreprise belge opère à un niveau beaucoup plus international.”

Bernard Hanssens, analyste auprès de la Banque Degroof, fait aussi remarquer que la rivale chinoise n’a pas non plus la vie facile pour l’instant. “Xingda n’est pas le problème. Son cours de Bourse a lui aussi réagi avec nervosité. Beaucoup de nouveaux concurrents sont apparus sur le marché. Et la question est de savoir comment les marges bénéficiaires évolueront. A court terme, l’incertitude règne et les marchés n’aiment pas ça.”

Selon Nic Van Broekhoven, gestionnaire de portefeuille chez Value Square, Xingda est plus que suffisamment armé contre la concurrence croissante. “Le bilan de Xingda est très solide. L’entreprise n’a presque pas de dettes et dispose d’une usine très moderne.”

Course endiablée sur les montagnes russes

Un producteur flamand de panneaux solaires est moins optimiste. Bekaert est certes l’une des grandes références sur le marché du fil de scie pour les panneaux solaires “mais les Chinois tirent toute la production à eux. Ils veulent être l’usine du monde. S’il y a surcapacité, une usine peut être fermée quelque temps sans qu’il y ait de pression pour le remboursement des emprunts”, commente-t-il.

Par ailleurs, il y a encore d’autres requins dans les eaux du canal Bossuit-Courtrai, près de l’usine Bekaert de Zwevegem : Tokyo Rope et l’entreprise familiale Tokusen, toutes deux originaires du Japon, ainsi que la coréenne Kitswire, qui ont fait une entrée résolue sur le marché du fil de scie.

La direction de Bekaert n’est toutefois pas ébranlée par les dernières perturbations boursières, souffle-t-on dans l’entreprise, pas davantage qu’elle ne l’a été l’an passé lorsqu’on a célébré dans une allégresse excessive les sommets inégalés atteints par le cours. L’action a acquis une visibilité internationale et avec un tel statut, elle fait l’objet de négociations importantes. Le mouvement prend parfois les allures d’une course endiablée sur les montagnes russes, comme c’est le cas aujourd’hui.

Bert Lauwers et Wolfgang Riepl

L’action Bekaert s’effondre à nouveau jeudi

L’action de Bekaert a dévissé de plus de 7 % jeudi sur Euronext Bruxelles, après avoir déjà subi de lourdes corrections au cours des semaines passées. Hier mercredi, l’action avait pourtant repris vigueur, avant de replonger ce jeudi. L’avertissement sur résultats lancé par le groupe chinois Shougang Concord Company, l’un des partenaires de Bekaert, est à l’origine de cette nouvelle crise de confiance. Sur le coup de 13h30, l’action Bekaert perdait encore 5,2 %.

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