“Pokémon Go permet d’évangéliser les investisseurs”

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De nombreuses start-up belges actives dans le secteur du jeu vidéo peinent à trouver des investisseurs qualifiés dans leur domaine. Face à ce constat, le fonds public St’art et les réseau BeAngels lancent “Learn & invest in gaming & apps”, des événements dédiés aux investisseurs intéressés par le secteur des jeux vidéo et des applications mobiles.

Le mardi 20 septembre avait lieu le premier déjeuner pour investisseurs ” Learn & invest in gaming & apps “. Réunissant 15 à 20 investisseurs, ces lunches se déroulent ainsi : une mise en contexte du secteur grâce à l’intervention d’experts et éventuellement d’entreprises qui ont déjà été financées, puis la présentation d’une start-up en recherche d’investissements. Ce premier événement accueillait Simon Alexandre, general manager de l’incubateur The Factory qui a investi dans l’entreprise de jeux vidéo Abrakam, Olivier Griffet, CEO d’Abrakam, et Nicolas de Kerchove, CEO de la start-up Apocalypse Hunter, qui lancera fin octobre le jeu géolocalisé qu’elle développe depuis deux ans.

Organisés par BeAngels et le fonds d’investissement public pour les industries créatives St’art, ces déjeuners pour investisseurs visent à donner aux participants les clés pour comprendre un secteur créatif, ses enjeux, ses tendances, ses opportunités et les business models qui y sont propres. ” Nous nous adressons à des investisseurs curieux, sensibilisés au fait que c’est un marché porteur et en croissance, qui viennent apprendre et chercher des opportunités “, explique Claire Munck, qui est à la tête de BeAngels. Il s’agit également de présenter en exclusivité des dossiers de start-up soutenues par St’art, afin d’encourager le cofinancement privé. ” C’est un domaine dans lequel nous avons investi très tôt : nous avons financé dès 2010 plusieurs studios dont Vetasoft, Fishing Cactus et plus récemment Abrakam. St’art est un fonds public, nous investissons à 50/50 avec des investisseurs privés. Business angels, capital risque, banques, crowdfunding, etc. L’objectif, à terme, est que des investisseurs privés prennent le relais. L’investissement public n’a pas pour vocation de se prolonger “, explique Virginie Cirvais, directrice générale de St’art.

Un secteur peu connu des investisseurs

” Nous avons lancé cette série de ‘Learn and invest in…’, car nous avons constaté que les investisseurs privés n’allaient pas du tout vers les secteurs de la créativité. Nos études sur l’investissement dans les industries culturelles et créatives montrent un vrai manque de connaissances et un manque de leaders dans le domaine. C’était le cas pour la mode, qui a été l’objet de nos premiers lunches, et c’est le cas pour les jeux vidéo “, estime Virginie Cirvais. Un constat que partage Claire Munck : ” Nous constatons qu’il y a de bons projets créatifs mais pas toujours les compétences au sein du réseau. L’objectif est donc de sensibiliser notre communauté à l’investissement dans les jeux vidéo, donner des outils et de bons réflexes à nos membres. ” BeAngels ambitionne également de susciter un effet d’entraînement et créer une communauté d’investisseurs dans le jeu vidéo belge. ” Nous souhaitons nous positionner comme un réseau qui s’intéresse à cela, nous rendre visibles et susciter l’intérêt d’investisseurs de référence dans le domaines. Un investisseur important qui se positionnerait pourrait être suivi par nos membres. Notre collaboration avec le réseau Anges Québec pourrait également permettre des passerelles, une ouverture vers l’international.”

Un marché en développement

” D’un point de vue économique, le jeu vidéo est la première industrie créative, elle dépasse le cinéma. D’ici 2019, on attend une croissance annuelle de 16 % sur le marché mondial du jeu mobile. Curieusement, la Belgique ne s’y est pas encore fort intéressée, s’étonne Virginie Cirvais. Pourtant, je suis persuadée que le pays peut se positionner. Nous avons de bons créatifs et de bonnes écoles. Et c’est une industrie nationale : la Wallonie a vu se développer des sociétés pionnières dans le domaine, la Flandre compte quelques beaux studios et des petites boîtes émergent à Bruxelles. Nous appelons de nos voeux le tax shelter pour les jeux vidéo. ”

Les événements ” Learn & invest in… ” ont lieu tous les trois mois. Ils sont dédiés en alternance à la mode et au jeu vidéo. Pour connaître l’agenda des prochains événements : www.beangels.eu ou www.start-invest.be

Par Lara van Dievoet.

Trois conseils avant d’investir dans une entreprise de jeux vidéo

Claire Munck, CEO de BeAngels

1. Bien comprendre le contexte dans lequel l’entreprise se positionne. S’agit-il de lancer un seul jeu, d’en développer plusieurs ? Comme pour tout investissement, il s’agit de mesurer le risque et la taille de l’opportunité.

2. Evaluer l’équipe. Connaît-elle bien le marché ? Réunit-elle les profils nécessaires ? Il ne suffit pas d’être de bons entrepreneurs, il faut une équipe talentueuse qui réunisse des compétences en termes de design, de programmation, de développement du jeu…

3. C’est un domaine dans lequel on peut changer de business model et évoluer très rapidement. Il est nécessaire de prendre en considération les opportunités d’internationalisation. C’est une donnée importante lors du financement : faudra-t-il rapidement réinvestir davantage, monter en charge ?

Apocalypse Hunters
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“Cela fait deux ans que nous travaillons sur notre plateforme de jeux géolocalisés. Tout le monde disait qu’on était fous. Et puis, Pokémon GO est sorti. Et les avis ont changé, on a vu qu’il y avait un marché”, se réjouit Nicolas de Kerchove, CEO d’Apocalypse Hunters. Le jeu pour smartphone se base donc sur la localisation de ses joueurs. ” Nous offrons davantage de fonctionnalités que Pokémon GO. Grâce à la géolocalisation, on peut par exemple faire un lien avec la météo de l’endroit où se trouve le joueur et lui donner une influence sur le jeu. Et on peut jouer à Apocalypse Hunter même quand on n’a pas envie de bouger ou que l’on est en pleine campagne. “Première start-up en recherche d’investisseurs à être présentée dans le cadre du “Learn & invest in gaming & apps”, Apocalypse Hunters est soutenue par St’art, qui en finalise actuellement le financement. Nicolas de Kerchove confirme la difficulté de financer le développement de jeux vidéo en Belgique : “Il manque un entrepreneur qui aurait réussi et qui réinvestisse”. L’équipe avait déjà bénéficié d’un premier investissement privé de 93.500 euros de la part de trois investisseurs belges et deux étrangers et estime avoir investi de son côté l’équivalent de 500.000 euros en heures de travail, en travaillant un an sans rémunération avant ce premier financement. “Nous avons la chance d’être suivis également par Google et Amazon, qui nous ont offert respectivement 20.000 et 5000 dollars en software, afin de nous permettre de mettre en place le back end du jeu, précise Nicolas de Kerchove. Ils nous offrent des outils afin que nous continuions avec eux en grandissant.”

Le jeu est gratuit et a pour source de revenus des micro-paiements à l’intérieur de la plateforme. Déjà disponible dans une version test aux Pays-Bas, en Corée du Sud et en Belgique, Apocalypse Hunters devrait être lancé au niveau mondial fin octobre. Avant cela, l’équipe, convaincue par la méthode lean, teste son jeu et en mesure l’utilisation pour s’améliorer. “Nous tentons de déterminer des pourcentages clés : Qui termine le tutoriel ? Combien de joueurs reviennent après un jour ? Et après sept jours ? Au départ, 45 % des nouveaux utilisateurs terminaient le tutoriel. Nous avons fait des changements et aujourd’hui, 71 % de ceux qui commencent le tutoriel vont jusqu’au bout.” Si Nicolas de Kerchove ne devait donner qu’un conseil aux entreprises qui se lancent dans le secteur, ce serait de tester leurs produits : “Le grand risque serait d’investir beaucoup dans un jeu dont personne ne veut.”

Sa plateforme développée, l’équipe d’Apocalypse Hunters envisage maintenant de développer son jeu géolocalisé sous d’autres licences et en y ajoutant des fonctionnalités supplémentaires. “On pourrait très bien imaginer un jeu Harry Potter qui utiliserait le même principe, par exemple. Cela nous permettrait de réaliser un jeu géolocalisé pour 80 % du prix de développement.”

Abrakam

“Ce qui nous a séduits chez Abrakam, c’est le couple équipe/jeu, explique Simon Alexandre, general manager de l’incubateur liégeois The Factory. Ils ont un produit original, un jeu de cartes couplé à un jeu de plateau. Un jeu de niche mais au potentiel international comséquent. A côté de cela, ils réunissent des compétences très complémentaires sur les éléments du jeu : artistique, logistique, déploiement, etc. Cette combinaison d’ingrédients nous a séduits.” En 2014, Abrakam a levé 1 million d’euros, en capital et en prêt, auprès de l’incubateur pour start-up technologique et fonds d’investissement The Factory (Belinvest) et des fonds d’investissement public St’art et Novallia. Un investissement qui a permis à la start-up de développer son jeu Faëria, qui devrait être disponible sur tablette à la fin de l’année et sur smartphone en 2017.

Avant de faire appel à des investisseurs publics et privés, l’équipe d’Abrakam avait bénéficié de trois autres sources de financement : un prêt de 40.000 euros du studio Fishing Cactus, une bourse de 60.000 euros de Boost’up Creative Wallonia et une campagne de crowdfunding fructueuse de 100.000 euros. “A l’époque, certains se sont étonnés que l’on soutienne un concurrent, note Laurent Grumiaux, directeur commercial de Fishing Catus. Mais nous développer sans un écosystème, un marché belge du jeu vidéo, n’a pas de sens.” Ce premier prêt a permis à Abrakam de se rendre dans des salons en Allemagne et aux Etats-Unis, afin de présenter son jeu aux joueurs. ” C’était une période assez épique, se souvient Olivier Griffet, CEO d’Abrakam. Nous avons investi tout ce que nous avions dans les ordinateurs et les stands. Mais nous avons senti l’intérêt des joueurs.” En novembre 2013, en période de test bêta, l’équipe lance une campagne de crowdfunding. Faëria récolte près de 100.000 euros auprès de 2600 personnes sur Kickstarter. “Au départ, nous avons naïvement pensé que nous pourrions continuer tout seuls, comme des grands, grâce au crowdfunding, explique Olivier Griffet. Mais nous avons décidé de ne pas continuer à développer Faëria uniquement sur Internet, mais de nous lancer sur PC, tablette et smartphone. En fait, le crowdfunding s’est révélé bien utile. Pas pour financer notre développement, comme nous le pensions, mais pour convaincre les investisseurs que notre produit fonctionnait.” Faëria rassemble aujourd’hui une communauté de 120.000 joueurs et a pour objectif d’atteindre 500.000 joueurs fin 2017.

Fishing Cactus
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Installé à Mons et fondé en 2010, le studio Fishing Cactus compte aujourd’hui 25 personnes et réalise un chiffre d’affaires d’environ 2 millions d’euros par an depuis 2014. Il s’est spécialisé dans le développement de jeux sur mobile et le serious gaming. En 2016, Fishing Cactus a réalisé une troisième levée de fonds de 700.000 euros auprès de Wallimage et Novo Belgium. “Trouver des investisseurs n’est pas plus facile aujourd’hui, constate Laurent Grumiaux, directeur commercial: nous avons mis plus d’un an à réaliser notre dernière levée de fonds. La plupart des investisseurs ne comprennent pas du tout notre métier. Nous avons un business model axé à 100 % sur le service et ils nous demandent par exemple quel est notre nombre d’utilisateurs. Ils ne comprennent pas ce qu’on fait.”

Cette levée de fonds correspond à une nouvelle stratégie de Fishing Cactus. Depuis un an, l’entreprise a décidé de changer de business model : “Après avoir réalisé la version mobile de jeux vidéo développés par d’autres entreprises, nous repartons vers une plus grande proportion de productions propres, pour lesquelles nous détenons la propriété intellectuelle sur l’univers et les personnages. Cela nous assure des revenus à plus long terme”. Une envie de se recentrer sur la création qui s’assortit d’un retour vers des jeux pour console et ordinateurs, après avoir misé sur le mobile : “Les jeux sur mobile, cela devient compliqué. C’est de l’ingénierie financière plus que de la création. Nous sommes trop petits, nous préférons centrer nos efforts sur les produits culturels, artistiques, une vraie réflexion, de la création, plutôt que de miser uniquement sur l’argent. Sur console et PC, c’est encore possible. Nous sommes en train de fuir le mobile. Nous voulons pouvoir être fiers de ce que nous faisons.”

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