Petit recensement des stratégies criminelles en entreprise

Surprenante, la vitesse à laquelle des entreprises tout ce qu’il y a de plus convenables peuvent atterrir dans la zone grise qui sépare les procédés licites des autres. Les méthodes de Ralph Lauren, Apple et Goldman Sachs, pour ne citer qu’elles, sont riches en enseignements.

Nick De Mey, gérant du cabinet de consultance Board of Innovation, est plongé depuis plusieurs semaines dans les ouvrages et les sites consacrés aux pirates somaliens, à la Camorra et à bien d’autres escrocs encore. C’est qu’il cherche, dans le cadre de la préparation d’un atelier consacré à la criminalité des entreprises, à recenser les méthodes extrêmes, auxquelles il entend confronter la politique de certaines firmes. Qui, estime-t-il, feraient bien de s’interroger sur leurs propres modèles et d’innover à plusieurs égards.

1. De la prohibition au conditionnement intelligent

Technique : vendre un produit défendu comme étant un produit autorisé

“Il est intéressant de relever l’émergence, au sein du circuit légal, d’une zone grise générée par la mise sur le marché de produits innovants”, commente Nick De Mey, citant l’exemple des Etats-Unis qui, soucieux de lutter contre l’alcoolisme, instaurèrent la prohibition (1920-1933), qui fit la fortune d’Al Capone (photo). “D’un jour à l’autre, des articles ”presque finis”, conditionnés dans un emballage intelligent, furent mis sur le marché. Je songe par exemple à cette boisson qui, n’étant pas du vin, était autorisée à la vente ; mais son emballage arborait la mention suivante : ”Evitez de conserver le produit pendant 22 jours, délai à partir duquel il se transformera en vin””.

La technique est appliquée aujourd’hui encore. Ainsi l’entrepreneur allemand Rudolf Hannot tire-t-il parti de la disparition annoncée, le 1er janvier, de la lampe à incandescence traditionnelle. En plus d’émettre de la lumière, l’ampoule à incandescence dégage de la chaleur : l’homme commercialise donc un produit appelé Heatball, vendu au titre d’appareil de chauffage électrique et pouvant également être utilisé comme source lumineuse. Rudolf Hannot qui, pour protester contre la réglementation européenne en la matière, voulait continuer à écouler ses Heatballs après le 1er janvier, en sera peut-être pour ses frais – le bras-de-fer avec les autorités et la douane, qui a saisi 10.000 unités, est en effet très rude.

2. Faux virus et vrais hackers

Technique : créer un problème dont on a la solution

Qui n’a jamais vu s’ouvrir sur son écran d’ordinateur une fenêtre annonçant que le PC est (soi-disant) infesté par un virus, mais que (fort heureusement) un logiciel existe pour lutter contre ce genre de désagréments ? L’utilisateur qui paie sera donc débarrassé de la vilaine petite bête. “Il s’agit d’un exemple parmi d’autres de la manière dont les criminels suscitent la crainte pour générer une demande”, analyse Nick De Mey.

Dans les années 1920, alors que la mauvaise haleine n’était pas encore un sujet tabou, les spécialistes du marketing mirent en avant une maladie (la “mauvaise haleine chronique”) pour vendre la Listerine, un nouveau bain de bouche. Le même exemple nous vient aujourd’hui du producteur américain de perfusions et de vaccins Baxter qui, en 2009, avait expédié par la poste à plusieurs laboratoires le virus de la grippe ordinaire croisé avec celui de la grippe aviaire, bien que l’envoi de souches par ce biais soit interdit. Si les choses avaient mal tourné – ce qui, heureusement, n’a pas été le cas -, une pandémie de grippe, contre laquelle Baxter disposait fort opportunément d’un vaccin, aurait éclaté.

3. Pirates somaliens et Apple

Technique : tirer profit de pratiques illicites

“En 2010, les pirates somaliens ont réclamé pour 140 millions de dollars de rançons, calcule Nick De Mey. Ces gens, qui vivent souvent dans des conditions difficiles, mettraient bien fin à leurs activités. Mais rien n’est fait pour les y aider. Est-ce une coïncidence ? L’an dernier, selon les estimations, les firmes de sécurité ont gagné 9 milliards de dollars et les compagnies d’assurances, 1,8 milliard de dollars, pour protéger les entreprises contre les pirates.”

Apple a appliqué exactement la même technique avec AppleCare, cette assurance à 99 dollars qui intervient en cas de problème technique. “Apple enregistre donc un double revenu. On peut se demander si elle ne devrait pas tout simplement fabriquer des produits de meilleure qualité.”

4. Contrefaçon et faux vrais produits

Technique : fabriquer un produit de moindre qualité et le vendre comme un original

Que la Chine et la Thaïlande aient fait de la contrefaçon des vêtements griffés un sport national, est bien connu. Mais ce que l’on sait moins, c’est que certains grands noms de la mode eux-mêmes marchent sur la corde raide ; c’est un reportage de l’émission Koppen, notamment, qui vient de dévoiler le pot aux roses. Entre les produits de luxe, onéreux et de haute qualité d’une part, et la contrefaçon bon marché d’autre part, une zone grise, que l’on doit au succès du déstockage ( outlet stores), existe désormais. Le déstockage consiste à proposer des produits haut de gamme originaux, à des prix relativement peu élevés. L’initiative a tellement de succès que les entreprises se sont mises à produire des vêtements spécialement pour ces magasins. Mais la qualité n’y est pas toujours. “En principe, un polo Ralph Lauren pèse 250 grammes, mais les polos que la marque fabrique pour le déstockage n’en pèsent que 200”, relève Nick De Mey. Si le déstockage est une véritable source de revenus pour ces grands noms (Ralph Lauren et Calvin Klein, par exemple, enregistrent près de la moitié de leur chiffre d’affaires de cette manière), il porte aussi atteinte à leur valeur. Au bras d’une adolescente lambda, le sac Louis Vuitton n’a plus la même touche d’exclusivité qu’auparavant.

Benny Debruyne

Le 24 novembre, Board of Innovation organise un atelier consacré au sujet. Renseignements : www.blackbusinessmodels.com

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