“Marks & Spencer présente ses excuses à la Belgique”

Après avoir déserté le pays en 2001, le roi britannique du prêt-à-porter est de retour. Son patron s’explique sur la grande boutique en ligne en français et en néerlandais lancée le 19 novembre. Bientôt un magasin “en dur” ? Pas dans l’immédiat. Mais “il ne faut jamais dire jamais”…

Ce n’est pas tous les jours que le grand patron d’une multinationale présente ses excuses à la Belgique ! C’est pourtant la première chose que Marc Bolland, le CEO de Marks & Spencer (M&S) a faite, lors de l’entretien exclusif qu’il a accordé à Trends-Tendances. “Je tiens à m’excuser au nom de Marks & Spencer pour avoir quitté le pays de manière précipitée en 2001. J’espère que les Belges réserveront un bon accueil à notre retour.” Une décision que ce Néerlandais arrivé en mai 2010 à la tête du groupe britannique tient à assumer, estimant “être aussi bien responsable du présent que du passé de M&S”.

On s’en souvient, c’est en effet le Belge Luc Vandevelde qui avait décidé de recentrer l’enseigne, en grosses difficultés financières, sur son marché domestique et de quitter le continent. Avec pertes d’emplois et fracas médiatique. En Belgique, 315 emplois dans quatre magasins (Bruxelles, Liège, Anvers et Wijnegem) étaient ainsi passés à la trappe. Pressenti depuis deux ans, le retour de la chaîne préférée des Anglais sur le plat pays est une réalité depuis le lundi 19 novembre. Mais ce come-back n’est peut-être pas celui que les fans de l’enseigne avaient imaginé. Il s’effectue sous forme virtuelle. Comme il l’a fait en France avant de rouvrir des magasins physiques voici un an, M&S a lancé, lundi, sa boutique en ligne belge. Pourquoi ce retour ? “Nous pensons que M&S a changé depuis 10 ans, de même que la Belgique.” Depuis 18 mois, Marc Bolland a engagé l’enseigne dans un plan de transformation visant à la faire passer d’une chaîne de distribution britannique traditionnelle à un distributeur international multi-canal, à la pointe en matière de commerce électronique. Pour l’épauler dans cette tâche, il a débauché Laura Wade-Gery, spécialiste en la matière du groupe Tesco.

TRENDS-TENDANCES. Vous venez d’ouvrir une boutique en ligne pour la Belgique. Cela augure-t-il un retour des magasins M&S dans le pays ?
MARC BOLLAND. Nous n’avons pas actuellement de projets de rouvrir des points de vente en Belgique. Nous revenons sur le marché belge avec un site internet comme nous le faisons en même temps en Allemagne, en Autriche et en Espagne. Le monde a changé fortement, comparé à il y a 11 ans. Le commerce électronique est en plein boom en Belgique : 81 % de la population belge est connectée alors que la moyenne européenne est de 68 %. C’est la raison pour laquelle nous revenons sur le marché avec un site internet et non pas avec des magasins.

Le site va-t-il servir de test ou votre décision de ne plus ouvrir d’enseigne en Belgique est-elle définitive ?
Ce n’est certainement pas un test car nous pensons que notre futur et celui des consommateurs se situent en ligne. Mais il ne faut jamais dire jamais, ce n’est pas sage dans le monde des affaires. D’après nous, le site internet est la meilleure manière de revenir en Belgique actuellement.

Quelles sont les principales différences avec votre site anglais, déjà fréquenté par de nombreux Belges ?
La version belge est adaptée au public local. Les informations sont indiquées en français et en néerlandais. Nous avons aussi estimé important que les achats puissent être réglés en euro, avec une carte de banque (Bancontact) ou une carte de crédit. En termes d’assortiment, le site propose environ 15.000 articles issus de notre catalogue international : des accessoires pour la maison et la gamme de vêtements (pour hommes, femmes et enfants) que nous vendons dans le monde entier. Un exemple : les consommateurs belges pourront ainsi disposer d’un choix inédit d’articles en lin au printemps et en été grâce à la collection que nous avons développée pour les pays du Golfe.

Combien de Belges achètent déjà sur votre plateforme électronique ? Nous n’avons pas de chiffres. Mais si nous investissons le marché belge, c’est parce que les Belges figurent déjà parmi les 10 nationalités qui achètent le plus sur notre site (www.marksandspencer.com). Nos études nous ont montré que la marque M&S jouissait toujours d’une forte notoriété en Belgique et que les Belges appréciaient nos articles en cachemire notamment, et le style britannique.

Quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés ? Nous n’avons pas individualisé nos objectifs de vente par marché. Mais dans notre programme étalé sur trois ans, nous avons l’ambition de doubler nos ventes en ligne et d’ainsi passer de 500 millions à 1 milliard de livres. Il y a 18 mois, nous vendions en ligne dans le monde au départ de notre plateforme britannique. En 2011, nous avons lancé une version française de notre site. Au début de l’année, ce fut le tour de l’Irlande et à présent, c’est celui de la Belgique, de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Espagne. D’ici mars 2013, nous devrions avoir atteint notre objectif qui était de compter une présence virtuelle locale dans 10 marchés.

Pensez-vous être assez compétitifs par rapport à Amazon qui livre aussi des vêtements, mais gratuitement ?
L’assortiment est différent. Les marques que vous trouvez chez Amazon, vous pouvez les trouver ailleurs tandis que la marque Marks & Spencer, vous ne la trouverez que chez nous.

Pourquoi ne pas vendre vos produits alimentaires en Belgique ?
La difficulté, pour la vente d’alimentation sur l’Internet, c’est la rentabilité. Vous avez besoin d’un panier d’au moins 100 livres (125 euros) par commande pour être rentable. C’est difficile à atteindre. Pour beaucoup de gens, nous sommes un supermarché alimentaire de spécialités par opposition à des supermarchés de tous les jours. En outre, nous sommes cinq fois plus innovateurs que nos concurrents, nous lançons de nombreuses nouveautés. Sur Internet, les gens ont une liste d’achats pour la semaine et ils ne cherchent pas forcément à surfer une demi-heure pour trouver des produits originaux. Pour les autres c’est plus pratique de se rendre dans les magasins…

C’est pour cela que nous aimerions vous voir ouvrir des magasins en Belgique.
(rires). Merci pour le compliment…

Est-il exact que vous ne réalisez encore que 5 % des ventes sur Internet ?
En effet, si l’on prend en compte tout notre assortiment, y compris l’alimentaire, que nous ne vendons pas en ligne et qui représente 50 % de nos revenus. En non-alimentaire, Internet représente déjà 10 à 12 % de nos ventes. Et cette activité en ligne croît d’environ 20 % par an.

Vous utilisez l’infrastructure d’Amazon ?
Nous utilisons la plateforme Amazon pour faire fonctionner techniquement nos activités d’e-commerce. Nous sommes en train de changer et de développer notre propre architecture, Nous commençons avec les développements internationaux, comme la Belgique. Notre site au Royaume-Uni fera la bascule lui en 2014. C’est un peu comme si l’on passait de la location à la possession d’une voiture.

Quelle est l’importance de l’investissement dans le nouveau service d’e-commerce ?
La reconstruction du service d’e- commerce, avec la nouvelle plateforme, représente un investissement de 150 millions de livres (187 millions d’euros). La seule société qui a entrepris un changement de cette ampleur est Target, un grand distributeur américain, qui a aussi quitté la plateforme Amazon, et qui a investi une somme à peu près identique. Nous avons du reste des contacts avec eux sur le sujet.

Pourquoi renoncez-vous à l’infrastructure Amazon ? Pour des raisons de coûts ou de concurrence ?
Surtout pour des raisons concurrentielles. Quand un business va approcher le milliard de livres de ventes, vous devez vous assurer d’être suffisamment flexible pour suivre la croissance. Il vaut mieux posséder une maison plutôt que de la louer, si vous voulez l’adapter.

Vu que vous travaillez avec Amazon, il connaît vos chiffres de ventes ? Non, nous n’avons aucune coopération commerciale, c’est purement de la location d’infrastructure. Vous dites qu’Amazon est un grand acteur qui propose d’acheter différentes marques sur Internet. Mais notre marque est importante aussi. Nous n’avons pas besoin d’Amazon pour attirer des clients.

Avec votre nouveau site belge, vous cherchez à attirer un public plus jeune ?
Le site attire un public assez large. Nous avons constaté ces deux dernières années que le public de l’e-commerce s’est fortement élargi, notamment avec le succès de l’iPad. Il comprend des catégories d’âge très différentes. Nous sentons que le public que nous touchons est jeune. Prenons l’exemple de la lingerie : une femme sur trois au Royaume-Uni achète ses sous-vêtements chez nous. Cela nous permet de proposer des produits de qualité à des prix intéressants. Nous travaillons avec un super mannequin britannique, Rosie, pour laquelle nous avons développé une collection propre, qui comprend des centaines de milliers d’articles. Je suis sûr que quand on proposera cette collection sur le site belge, elle intéressera de nombreuses jeunes femmes belges.

Allez-vous mener des actions promotionnelles pour votre retour en Belgique ?
A l’occasion du lancement de notre site, nous proposons des offres promotionnelles et des livraisons gratuites (Ndlr, le tarif pour une livraison dans les trois à cinq jours ouvrables est de 4,95 euros) ainsi qu’une remise de 20 % pour les clients qui se sont abonnés à notre newsletter avant le lancement.

Prévoyez-vous des applications pour l’iPhone, l’iPad et les appareils fonctionnant sous Android ?
Oui à très court terme. Notre site est prévu pour fonctionner sur l’iPad.

Hormis la France, vous ne projetez pas de nouvelles ouvertures de magasins en Europe continentale ?
Non, rien dans l’immédiat. Nous estimons que la meilleure manière d’entrer dans les marchés comme la Belgique est un magasin en ligne. La Belgique fait partie du Top 10 des pays où la progression de l’Internet est la plus forte.

Vous vous concentrez sur les marchés émergents pour l’expansion physique ?
Oui, car le commerce électronique y est nettement moins développé. Nous sommes en train de multiplier les ouvertures en Inde et en Chine, plus particulièrement à Shanghai et au Moyen-Orient.

Pourquoi réussiriez-vous votre retour en Belgique alors que vous avez échoué il y a 11 ans ?
Parce que les goûts sont assez proches entre la Grande-Bretagne et la Belgique. Nous avons aussi constaté dans les e-mails et les réactions sur Internet que la marque est encore très demandée en Belgique.

La logistique sera organisée depuis la Grande-Bretagne ou sur le continent ? Des Belges travaillent-ils avec vous ? Des Belges participent à l’édition du site belge, comme des Français participent au site français, pour l’animation locale, les promotions, le suivi du contexte commercial local, comme les fêtes ou les congés.

MARC BOLLAND, bio express

Naissance le 28 mars 1959 aux Pays-Bas.

MBA à l’Université de Groningen.

1987 : débute sa carrière chez Heineken.

2005 : COO d’Heineken.

2006 : CEO de la chaîne de supermarchés britannique Morrisons.

2008 : nommé “Homme d’affaires de l’Année” par le Times.

Depuis mai 2010 : CEO de Marks & Spencer.

M&S C’EST… Une chaîne de magasins de prêt-à-porter fondée au Royaume-Uni en 1884.

Plus de 740 magasins au Royaume-Uni.

400 magasins dans 49 marchés à travers l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie.

20 millions de clients par semaine dans les magasins.

3,4 millions de visiteurs par semaine sur le site britannique.

Un chiffre d’affaires (pour 2011/2012) de 9,9 milliards de livres (12,3 milliards d’euros) pour un bénéfice opérationnel de 810 millions de livres (1 milliard d’euros).

Plus de 81.000 employés à travers le monde.

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