Les stratégies des enseignes pour gagner la guerre des foires aux vins

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Lancé chez nous dans les années 1990 par Cora, le concept des foires aux vins a été repris par l’ensemble des acteurs de la grande distribution. Cette vente annuelle de bouteilles à prix cassés est en effet une manne pour les grandes surfaces qui réalisent près de 20 % de leur chiffre d’affaires “vins” à cette occasion.

La rentrée scolaire, les fêtes… C’est bien connu, certaines périodes de l’année revêtent une importance particulière pour la grande distribution. Les foires aux vins qui se tiennent chaque automne dans nos grandes surfaces font partie de ces moments stratégiques. On estime qu’environ un cinquième du chiffre d’affaires annuel du rayon vins des grands distributeurs est réalisé à cette occasion. Mais pas question d’en savoir davantage sur l’impact financier de ces rendez-vous viticoles. La concurrence est telle qu’aucun distributeur ne communique de chiffres précis. “En temps normal, la plupart des gens achètent des vins à moins de 7 euros, relève Claude Boffa, expert en distribution à la Solvay Brussels School (ULB). Ces foires sont l’occasion pour les distributeurs de vendre des vins à un prix nettement supérieur. En raison des promotions, les magasins font très peu de marge sur chaque bouteille vendue, mais c’est le volume qui compte.”

Initié en France où les premières dégustations de vins en grande distribution sont organisées dès les années 1970 par les magasins E. Leclerc, le concept fait irruption chez nous bien plus tard. Nous sommes en 1994 lorsque Cora lance sa première foire aux vins. “Le principe était déjà le même, explique-t-on du côté de l’enseigne du groupe Louis Delhaize. Sauf que les dégustations étaient alors organisées dans des lieux extérieurs comme des fermes par exemple. Depuis une dizaine d’années, nous les organisons au sein même de nos galeries commerciales, sauf à Bruxelles, où elles ont lieu au Cinquantenaire. En ce qui concerne la foire aux vins en tant que telle dans nos magasins, elle était à l’époque beaucoup moins ouverte sur le monde. Au fil des ans, nous sommes devenus moins franco-français.”

Un enjeu d’image

Depuis cette première foire, chaque enseigne s’est lancée dans l’aventure. C’est qu’à l’enjeu commercial évident de ces grandes braderies vient se greffer un autre enjeu majeur : la gestion de l’image. “Les distributeurs voient dans leurs magasins des gens qui n’y vont jamais en temps normal, explique Claude Boffa. C’est le cas par exemple du cadre supérieur qui ne va jamais chez Cora mais qui en franchira la porte à cette occasion pour repartir avec un caddie rempli de bouteilles.” Il n’est pas rare, en effet, de voir des clients faire quelques infidélités à leur enseigne fétiche après avoir repéré de bonnes bouteilles chez un concurrent. Les distributeurs le savent et mettent donc tout en oeuvre pour séduire ces nouveaux venus qui pourraient bien faire l’ensemble de leurs courses sur place et — qui sait ? — revenir.

A titre d’exemple, le message envoyé par Lidl à travers sa foire aux vins est on ne peut plus révélateur de cette stratégie qui consiste à faire de cet événement un produit d’appel. Concurrencé par les marques premiers prix des autres enseignes, le discounter allemand est en train de se repositionner comme un supermarché de proximité capable de proposer des produits diversifiés aux familles. “Notre sélection 2015 comprend 29 références françaises allant de 5 à 20 euros, explique Julien Wathieu, porte-parole. Cela correspond parfaitement à notre nouvelle stratégie qui consiste à viser les familles.” “La foire aux vins organisée par Lidl a clairement pour but d’attirer de nouveaux clients, assure Claude Boffa. Elle contribue à effacer les excuses pour lesquelles les réticents ne fréquentaient pas l’enseigne jusqu’à présent.”

Le défi de la différenciation

Alors que chaque enseigne organise sa foire aux vins en même temps, le défi pour nos distributeurs est bien entendu de singulariser au maximum l’événement. Chacun pose donc des choix stratégiques en termes de taille d’assortiment, de provenance des vins, d’organisation d’événements connexes ou encore d’utilisation du Web.

En matière d’assortiment, il y a ceux comme Cora, Carrefour ou Delhaize qui misent sur la quantité avec respectivement 500, 400 et 160 références en promotion hors assortiment permanent. Puis viennent Colruyt et Lidl. Les deux discounters ont décidé de se centrer sur un nombre limité de références : 29 pour le premier, une cinquantaine pour le second. “L’année dernière, nous avions environ 80 références, précise-t-on chez Lidl. Mais cette année, nous avons souhaité cibler davantage les familles et proposer une sélection claire.” Même son de cloche chez Colruyt. “Le choix ne doit pas être aussi complexe que le reste de l’année, assure Jean-Christophe Verschelde, responsable de la promotion des vins. On essaie d’aiguiller les clients. C’est aussi lié au profil du client Colruyt qui aime faire ses courses rapidement. Et puis avant, quand nous avions plus de choix, nous nous retrouvions chaque fois avec du surstock.” A noter que Colruyt propose surtout des articles de son assortiment permanent. “Nous avons une offre stable, précise le responsable. Des articles récurrents que les clients peuvent découvrir durant l’année mais à des conditions avantageuses lors de la foire. Nous ne cherchons pas des vins découvertes.”

En ce qui concerne la provenance des vins, là aussi, on remarque certaines différences. De manière générale, la France est surreprésentée. “Si les grandes surfaces se sont un peu ouvertes aux vins du monde, ça reste malgré tout majoritairement français, confirme le sommelier Eric Boschman. La distribution a bâti sa réputation sur les grands bordeaux.” De toutes nos enseignes, c’est Delhaize qui joue le plus la carte de l’ouverture, avec notamment des nouveautés de Turquie, de Moldavie, d’Argentine et d’Afrique du Sud. “Delhaize est par ailleurs le plus gros vendeur de vins portugais”, souligne Eric Boschman. Pointons également Cora qui a dégoté cette année un vin israélien. Une stratégie d’ouverture qui pourrait bien se révéler gagnante. “Les vins du Nouveau Monde prennent des parts de marché, assure Dirk Rodrigez, rédacteur en chef de Vino ! Magazine. La nouvelle génération est plus ouverte d’esprit et davantage tournée vers des vins de plaisir, à boire directement. Peu importe, donc, si le bouchon est un bouchon à vis.”

Séduire les femmes

Au-delà des vins, chaque enseigne organise toute une série d’événements connexes pour se différencier. Si toutes se sont lancées dans les séances de dégustation et de conseil, certaines ont mis sur pied des rendez-vous un peu plus inattendus. C’est le cas de Carrefour et de sa Lady’s Night pendant laquelle les femmes peuvent profiter de conseils “choco- oenologiques” permettant d’associer vin et chocolat. “Les femmes achètent beaucoup de vin, mais les dégustations sont souvent très masculines, explique Baptiste van Outryve, porte-parole. Nous avons voulu prévoir un rendez-vous seulement pour elles.”

Enfin, chaque enseigne a intégré le Web dans sa stratégie vin. Toutes proposent de retrouver l’ensemble des références sélectionnées pour l’événement sur leur site dédié au vin ou leur plateforme d’e-commerce habituelle. Seul Carrefour ne propose qu’une sélection des références sur son drive.be. Mais l’enseigne française se rattrape avec un site spécialement créé pour l’occasion et qui explique notamment la manière dont se déroulent les concours à l’issue desquels tel ou tel vin reçoit une médaille. Enfin, Colruyt et Delhaize jouent la complémentarité et proposent de retrouver en ligne des vins exclusifs, non disponibles dans les rayons, mais plus chers.

JÉRÉMIE LEMPEREUR

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