Les milliardaires au chevet de la presse “malade”

Le journal Le Monde a reçu plus d'un million de dollars de la fondation Bill et Melinda Gates, entre autres donateurs. © BelgaImage

Les milliardaires et leurs dons peuvent-ils sauver la presse? En quête d’un nouveau modèle économique, dans un contexte de défiance du public, de nombreux médias acceptent le soutien de fondations, un partenariat qui peut néanmoins soulever des questions éthiques.

Plus de 13 milliards de dollars ont été distribués dans le monde ces dix dernières années autour d’enjeux liés à l’information, selon l’ONG américaine Foundation Center. Alors que les revenus publicitaires s’écroulent, que les journaux rapetissent, ferment, ou sont rachetés, le financement des médias par le don est devenu habituel aux Etats-Unis, comme dans la santé et l’éducation.

Le thème était débattu ce week-end au 13e Festival international du journalisme de Pérouse (Italie), où de nombreux médias et institutions viennent réfléchir à leur avenir mais aussi chercher des fonds.

“Le journalisme indépendant et basé sur les faits est menacé dans le monde entier. Cela a poussé beaucoup de gens à nous soutenir”, a souligné lors d’une conférence Vivian Schiller, l’ex-dirigeante de la radio publique américaine NPR, qui avait reçu un don record de 200 millions de dollars de la veuve du fondateur de McDonald’s.

Ajoutés aux contributions de lecteurs et d’autres donateurs, ces sommes faramineuses font revivre, aux Etats-Unis, une presse locale de plus en plus éclatée et permettent de mener des enquêtes au long cours sur des sujets négligés. Le développement de moyens de lutte contre les infox et la recherche de nouveaux modèles économiques stables pour la presse sont aussi des priorités.

– “Renvoyer l’ascenseur” –

En France, où l’Etat soutient déjà la pluralité de l’information, le journal Le Monde a également reçu plus d’un million de dollars de la fondation Bill et Melinda Gates, entre autres donateurs, pour son site Le Monde Afrique. Les époux Gates ont aussi contribué indirectement à la publication des Panama Papers, en soutenant le consortium international des journalistes d’investigation.

En Ukraine, au Tadjikistan, en Afrique de l’Est, la fondation Open Society de George Soros appuie aussi des médias ou des ONG actives dans l’information.

Craig Newmark, le fondateur milliardaire du site Craig’s List, a donné 20 millions de dollars au site The Markup, qui enquête sur la haute technologie. Celui qui a transféré sur internet les petites annonces qui faisaient vivre les journaux locaux a désormais une école de journalisme à son nom à New York et cofinance le festival de Pérouse avec Google et Facebook.

“Une presse digne de confiance sert de système immunitaire à la démocratie”, souligne Craig Newmark. “Et ceux qui ont été chanceux doivent renvoyer l’ascenseur”.

Comment mesurer l’effet des fonds versés? “Je ne sais pas encore, je continue d’apprendre”, dit-il à l’AFP.

Ces effets éventuels sont très débattus Les milliardaires sont soupçonnés de vouloir améliorer leur image, mais surtout de pousser un agenda politique qui reste flou.

Le sociologue américain Rodney Benson s’inquiétait dans un article en 2017 du risque pour les médias de se faire “embrigader dans l’agenda politique des fondations, et d’être moins en mesure d’enquêter sur les thèmes qu’ils jugent importants”.

– Vigilance et transparence –

“Nous essayons de construire des sociétés plus fortes dans les pays où nous travaillons”, avance Nishant Lalwani, de la fondation Luminate du créateur d’eBay, Pierre Omidyar. “Nous travaillons surtout dans des pays où il est difficile de réformer les régimes politiques, même si les médias sont indépendants”.

Les fondations attribuent de nombreuses bourses sur concours, auxquels les médias et les journalistes ont appris à candidater.

Mais les plus grands partenariats entre fondations et médias s’établissent de façon informelle, avec parfois l’intervention d’intermédiaires de confiance. Adam Thomas, directeur du Centre européen pour le journalisme, une ONG qui conseille et forme les journalistes, en est un.

Selon lui, le financement des fondations fait évoluer le rôle des journalistes.

“Certains pensent qu’ils n’ont pas pour mission de changer quoi que ce soit, que leur rôle est de rester neutre. Mais de plus en plus de journalistes réfléchissent à leur impact sur la société et considèrent qu’ils jouent un rôle actif dans son évolution”, dit-il.

L’ex-rédacteur en chef du Guardian, Alan Rusbridger, reconnaît que, comme pour le modèle actuel basé sur la publicité, les journalistes doivent être vigilants, mais “si vous avez des règles et que vous êtes transparent, ça ne devrait pas être un problème”.

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