Les Etats-Unis sont-ils le dernier paradis fiscal ?

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Les Panama Papers ont mis paradoxalement en lumière la fiscalité très coulante des Etats-Unis pour les patrimoines étrangers. Serait-ce une bonne idée de franchir l’Atlantique avec son argent ? Certains le pensent. Mais à moins d’être ” clean “, les fiscalistes le déconseillent fortement.

Plus de 11 millions de fichiers, de 210.000 sociétés offshore démasquées, les noms de plus de 14.000 bénéficiaires dévoilés… les Panama Papers ont constitué un grand coup de pied dans la fourmilière des paradis offshore. Ces révélations ont secoué pas mal de monde, mais elles ont eu aussi un effet collatéral inattendu : attirer l’attention sur le comportement des Etats-Unis. Un pays très dur à l’encontre de ses fraudeurs réfugiés à l’étranger, mais très accueillant à l’égard des patrimoines étrangers cherchant des cieux plus cléments. Alors, les Etats-Unis seraient-ils le dernier refuge fiscal ?

Le paradoxe américain : entre l’enfer…

Pourquoi aussi peu d’Américains (211) ont-ils été pris dans les filets des Panama Papers ? L’usage des paradis fiscaux par les contribuables américains serait-il moins important qu’en Europe ? Peut-être. En réalité ce sont surtout les entreprises américaines qui utilisent les avantages des paradis fiscaux, comme le souligne Gabriel Zucman, professeur d’économie à Berkeley et auteur en 2013 d’un livre sur les fortunes placées offshore (La richesse cachée des nations, coédition Seuil-La République des Idées). ” Les ménages américains placent environ 4 % de leur richesse financière dans les paradis fiscaux, ce qui correspond à 1.200 milliards de dollars (la moyenne mondiale de patrimoine placé offshore est de 8 %, Ndlr). C’est loin d’être négligeable, avance Gabriel Zucman. Mais la façon principale dont les Etats-Unis utilisent les paradis fiscaux, c’est via la délocalisation artificielle et massive des profits des multinationales (Apple, Google, Amazon, etc.) vers les Bermudes, les îles Caïman, etc. ”

Si les contribuables américains font un usage modéré de l’offshore c’est surtout parce qu’ils craignent leur administration fiscale. ” Les sanctions du fisc américain sont extrêmement lourdes, explique Jean-Marc Goossens, avocat spécialisé dans les investissements internationaux. Une fois que vous êtes dans le collimateur du fisc, il ne vous lâche pas. Les fraudeurs encourent des peines de prison de 20 ans, voire bien davantage car les peines peuvent s’additionner. ”

L’arsenal antifraude américain a en outre été renforcé depuis 2010, avec l’adoption du Fatca (Foreign Account Tax Compliance Act). Cette loi américaine impose en effet aux banques des pays qui désirent encore faire des affaires avec l’Oncle Sam de coopérer avec le fisc américain. Les banques étrangères doivent désormais livrer aux autorités américaines les informations qu’elles possèdent sur leurs clients américains (comptes, avoirs, versements de dividendes, intérêts, etc.) sous peine de ne plus pouvoir faire de transactions en dollars, ce qui signifierait leur arrêt de mort.

Les établissements suisses se sont d’ailleurs rendu compte, non sans douleurs, que les Etats-Unis étaient disposés à mettre toute leur puissance en oeuvre pour faire revenir l’argent au bercail. Les banques suisses ont dû en effet l’an dernier faire une croix sur la confidentialité qu’elles garantissaient jusque-là à leurs clients américains. Les banques (UBS et Credit Suisse notamment) qui avaient aidé les fraudeurs américains ont en outre été obligées de payer de lourdes amendes.

… et le paradis

” Mais, et c’est là qu’est le paradoxe, les Etats-Unis, qui exigent tant d’informations de l’étranger, sont en revanche très peu disposés à en donner “, observe l’avocate fiscaliste Sabrina Scarnà. Ainsi, les Etats-Unis refusent-ils pour l’instant de faire partie du vaste système d’échange d’informations, baptisé CRS (Common Reporting Standard) et qui devrait améliorer la transparence fiscale au niveau mondial. CRS est en effet une norme selon laquelle une centaine de pays vont bientôt échanger leurs informations sur les détenteurs des comptes bancaires, les soldes de ces comptes et les revenus qui y sont versés. Cet échange concerne l’ensemble des clients des banques de ces pays, peu importe leur nationalité : les particuliers, mais aussi les trusts, les fondations, etc. Le système, baptisé parfois ” Fatca mondial ” parce qu’il est dérivé des infrastructures qui ont dû être mises en place pour répondre à la loi Fatca américaine, débutera dès l’an prochain entre les Etats membres de l’Union européenne (sur la base donc des revenus et des données de cette année).

La transparence fait d’immenses progrès au niveau européen, et sans doute mondial. Mais du côté américain, on se contente toujours de répondre aux demandes des administrations fiscales étrangères au cas par cas, et cet échange est très lacunaire. ” Les Etats-Unis s’engagent seulement à faire ‘de leur mieux’ pour transmettre des informations. Ils n’ont pas d’obligation de résultat “, regrette Pascal Saint-Amans, le directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE (le club des pays riches), organisation qui est à l’initiative du CRS.

Depuis une dizaine d’années, les diverses administrations américaines qui se sont succédé promettent d’améliorer les choses. Mais elles buttent, à chaque fois, contre un vaste lobby. ” Le problème c’est que le Congrès (dominé par des fanatiques anti-taxes) bloque toute action législative, explique Gabriel Zucman ; l’exécutif aimerait pouvoir forcer des Etats comme le Delaware à la transparence. Mais ce qui peut être fait par la voie exécutive est limité : pour faire changer vraiment les choses, il faut des lois. ” Cette facilité à constituer des sociétés écrans est telle que l’ONG Tax Justice Network classe les Etats-Unis comme troisième paradis fiscal le plus important au monde, juste derrière la Suisse et Hong Kong. Ce manque de volonté dans l’échange d’informations est d’autant plus dommageable que ” dans chacun des Etats américains, on peut créer des entités légales sans avoir à dire qui la contrôle ou qui en est le bénéficiaire économique final “, note Shruti Shah, responsable de l’association Transparency international. De plus, de nombreux Etats américains (Delaware, Nevada, Dakota du Sud, etc.) ont mis en place une série de véhicules (trusts, fondations, sociétés au Delaware, etc.) qui bétonnent encore davantage l’anonymat et permettent donc à des fortunes étrangères de s’établir aux Etats-Unis en toute discrétion.

Cette confidentialité est poussée à un point tel que le fonctionnaire à qui vous avez donné votre identité lors de la constitution de la société ne la donnera en effet à personne, pas même à vous. ” Dans un Etat comme le Delaware, si vous égarez les papiers d’immatriculation de votre société, il est pratiquement impossible d’en avoir une copie “, remarque l’avocat Jean-Marc Goossens.

Ce n’est pas tout. Les Etats-Unis offrent aussi l’avantage de pouvoir encore acheter en cash, sans donner son nom, des immeubles dans des villes comme New York ou Miami. Et il y est aussi possible d’ouvrir un compte en banque sans devoir fournir de justificatifs de revenus ou de déclarations fiscales. Une souplesse qui ravit les contribuables européens en délicatesse avec la loi et qui se font éjecter de leurs banques sur le Vieux Continent.

” Les Etats-Unis sont dans une situation ambiguë, résume Gabriel Zucman. C’est grâce à la loi Fatca que l’échange automatique d’informations bancaires est en train de devenir une réalité mondiale ; de ce point de vue-là, aucun pays n’a fait plus pour la transparence financière. En même temps ils refusent pour le moment d’adhérer aux standards de l’OCDE, et il est bien trop facile de créer des sociétés écrans anonymes au Delaware et au Nevada. Le système financier américain peut donc, dans l’état actuel des choses, être utilisé par des fraudeurs et des criminels. ”

Mais un paradis pour les saints…

Alors, le dernier paradis fiscal serait-il de l’autre côté de l’Atlantique ? De nombreuses officines, de Genève, de Jersey ou d’ailleurs vendent en tout cas la solution américaine et offrent aux contribuables fraudeurs qui ne veulent pas s’amender, de les aider à s’établir aux Etats-Unis. Avec leur stabilité politique, la force du dollar, les avantages fiscaux offerts par certains Etats et la facilité avec laquelle on peut créer une société, les “States” présentent en effet de sérieux atouts. Mais attention: ils ne valent que pour ceux qui ont la conscience tranquille.

” S’il y a des paradis fiscaux “, c’est qu’il y a ailleurs des enfers, assure Jean-Marc Goossens. De nombreuses personnes qui investissent dans l’immobilier aux Etats-Unis constituent une société au Delaware. La société sera obligatoirement enregistrée aussi dans l’Etat où se trouve le bien immobilier (Floride, Californie, etc.) et y paiera donc des impôts tout à fait normalement. Si l’actionnaire est étranger, il ne paiera pas d’impôts dans son pays de résidence en vertu des conventions évitant les doubles impositions pour revenus immobiliers. En outre, il y a plusieurs avantages à utiliser une société au Delaware : la responsabilité est limitée à l’apport en capital, les règles sont souples quant à la gestion de la société et l’anonymat des actionnaires est garanti. La moitié des sociétés cotées aux Etats-Unis sont enregistrées au Delaware, souligne l’avocat. Ce n’est pas pour effectuer des opérations offshore non taxées, car la plupart d’entre elles ont des activités on-shore. C’est surtout pour garantir l’anonymat de leurs actionnaires. Il s’agit souvent de grandes sociétés familiales qui ne veulent pas que le public connaisse la répartition des parts entre membres de la famille. Et comme la loi est d’une souplesse extrême, cela permet de faciliter les transferts de parts. ”

Pour toutes ces raisons, les Etats-Unis sont donc considérés comme la ” dernière Suisse “. De grands noms de la banque privée européenne établissent discrètement des bureaux à Las Vegas dans le Nevada ou à Sioux Falls, dans le Dakota du Sud.

” Si mes clients fiscalement conformes me demandent où est la meilleure juridiction pour rester discret, je ne peux pas leur mentir, ce sont les Etats-Unis “, affirme l’avocat genevois David Wilson à nos confrères du journal suisse Le Temps.

En revanche, les fiscalistes estiment généralement qu’il est suicidaire de considérer les Etats-Unis comme un refuge pour les capitaux non déclarés. Celui qui possède aux Etats-Unis plus de 60.000 dollars d’actifs est soumis à l’impôt successoral américain. Aujourd’hui, les trusts et les sociétés écrans peuvent passer hors du spectre du radar. Mais demain ? En fiscalité, les lignes ont fortement bougé ces dernières années et bougeront encore.

” Je ne peux pas imaginer que les Etats-Unis ne souscrivent pas un jour au CRS “, avance Sabrina Scarnà. Beaucoup partagent son avis : la pression internationale en faveur d’un échange automatique et complet des données bancaires et fiscales devient de plus en plus forte et elle commence même à s’exprimer au sein d’instances comme l’OCDE. ” Je ne conseillerais certainement pas à un contribuable qui n’est pas en règle d’aller s’établir aux Etats-Unis “, conclut Jean-Marc Goossens. A bon entendeur…

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