Les entreprises prêtes à l’action pour le climat

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La quatrième édition du baromètre des exportateurs indique une réelle implication des entreprises en faveur du climat. Plus de quatre-vingts pour cent d’entre elles invitent les gouvernements à agir “même si cela impacte leur business”.

Ce n’est plus une prise de conscience, c’est une conviction : 90% des dirigeants d’entreprise belges affirment que les entreprises doivent agir contre les changements climatiques, sans attendre d’y être éventuellement contraintes par des décisions gouvernementales. Ils estiment également, avec la même quasi-unanimité, que les entreprises doivent désormais prendre leurs décisions et options stratégiques “en tenant compte des risques climatiques”. Le quatrième baromètre des exportateurs, réalisé par Credendo et “Trends-Tendances”, indique clairement que le climato-scepticisme n’a pas ou plus sa place dans le monde économique. “Je suis réjouie de voir le volontarisme de nos entreprises”, déclare Bénédicte Wilders, conseillère en stratégie internationale chez Hub Brussels.

Peut-être plus étonnant encore, 83% des exportateurs appellent les pouvoirs publics à prendre des mesures pour lutter contre les changements climatiques “même si ces mesures impactent mon entreprise”. La proportion grimpe jusqu’à 88% parmi les répondants francophones. “J’ai quand même l’impression que ces chiffres sont gonflés par une réaction émotionnelle, souligne Pieter Timmermans, le patron de la FEB. Le jour où ils sont confrontés aux implications concrètes de mesures environnementales, les citoyens, les chefs d’entreprises, les politiques, etc. appuient tous sur le frein. Tout le monde plaide pour des énergies renouvelables et les éoliennes, mais quand on veut en installer, il y a quasiment chaque fois des contestations en justice.”

Besoin de normes européennes

Lui aussi surpris par l’ampleur de la mobilisation des chefs d’entreprise, le deputy CEO de Credendo, Nabil Jijakli, insiste plutôt sur le côté positif des réponses. “Je trouve que c’est un raisonnement très sain, dit-il. Le défi climatique implique de changer des habitudes dans nos modes de production et de consommation. Or, changer ses habitudes, c’est quelque chose que nous ne faisons pas naturellement. D’où cet appel à des mesures des gouvernements et de l’Union européenne. Les entreprises ont besoin d’un level playing field et qui mieux que l’Etat peut organiser cela, qui d’autre peut mettre tous les acteurs sur le même pied ?”

C’est bien dans cette optique que les répondants à notre baromètre insistent à une écrasante majorité (87%) pour que l’Union européenne impose des normes climatiques ou environnementales pour les produits importés. “Nos entreprises sont habituées à la compétition, c’est dans leur nature, analyse Willy Borsus (MR), ministre wallon de l’Economie et du Commerce extérieur. Mais elles ont besoin que cette compétition se déroule à armes égales. Si nous édictons des normes très contraignantes et que, dans le même temps, nous continuons à accueillir des produits venant d’autres continents et qui ne respectent pas les mêmes normes sociales, environnementales ou de traçabilité, ce n’est pas de la concurrence saine. C’est un message que j’entends systématiquement dans mes visites d’entreprise.” Ce message s’adresse plus directement aux autorités européennes mais le ministre wallon est convaincu que des Régions ou des Etats peuvent jouer “un rôle mobilisateur et déclencheur” pour accélérer le processus.

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Les réponses semblent par ailleurs indiquer que le flou entoure encore le défi climatique et ses conséquences. Les exportateurs considèrent que les changements climatiques constituent “une menace importante” pour les différents secteurs économiques (71%) mais ils sont exactement aussi nombreux à affirmer qu’ils n’auront “aucun impact” sur leur propre business. Soixante-deux pour cent estiment aussi que les normes environnementales n’affecteront les exportations que de manière marginale. Manifestement, on ne sait pas encore trop sur quel pied danser.

Une opportunité économique ?

Plus inquiétant peut-être, à peine 15% des responsables d’entreprise estiment que les changements climatiques créent des opportunités économiques. “Nous devons absolument intensifier notre message à ce propos, analyse Pieter Timmermans. Le défi climatique, c’est aussi énormément d’opportunités que nos entreprises doivent saisir.” Tous nos interlocuteurs en sont convaincus. Le ministre-président flamand Jan Jambon (N-VA), en charge du Commerce extérieur, mise sur l’innovation et la technologie pour apporter des réponses aux défis climatiques “sans détruire le bien-être que nos parents et grands-parents nous ont légués”. “Le réchauffement est un problème planétaire, dit-il. C’est donc pour nous, aussi une opportunité d’exporter l’innovation et la technologie des entreprises flamandes.”

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Bénédicte Wilders insiste sur la nécessité de bien “anticiper les changements”, tant pour les attentes des consommateurs que pour les normes, afin d’être prêts à saisir les opportunités de marché. “Nous pouvons aider les entreprises à réussir leur transition, comme nous l’avons fait par exemple en soutenant le développement de l’écoconstruction, poursuit-elle. Une entreprise qui s’engage concrètement dans les objectifs du développement durable, c’est une carte de visite pour elle. Les entreprises n’en sont pas toujours suffisamment conscientes, elles voient peut-être un peu trop les contraintes.” La conseillère de hub. brussels ajoute encore le fait que beaucoup de services sont aujourd’hui dématérialisés et que “leur exportation se fait sans empreinte écologique”. “Cela peut être un atout pour une économie tertiaire comme celle de Bruxelles et de l’ensemble du pays, dit-elle. Il ne faut pas négliger cette évolution pour les services de traduction, juridiques ou de consultance.”

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La confiance s’érode

Au-delà des questions climatiques, comment les exportateurs voient-ils l’évolution économique ? Pas de manière géniale. L’indice de confiance dans le climat économique mondial recule pour la troisième année consécutive pour se chiffrer à 5,7/10. “Quand vous voyez la politique commerciale des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine, quand vous voyez ce Brexit dont on ne connaît toujours pas les modalités, il est inévitable que la confiance des exportateurs se tasse un peu, commente Pieter Timmermans. L’incertitude politique chez nous joue aussi un rôle. Nous avons un gouvernement fédéral en affaires courantes depuis près d’un an. Cela ne peut pas durer éternellement sans avoir des conséquences très concrètes pour l’économie et les entreprises.”

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Du côté politique, on préfère cependant regarder le verre à moitié plein. Jan Jambon pointe ainsi avec plaisir le fait que près de 70% des entreprises flamandes regardent l’avenir avec sérénité (score de 5 à 7/10) et même avec un réel optimisme pour 14% d’entre elles (8/10 et au-delà). “Elles ne se laissent pas effrayer par les discours alarmistes, se réjouit le ministre-président. Nous le voyons à travers nos chiffres d’exportation. La Flandre a atteint l’an dernier un nouveau record avec 328 milliards d’euros à l’exportation. C’était la neuvième hausse consécutive de nos chiffres d’exportation.” Son collègue wallon Willy Borsus juge le baromètre “raisonnablement robuste”. “Quand on voit les mesures protectionnistes aux Etats-Unis ou l’ampleur des défis climatiques, je trouve que de n’avoir que 37% des entreprises qui s’attendent à une stagnation ou un recul des exportations, ce n’est pas si mauvais, confie-t-il. Dans un tel contexte, si plus de 60% des entreprises qui misent sur une hausse dans les trois prochaines années, c’est qu’elles sont quand même solides.”

Le protectionnisme est, en effet, l’une des raisons de la prudence des opérateurs. L’an dernier, 17% des répondants pensaient que la montée du protectionnisme allait affecter négativement leur business. La proportion a plus que doublé en un an pour atteindre maintenant les 37% ! “La guerre commerciale commence à se traduire dans les faits et si elle ne se marque peut-être pas encore dans les chiffres des entreprises, elle influence clairement l’état d’esprit des exportateurs”, souligne Nabil Jijakli. Cette évolution n’est évidemment pas très réjouissante pour une économie aussi ouverte que la nôtre. “Un job sur trois en Flandre dépend du commerce international, précise Jan Jambon. L’exportation est vraiment le levier de notre économie. C’est pourquoi nous oeuvrons pour un système commercial pérenne à long terme.” “Nous avons un besoin crucial d’accords commerciaux de libre-échange avec d’autres régions du monde, insiste Pieter Timmermans. Evidemment sans être naïfs. Les exigences climatiques doivent par exemple être parmi les conditions importantes de ces accords de libre-échange ambitieux. Les entreprises ont besoin d’un level playing field (concurrence équitable).”

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L’Asie un peu moins prisée

Dans ce contexte incertain, les entreprises se tournent logiquement vers ce qu’elles connaissent le mieux, c’est-à-dire vers les pays voisins. Pour 72% des entreprises, les pays limitrophes (y compris le Royaume-Uni) restent la zone géographique au plus fort potentiel de croissance des exportations dans les prochaines années, tandis que l’Asie se tasse (37% au lieu de 45% l’an dernier). “C’est lié à la structure de notre économie, estime le CEO de la FEB. Nous sommes avant tout un pays de PME et il n’est pas évident pour elles de s’aventurer en Extrême-Orient ou en Amérique latine. Mais les choses bougent. Les start-up du monde digital raisonnent directement à l’échelle mondiale et, progressivement, cela se marquera dans le comportement général de nos entreprises.”

A peine 15% des responsables d’entreprise estiment que les changements climatiques créent des opportunités économiques.

Bénédicte Wilders tient cependant à mettre les résultats du baromètre en lien avec les chiffres de participation aux dernières missions économiques. “Plus de 550 entreprises participent actuellement à la mission princière en Chine, on ne peut pas dire que ce soit pourtant le terrain le plus facile en termes de tarifs douaniers ou de cybersécurité, dit-elle. Nous avons aussi connu un beau succès avec une récente action au Congo-Brazzaville, un marché à beau potentiel mais qui n’est pas dénué de risques. On peut donc parler de prudence de nos entreprises mais pas de frilosité vers la grande exportation. Il y a un réel engagement.”

Notons qu’à peine une entreprise sur cinq déclare avoir bénéficié d’une aide à l’exportation venant des trois organismes régionaux. Un chiffre vraisemblablement sous-estimé, certaines aides finissant par sembler “naturelles” au fil des ans… “N’oublions pas que FIT (Flanders Investment & Trade) assiste aussi des entreprises de manière indirecte à travers 17 partenariats structurels, précise Jan Jambon. Il est donc logique que ces entreprises sollicitent moins d’aide directe ensuite.” “Les gros exportateurs considèrent les agences régionales comme leur premier partenaire, nuance également Willy Borsus. Ce sont des outils très professionnels, dont l’utilité n’est plus à démontrer.” A Bruxelles aussi, on constate que les plus petites entreprises hésitent à se tourner vers les instances régionales. “Nous avons lancé des actions ciblées sur les néo-exportateurs, explique Bénédicte Wilders. Nous pouvons les accompagner dans leurs premiers pas, à travers des actions collectives, pour les aider éviter certains pièges ou complications.”

Les coûts de production en Belgique demeurent sans surprise le principal frein à l’exportation pointé par les entreprises belges. Derrière, en revanche, on constate le net recul des formalités administratives, désormais rattrapées par les risques de non-paiement (25%). Une entreprise sur deux affirme déjà avoir subi un préjudice à l’exportation en raison de factures impayées. Mais, paradoxalement, 23% d’entre elles ne se couvrent pas contre ce risque, via un assureur-crédit, une garantie bancaire ou une exigence de paiement à l’avance. “C’est surprenant en effet, conclut Nabil Jijakli. Cela confirme que le premier concurrent d’un assureur-crédit n’est pas les autres assureurs mais le choix d’une partie des entreprises de ne pas couvrir ce risque.”

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Brexit or not Brexit ?

Oui, il y a au moins une constante dans le dossier Brexit : 15% des exportateurs pensent toujours que le Brexit n’aura pas lieu. Et 44% pensent que l’échéance sera à nouveau reportée. Des chiffres identiques à ceux de l’an dernier.

Les chefs d’entreprise sont toutefois un peu plus prudents quant à l’impact potentiel de ce Brexit. Une majorité pense toujours que cet impact sera neutre mais cette majorité chute de 61 à 52% et moins de 10% craignent un impact fortement négatif. Notons que les chiffres varient peu d’une Région à l’autre. “Si les entrepreneures relativisent l’impact du Brexit, cela peut tout simplement signifier qu’ils s’y sont préparés, analyse le ministre-président flamand Jan Jambon. Les campagnes d’information et de sensibilisation, le helpdesk, les possibilités de soutien financier, etc., tout cela a joué. Mais n’oublions pas pour autant que l’impact potentiel du Brexit sur notre économie demeure énorme. Une étude de la KULeuven conclut qu’un Brexit sans accord ferait perdre 28.000 jobs et 2,5% de PIB à l’économie flamande. Les secteurs les plus touchés seraient l’industrie automobile, le textile, l’alimentation, la chimie et la pharma.”

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Baromètre réalisé par Roularta auprès de 1.371 personnes (36% de CEO). Les questionnaires ont été remplis en ligne du 15 septembre au 15 octobre.

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