Les économistes à la rescousse de la stratégie de sortie chaotique
Le flou qui entoure la stratégie de sortie de la crise du coronavirus pèse sur la capacité de reprise de l’économie belge. Les politiques et les experts s’engagent sur la mauvaise voie. Une lueur d’espoir s’est fait jour, en provenance du monde universitaire : un collectif de professeurs propose une politique de sortie qui entend limiter les dégâts économiques.
“Le 27 avril, les pépinières, salons de coiffure et cabinets dentaires rouvriront. Les écoles et les magasins suivront le 11 mai, mais la décision finale ne sera pas prise avant le 29 avril. Le 8 juin, les établissements horeca et les musées pourront à nouveau accueillir des clients et des visiteurs. La décision finale sera prise le 27 mai.” Voici le plan par étapes élaboré par le gouvernement suisse et offrant de vraies perspectives.
On mesure la différence avec la communication chaotique en Belgique. Mercredi dernier, le Conseil national de sécurité s’est réuni pour finalement déclarer que les nouvelles décisions ne seraient en fait prises qu’une semaine plus tard. La réouverture des pépinières et des magasins de bricolage était presque certaine. La seule nouvelle mesure, les visites sous strictes conditions dans les maisons de repos ou les institutions pour handicapés, a été remise en question après que les décideurs politiques et les experts ont commencé à régler leurs comptes publiquement.
La communication sur une stratégie de sortie pratiquement inexistante sème le trouble. Il est temps que les politiques et les entreprises prennent leurs responsabilités. Une première étape pourrait consister, pour les deux parties, à arrêter de squatter les plateaux télévisés. Une mise à jour quotidienne sur l’évolution de la pandémie est la bienvenue. Mais pour le reste, cela ne pourrait pas faire de mal que les Marc Van Ranst et Erika Vlieghe de ce monde ne fréquentent les studios de télévision qu’une à deux fois par semaine plutôt qu’une à deux fois par jour.
Une consultation sociale approfondie
Les entreprises ont besoin d’un plan clair, en particulier parce que la production de biens, la distribution de produits et la fourniture de certains services ne pourront pas atteindre du jour au lendemain le niveau d’avant la pandémie.
Au plus fort de la crise, les entreprises ont fait du bon boulot pour absorber les chocs. Les syndicats et les employeurs sont allés dans la bonne direction en matière de dialogue social, prêtant attention à la sécurité et à la santé des travailleurs.
À un niveau plus élevé, il n’en va pas de même. Les syndicats exercent une forte pression pour qu’un maximum de secteurs soient étiquetés comme “non essentiels” afin de pouvoir faire massivement appel au chômage temporaire. Ils soulignent en effet le danger permanent pour la santé des travailleurs.
Cette préoccupation est justifiée, mais le chômage temporaire doit rester une solution provisoire. Il semble que les syndicats ne souhaitent pas vraiment relancer l’économie tant que le virus n’aura pas été complètement éradiqué. Jan Denys, spécialiste du marché du travail chez Randstad, a exprimé une réserve justifiée à ce sujet sur Twitter : “Les syndicats prennent la santé et la sécurité à coeur, à juste titre. Mais ils le font sur la base d’un scénario dépassé qui impliquerait une victoire sur le virus. Or, nous nous dirigeons tout au plus vers une paix armée. Nous devons reprendre le travail dans un état d’esprit différent. Sinon, nous nous exposons à des conséquences catastrophiques.”
Sauvegarder le pouvoir de relance de l’économie
Le salut viendra peut-être d’une étude menée par les économistes gantois Gert Peersman, Stijn Baert, Freddy Heylen et Bart Cockx. Ils soulignent qu’une réponse politique bien réfléchie peut véritablement faire la différence en limitant les dégâts, en préservant la capacité de reprise de l’économie et en soutenant la relance.”
Leurs idées principales :
1. L’augmentation de la dette publique causée par la crise du coronavirus peut être absorbée sans augmenter les impôts ni réduire les dépenses publiques.
2. Un gouvernement qui amortit les chocs sur le marché du travail de manière adéquate et maintient le travail suffisamment attractif peut sérieusement limiter les dégâts économiques.
3. Dans le contexte économique actuel, des dépenses publiques temporaires et ciblées peuvent s’avérer très efficaces et même plus rentables qu’elles ne le sont.
Les économistes partent du principe que le choc peut être absorbé d’un point de vue budgétaire – on parle d’un déficit avoisinant les 8 à 10% du PIB – si les intérêts restent durablement inférieurs à la somme de l’inflation et de la croissance économique réelle. Tant que la croissance dépassera les intérêts sur la dette publique, la dette accumulée par le coronavirus diminuera au cours des prochaines décennies.
La condition est toutefois que la croissance économique reste suffisamment forte après la crise. Selon les économistes gantois, ce scénario peut être réalisé en misant sur des dépenses productives, comme les investissements publics. En outre, une politique expansive d’inspiration keynésienne est envisagée, laquelle devrait stimuler une croissance portée par les investisseurs et les ménages. Gert Peersman et ses collègues déclarent à ce propos : “Une politique budgétaire expansive sera particulièrement nécessaire lorsque l’activité économique reprendra, que les réseaux de production seront (espérons-le) rétablis et que l’offre pourra également augmenter à nouveau.”
“Le risque est élevé que la demande reste insuffisante, car les entreprises et les ménages touchés par la crise investiront et consommeront moins, soit pour reconstituer leur épargne, soit pour rembourser les dettes qu’ils ont dû contracter en raison de la crise.
Sur le plan macroéconomique, ils ne peuvent le faire que si les autorités consomment et investissent davantage. Ces mesures soutiendront (et stimuleront) l’activité économique, ce qui aura également des effets bénéfiques sur le budget. Concrètement, si une mesure parvient à augmenter le PIB d’un euro, cela se traduira par une hausse des recettes fiscales de 0,5 euro pour une charge fiscale marginale de 50%. Par conséquent, une politique efficace consiste à dynamiser l’économie au maximum avec le moins de ressources possible.”
Les effets néfastes du chômage temporaire
Il est également essentiel à cet égard de relever le taux d’emploi, en particulier pour les faibles revenus. Selon les économistes, un revenu disponible plus élevé permettra à ces ménages de faire des dépenses qui ne seraient pas envisageables autrement.
Stijn Baert souligne dans l’étude l’effet positif du chômage temporaire en période de crise. Les employés ne sont pas licenciés, reçoivent des indemnités et peuvent reprendre le travail après la crise. Toutefois, cette situation présente plusieurs inconvénients. L’étude montre que le revenu de remplacement du chômage temporaire est plus élevé que le salaire en raison d’un certain nombre de suppléments. Cela rend le travail à nouveau peu attractif. Stijn Baert : “Le chômage temporaire est un bon système, mais nous y avons recours trop facilement, ce qui provoque une plus grande contraction de l’économie et rend le redémarrage plus difficile.”
Dans le contexte d’une sortie de crise, il plaide pour un ajustement : “Par exemple, pour les travailleurs des entreprises et des secteurs où les partenaires sociaux établissent un plan minutieux en faveur de la santé et de la sécurité des travailleurs, le gouvernement pourrait prévoir un taux de roulement accru des personnes mises en chômage temporaire en optant pour un travail à temps partiel ou une formation plutôt que pour une cessation totale d’activité.” Il est également partisan d’une allocation de coronavirus pour ceux qui reprennent un travail à temps plein.
Traduction : virginie·dupont·sprl
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici