Lafarge en Syrie: un cadre inculpé pour “financement d’une entreprise terroriste”

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Un premier cadre du cimentier Lafarge, soupçonné d’avoir indirectement financé des organisations jihadistes, dont le groupe Etat islamique, pour se maintenir en Syrie malgré la guerre, a été inculpé vendredi, a-t-on appris auprès de son avocat.

Frédéric Jolibois, directeur de la cimenterie de Lafarge en Syrie à partir de l’été 2014, a été mis en examen (inculpé) pour “financement d’une entreprise terroriste”, “violation du règlement européen” concernant l’embargo sur le pétrole syrien et “mise en danger de la vie d’autrui”, a précisé à l’AFP Jean Reinhart.

Deux autres cadres du groupe – Bruno Pescheux, directeur de l’usine de 2008 à 2014 et Jean-Claude Veillard, directeur sûreté chez Lafarge – ont été également présentés vendredi aux juges d’instruction en vue d’une éventuelle inculpation.

Les trois hommes étaient entendus depuis mercredi lors des premières gardes à vue dans cette enquête conduite par un juge antiterroriste et deux magistrats du pôle financier.

Le parquet de Paris a requis le placement en détention provisoire de M. Pescheux et le placement sous contrôle judiciaire de MM. Jolibois et Veillard.

Le dossier est hors-norme: le groupe, qui a fusionné en 2015 avec le Suisse Holcim, est soupçonné d’avoir pactisé avec l’organisation d’Abou Bakr al-Baghdadi, derrière les attentats les plus meurtriers commis en France ces dernières années, pour continuer à faire fonctionner en 2013 et 2014 son usine de Jalabiya (nord de la Syrie).

Lafarge est soupçonné d’avoir fait transmettre de l’argent à l’EI en échange de l’obtention de laissez-passer pour ses employés et de s’être, sous couvert de faux contrats de consultants, approvisionné en pétrole auprès de l’organisation qui avait pris le contrôle de la majorité des réserves stratégiques du pays à partir de juin 2013.

Entendu une première fois début 2017 par les douanes judiciaires, Frédéric Jolibois avait reconnu avoir acheté du pétrole à “des organisations non-gouvernementales” notamment kurdes ou islamistes, en violation de l’embargo décrété par l’Union européenne en 2011.

Bruno Pescheux avait pour sa part confirmé des versements litigieux. Pour permettre à ses employés de continuer à venir travailler sur le site, la branche syrienne du groupe (Lafarge Cement Syria, LCS) versait “de 80.000 à 100.000 dollars” par mois à un intermédiaire, Firas Tlass, ex-actionnaire minoritaire de l’usine, qui ventilait ensuite les fonds entre différentes factions armées, d’après l’ex-directeur. Cela représentait pour l’EI “de l’ordre de 20.000 dollars”, selon lui.

L’enquête s’attache aussi à déterminer si le groupe a tout fait pour assurer la sécurité de ses employés syriens, restés seuls sur place alors que la direction de l’usine avait quitté Damas pour Le Caire à l’été 2012 et que, quelques mois plus tard, les expatriés avaient été évacués par vagues successives.

Les investigations se sont accélérées ces dernières semaines. Trois ex-employés syriens ont été entendus par les juges fin septembre et une vaste perquisition a été menée les 14 et 15 novembre au siège du cimentier à Paris.

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